Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Rogers (Carl) (suite)

La théorie rogérienne est d’abord une théorie de la personnalité, comme elle apparaît dans Psychothérapie et relations humaines (C. Rogers et G. M. Kinget), qui regroupe des publications antérieures à 1960. Avec le Développement de la personne, elle acquiert une allure systématique. Rogers postule que « tout organisme est animé d’une tendance inhérente à développer toutes ses potentialités et à les développer de manière à favoriser sa conservation et son enrichissement » (notion de « growth »). Ainsi, « le noyau le plus intime de la nature de l’homme [...] est de nature positive, est socialisé à sa base, progressive, rationnelle et réaliste ». Rogers ne cherche d’ailleurs pas à démontrer ces propositions, qui sont elles-mêmes des « actes de foi » liés à sa propre expérience. Et nous voyons où nous conduit logiquement la position rogérienne : puisque l’homme est bon par nature, car c’est bien ici du retour à J.-J. Rousseau qu’il s’agit, il n’est plus possible dès lors d’envisager une relation magistrale. Il convient d’accepter « inconditionnellement » autrui tel quel, par « compréhension empathique » ; et donc il n’y a rien à lui apprendre, puisqu’il est à même de se « déterminer » lui-même ; l’intervention, en direction d’autrui, se limitera donc à une « facilitation » de la prise de conscience, et finalement à une maïeutique présentée comme « non directive », terme qu’abandonnera d’ailleurs Rogers après ses premières publications (après Counseling and Psychotherapy, 1942). Rogers refuse de déterminer, de diriger autrui. Il valorise ainsi la personne, et c’est une démarche nouvelle, dans le contexte béhavioriste américain ; mais il referme du même coup la relation sur le vécu immédiat, et l’y maintient.

Sur le plan psychothérapique, la conception rogérienne va s’opposer radicalement à la psychanalyse. En particulier, Rogers dénie au passé individuel et collectif son importance décisive dans la « maladie », et par là il fuit l’histoire pour le présent, vécu comme « expérience pure ». Il refuse par ailleurs l’interprétation analytique, présentée comme une intrusion arbitraire dans le monde de l’autre. Enfin, Rogers escamote la question du transfert, pourtant aujourd’hui reconnu comme dimension fondamentale de la relation.

Sur le plan pédagogique, la conception rogérienne va se développer dans le même ordre logique. Dans sa célèbre conférence de Harvard (1960), il déclare, entre autres paradoxes, qu’il n’est pas possible d’« enseigner à quelqu’un d’autre à enseigner », que « tout ce qui peut être enseigné à une autre personne est relativement sans utilité », et que des « connaissances découvertes par l’individu [...] au cours d’une expérience ne peuvent pas être directement communiquées à d’autres ». Il en déduit dès lors qu’il faut « renoncer à tout enseignement », car « ceux qui désireraient apprendre quelque chose se réuniraient pour le faire », et préconise l’abolition des examens et diplômes.

Or, si Rogers restaure la personne dans son intégrité phénoménologique, s’il met en relief l’irremplaçable motivation nécessaire à toute communication, il ne tient aucun compte des données historiques, économiques et sociales, bref des contingences « politiques » qui fondent les relations humaines à un moment déterminé. Du coup, son apport heuristique dans le champ des attitudes éducatives se généralise en idéologie de la non-intervention, en refus de la prise de position personnelle et en psychologisation de la science (une « expérience » comme une autre), c’est-à-dire en irrationalisme. Ces conséquences extrêmes, déjà siennes, se verront mieux encore chez certains non-directivistes français se réclamant de lui. Elles ouvrent sur le scepticisme et laissent le champ libre à la manipulation collective, dans la mesure où l’abstentionnisme vécu comme une fin en soi est une manière d’abandonner les décisions à d’autres.

Rogers a surtout contribué à ébranler la toute confiance expérimentaliste et la tendance positiviste en sciences humaines. Mais ses théorisations sont pour le moins discutables, dans la mesure où elles s’expliquent plus par ses contradictions historiques personnelles (science ou foi ?) que par un travail scientifique réellement circonscrit. Sa contribution pratique restera d’importance. Mais, isolée, elle devient vite une métaphysique « moderne ».

J. P.

➙ Pédagogie / Psychologie.

 A. de Peretti, Liberté et relations humaines ou l’Inspiration non directive (Éd. de l’Épi, 1966) ; Pensée et vérité de Carl Rogers (Privat, Toulouse, 1974). / M. de la Puente, Carl Rogers, de la psychanalyse à l’enseignement (Éd. de l’Épi, 1970). / P. B. Marquet, Rogers (Éd. universitaires, 1971).

Rokossovski (Konstantine Konstantinovitch)

Maréchal soviétique (Varsovie 1896 - Moscou 1968).


Fils d’un haut fonctionnaire des chemins de fer russes en Pologne, Konstantine Rokossovski s’engage dans la cavalerie. Rapidement nommé aspirant, il termine la Première Guerre mondiale comme capitaine en second. Il passe dans l’armée rouge dès 1918 et adhère au parti communiste en 1919. Homme de confiance de Trotski et de Frounze, il combat pendant la guerre civile en Ukraine et en Pologne, et sort de l’Académie Frounze en 1929 ; il a le courage l’année précédente de prendre la défense d’un de ses professeurs, le colonel A. I. Verkhovski, accusé de complot contre l’État. Grand, élégant et amateur de musique, Rokossovski connaîtra une carrière mouvementée. En 1929, il est envoyé en Mandchourie auprès de Vassili Konstantinovitch Blücher (Blioukher). Impliqué dans l’épuration stalinienne de 1937, il est arrêté, mais sera libéré en 1938 sur l’intervention de Vorochilov, qui apprécie sa valeur. Dès lors, Rokossovski sera l’objet d’un avancement brillant. À la tête de la XVIe armée, il se distingue devant Moscou en 1941, et en 1942-43 le front du Don qu’il commande joue un rôle décisif dans la victoire de Stalingrad*. Il gagne les victoires de Koursk et de Briansk avant de prendre en 1944 le commandement des 1er et 2e fronts de Russie Blanche dont il conduit l’offensive de Moguilev à Varsovie.