Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

République (IVe) (suite)

De telles difficultés n’empêchent pas le G. P. R. F. de procéder à des réformes de structure conformes au programme élaboré dans la clandestinité par le Conseil national de la Résistance : nationalisation* des usines Renault (ordonnance du 16 janvier 1945), des houillères du Nord et du Pas-de-Calais (ordonnance du 13 décembre 1944), de la Société des moteurs Gnome et Rhône — qui constitue alors la Société nationale d’étude et de construction de moteurs d’aviation (S. N. E. C. M. A.) [ordonnance du 29 mai 1945] —, des entreprises de transport aérien — réorganisées en une seule société nationale, Air France (ordonnance du 26 juin) —, de la Banque de France et des quatre grandes banques* de dépôts : Crédit Lyonnais, Société générale, Comptoir national d’escompte de Paris et Banque nationale pour le commerce et l’industrie (B. N. C. I.). Ces mesures seront complétées en 1946 par la constitution des Charbonnages de France (loi du 17 mai), par la création des sociétés Gaz de France et Électricité de France (loi du 8 avril) et par la prise de contrôle des trente-quatre principales compagnies d’assurances (loi du 25 avril). Ainsi l’État prend le contrôle des secteurs clefs de l’économie française — énergie, transports —, dont il entend orienter l’évolution en fonction de l’intérêt général par la mise en place d’une planification* non pas impérative, comme en U. R. S. S., mais indicative. Élaborée par un Commissariat général au plan dont le premier titulaire, Jean Monnet, est nommé le 3 janvier 1946, cette planification doit permettre à l’État de fixer des objectifs et d’en obtenir les réalisations, même par des entreprises privées, en utilisant à leur égard les armes du budget, du crédit et de l’emprunt.

Parallèlement, le G. P. R. F. décide d’améliorer la situation des travailleurs. Ainsi sont promulguées les ordonnances et les lois qui créent les comités d’entreprise dans les établissements de plus de cent employés (22 févr.) et qui instituent la sécurité sociale (4 oct.), en imposant l’adoption à tous les salariés (19 oct.) et en étendant le champ d’application (loi du 22 mai 1946) ; en outre, la loi crée les allocations prénatale et maternité (22 août), accorde une aide aux « économiquement faibles » (11 sept.), étend à tous les Français le bénéfice de l’assurance vieillesse (13 sept.) et rétablit les conventions collectives.


La reconstruction politique

Liquider la guerre et ses séquelles, telle est la première tâche du G. P. R. F. Il faut intégrer les F. F. I. aux forces régulières de l’armée, pousser la 2e D. B. de la Normandie à Paris et de Paris à Strasbourg, soutenir la progression de la future armée Rhin et Danube du général de Lattre de Tassigny de la Provence à l’Alsace du Sud et empêcher les Américains de faire évacuer la capitale de l’Alsace lors de la contre-offensive du maréchal von Rundstedt en décembre 1944. Il s’agit là d’un effort de guerre considérable, qui permet à l’armée française de conquérir le pays de Bade, une partie du Wurtemberg, de la Bavière et du Tyrol, et d’occuper le nid d’aigle de Hitler, Berchtesgaden. Par là même se trouve assurée la participation française à la signature de l’armistice de Reims le 7 mai 1945 et à la signature de l’acte de capitulation de Potsdam le 17 juillet. Par là aussi se trouve assurée la réinsertion de la France dans le concert des nations.

Encore faut-il, pour l’y maintenir, la doter de nouvelles institutions. Celles de la IIIe République sont repoussées par 90 p. 100 des suffrages exprimés lors du référendum du 21 octobre 1945 ; les Français élisent le même jour une Assemblée constituante dominée par le parti communiste (159 élus), la S. F. I. O. (146) et le M. R. P. (150), bénéficiaires des trois quarts des sièges et des quatre cinquièmes des suffrages, alors que les groupes politiques jugés responsables de la défaite ou de la mise en place du régime de Vichy sont presque éliminés du Parlement, tels les radicaux (29 sièges) et les modérés (53). La S. F. I. O. refuse le tête-à-tête avec le P. C. F., pourtant mathématiquement possible, et entend associer le M. R. P. à l’exercice du pouvoir sous la direction du général de Gaulle (21 nov. 1945 - 20 janv. 1946). Le projet préparé par la Constituante, favorable au régime d’Assemblée unique et omnipotente, ainsi que la politique du parti communiste, souvent opposée à celle de ses associés au pouvoir, provoquent le 20 janvier 1946 la démission du général de Gaulle.

La constitution du ministère présidé par le socialiste Félix Gouin (26 janv. - 12 juin 1946) consacre l’ère du tripartisme. Rapidement, des conceptions contradictoires se font jour pour l’élaboration de la Constitution. Un premier projet, défendu seulement par les communistes et les socialistes, est repoussé par 10 272 586 électeurs le 5 mai 1946 (53 p. 100 des suffrages exprimés) : il proposait un régime d’Assemblée, à chambre unique. La nouvelle Constituante est élue le 2 juin 1946 : le M. R. P., avec 5 558 213 suffrages, rassemble 28,2 p. 100 des suffrages exprimés et obtient 163 élus, qui constituent le groupe parlementaire le plus important de l’Assemblée. Aussi la responsabilité de constituer le nouveau gouvernement revient-elle à l’un des fondateurs du M. R. P., Georges Bidault (23 juin - 28 nov. 1946), et celle de rapporter le nouveau projet constitutionnel à un autre de ses membres, Paul Coste-Floret. Approuvée le 13 octobre par une « majorité médiocre, faible et aléatoire » selon Charles de Gaulle (53,5 p. 100 des suffrages exprimés, 36 p. 100 des inscrits), la Constitution de la IVe République s’oppose au projet défini par le général dans le discours de Bayeux (16 juin 1946), qui préconisait un régime présidentiel à exécutif fort.

Cette Constitution établit la prépondérance de l’Assemblée moyennant des contrepoids destinés à assurer la stabilité de l’exécutif. C’est en fait un compromis entre les partisans du régime d’Assemblée et les défenseurs du régime présidentiel. Elle est précédée d’un Préambule affirmant les droits sociaux de l’homme, inspirés par la Résistance et par les principes de 1789. L’Assemblée nationale est élue pour cinq ans au suffrage universel, désormais étendu aux femmes et aux militaires, et selon le système de la représentation proportionnelle, privilégiant les partis politiques. Elle est permanente, vote seule la loi et ne peut déléguer ce droit (art. 13). Elle peut être dissoute sur décision du Conseil des ministres, dans des conditions prévues par la Constitution (art. 51), mais si difficiles à mettre en œuvre qu’elles ne jouent qu’une fois, en 1955. Le Conseil de la République est élu au suffrage indirect. Ne pouvant imposer qu’une seconde lecture à l’Assemblée, qui reste maîtresse de sa décision (art. 20), cette « chambre de réflexion » accroît son rôle jusqu’en 1958. L’essentiel du pouvoir gouvernemental est confié à un président du Conseil, désigné par le président de la République et investi à la majorité absolue de l’Assemblée (art. 45). Le Conseil des ministres l’autorise à poser la question de confiance (art. 49), qui, pour qu’il soit renversé, doit lui être refusée à la majorité absolue des députés (art. 50) ; il a l’initiative des lois concurremment avec les membres du Parlement (art. 14) et en assure l’exécution (art. 47). Le président de la République est élu pour sept ans par les deux Chambres, réunies en congrès à Versailles (art. 29) ; il promulgue les lois, préside le Conseil des ministres (art. 32). Il est président de l’Union française (art. 64), formée par la République française, les États et Territoires associés (art. 60). Ses pouvoirs sont limités, mais son influence est réelle en matière de désignation du président du Conseil (art. 45), de politique étrangère (art. 31) et d’évolution de la France d’outre-mer (art. 64 et 65). Les constituants, par l’obligation du vote à la majorité absolue pour investir ou pour renverser le gouvernement (art. 45 et 49), ont voulu donner à celui-ci une stabilité réelle. Mais l’instabilité ministérielle est aussi grande qu’avant la guerre ; les présidents du Conseil sollicitent la confiance pour leur ministère après sa formation sans y être contraints, ce qui aboutit à une double investiture, ou préfèrent se retirer après un échec sur une question mineure ; parfois même, les gouvernements disparaissent par dislocation interne.