Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution française (suite)

Les historiens n’ont pas toujours complètement échappé au débat de leur temps. D’abord admirateurs des grands hommes, ils ont fait l’histoire de la Révolution en la regardant du haut des tribunes qu’animèrent Mirabeau, Danton ou Robespierre. Alphonse Aulard (1849-1928) voua ainsi un véritable culte à Danton. Albert Mathiez (1874-1932) le dénonça avec flamme et érudition. Il fonda en 1908 la Société des études robespierristes, qui est encore le lieu de rencontre et de recherche des historiens de la Révolution. Mais ceux-ci, à l’exemple de G. Lefebvre, descendent plus volontiers dans les rues des villes et des villages pour étudier le peuple en révolution. Mais, parce qu’ils sont, comme tous les hommes, engagés dans une aventure collective sur laquelle retentit encore l’événement qu’ils analysent, leurs écrits renseignent sur les réactions individuelles, sur celles des groupes et des moments de l’histoire face à cette rupture fondamentale. Ainsi que l’écrit Mathiez : « Le souvenir de la Révolution française, parce qu’il est associé à celui de l’insurrection populaire (dont le symbole est la prise de la Bastille) et des guerres de la liberté (dont la Marseillaise fut le chant), a manifesté et conservé une puissance émotive où l’intérêt égoïste n’est pour rien [...]. Les combattants du 14 juillet et du 10 août, ceux de Valmy, de Jemmapes et de Fleurus risquaient leur vie non par intérêt, mais par attachement enthousiaste à une cause qui les dépassait. »

Les armées révolutionnaires

Les armées révolutionnaires ne doivent pas être confondues avec l’armée de la Révolution. Émanation armée de la sans-culotterie, elles sont, instrument de la Terreur*, une des institutions les plus originales de ce régime, comme l’a démontré l’historien Richard Cobb. Comme la Terreur elle-même, elles seront exceptionnelles et éphémères. Nées en septembre 1793, à l’époque de l’anarchie administrative qui précéda l’organisation du gouvernement révolutionnaire de l’an II, elles disparaîtront par la volonté de la dictature jacobine, qui, en définitive, se sera servie d’elles.

À Paris, l’armée révolutionnaire est encadrée par des hommes mariés, d’âge mûr, souvent anciens soldats, parfois des artisans prospères et des « politiques » convaincus. C’est le cas du canonnier Lefranc, qui, à trente et un ans, est un entrepreneur en bâtiments et un architecte qui, lors de son arrestation, déclare devoir à ses ouvriers 10 000 livres. Dans la Révolution qu’il défend avec conviction, il perdra, avec la liberté, sa fortune.

Les hommes qui forment le gros des troupes sont des artisans et des petits commerçants mêlés à des vignerons et à des journaliers de la périphérie de la capitale. Ils sont pères de famille, et leurs fils se battent souvent aux frontières. Ils se considèrent d’abord comme des citoyens et sont conscients de détenir une parcelle de la souveraineté nationale. Ils sont révolutionnaires et non pas soldats, sans-culottes et non « volontaires ». Ils partagent avec leurs amis des sections parisiennes l’aspiration à l’égalité des jouissances (v. sans-culottes).

La légende contre-révolutionnaire soulignera leur caractère soupçonneux et brutal. Elle ironisera sur ces civils armés, ancêtres des « gardes rouges », toujours prêts à bien faire la bamboche, à boire le vin pillé et à manger les poulets des fermiers. C’est oublier que beaucoup parmi eux, comme parmi les 40 000 soldats des armées révolutionnaires des départements, étaient animés du patriotisme qui, en l’an II, sauva la France républicaine.

Leur action a été économique et politique. Sillonnant les campagnes, tenant les routes et les chemins principaux, ces soldats parvinrent à approvisionner, dans les circonstances les plus difficiles, les principaux centres urbains, tel Toulouse. En maints endroits, ils permirent, par leur présence redoutée, l’application du maximum. Mais, plus encore, les formations départementales et communales contribuèrent par leurs réquisitions, leur « chasse au trésor » chez les riches à améliorer la situation financière du régime. Ainsi, celui-ci put habiller, armer, nourrir et soigner l’armée de la Révolution.

Révolutionnaires, les armées populaires ont cherché aussi à changer brusquement et violemment, avec les choses, les gens. Elles viennent prêcher la religion de la patrie dans les campagnes. Elles aident le sans-culotte rural à se maintenir au sein des administrations municipales, d’où il débusque les suspects. Animées de la même volonté punitive que les sans-culottes, elles se sont faites les agents d’une répression parfois aveugle. Elles ont aidé aussi à la déchristianisation, qui, par la fermeture forcée des églises, par l’interdiction du culte et l’abjuration forcée des prêtres, a dépassé les intentions du gouvernement.

Elles ont ainsi heurté les couches importantes de la paysannerie, par laquelle elles ont été qualifiées de forces du désordre. Comme toutes les armées, elles ont eu leurs pillards, mais « ce qui frappe surtout chez les soldats qui ont été exposés à de très grandes tentations, c’est leur probité très générale » R. Cobb).

Le Comité de salut public reprochera à l’armée révolutionnaire son indiscipline. Inquiet de certains des chefs, tel Charles Philippe Ronsin (1752-1794), regardé comme un « nouveau Cromwell », craignant l’utilisation possible de cette armée par les ultra révolutionnaires, le gouvernement la licenciera en mars 1794. On retrouvera quelques-uns de ses éléments dans les complots qui jalonnent la Convention thermidorienne, le Directoire, le Consulat et l’Empire.

J.-P. B.

 R. Cobb, les Armées révolutionnaires, instrument de la Terreur dans les départements, avril 1793 - floréal an II (Mouton, 1964 ; 2 vol.).

J.-P. B.

➙ Constituante (Assemblée nationale) / Convention nationale / Directoire / Législative (Assemblée) / Monarchie d’Ancien Régime / Sans-culottes / Terreur (la) / Valmy.