Redon (Odilon) (suite)
Les premiers dessins dans lesquels il étudie la nature de près, s’exerçant à la restituer avec précision, datent de 1861 et sont exécutés à Peyrelebade, propriété familiale dans le Médoc. À partir de 1865, Redon utilise le fusain pour ses dessins, qui vont, avec les lithographies et les eaux-fortes, constituer sa première époque, dite « des noirs », qui durera 25 ans. Mais sa véritable personnalité ne se révèle qu’après la guerre de 1870, durant laquelle il est mobilisé. Les batailles lui ayant laissé des impressions d’horreur, il se complaît dans les scènes macabres, élaborant des œuvres qui sont comme un miroir de l’homme placé devant l’abîme : la Peur (1872, collection privée), la Folie (1877, coll. priv.), l’Araignée souriante (1881, musée du Louvre). Bibliques, légendaires ou issus de l’imagination, les sujets entremêlent le réel et le fantastique avec un sens prononcé du drame. Sur les conseils de Henri Fantin-Latour, l’artiste s’adonne à la lithographie et publie en 1879 son premier album, Dans le rêve, suivi de plusieurs autres, dont À Edgar Poe (1882), Hommage à Goya (1885), les Fleurs du Mal (1890), l’Apocalypse de Saint-Jean (1898). Cependant, les « noirs », pour Stéphane Mallarmé « royaux comme de la pourpre », cèdent progressivement la place, après 1890, à la féerie diurne de la couleur. Redon peint alors les Yeux clos (Louvre), qui sont le témoignage de sa plus ardente recherche de l’infini.
La couleur lui ouvre de nouveaux horizons et il écrira dans son journal (À soi-même, publié en 1922) : « L’art d’un artiste est le chant de sa vie ; mélodie grave ou triste, j’ai dû donner la note gaie dans la couleur. » Quelques années plus tôt, il s’était déjà servi du pastel, qu’il mélangeait avec le fusain, obtenant l’effet désiré pour des motifs d’art sacré. Avec la couleur, l’aspect des êtres et des choses est saisi sous un jour plus apaisé, dans un climat de haute spiritualité. La vivacité des pastels se retrouve accentuée dans les huiles, qui semblent irradier la lumière de l’intérieur : Ève (1904, musée du Louvre), la Naissance de Vénus (1910, Petit Palais, Paris)... Redon trouve la confirmation de ses aspirations chez Delacroix* et, curieusement, c’est plusieurs décennies après avoir étudié au Louvre le plafond d’Apollon que le génie du peintre atteint son apogée dans la création de ses propres Chars d’Apollon.
Six ans avant sa mort, Redon décore les murs de la bibliothèque de l’abbaye de Fontfroide, dans l’Aude, de deux puissantes compositions : la Nuit, qui reprend les motifs insolites et sombres de la première époque, et le Jour, hymne à la couleur que traverse le char du dieu Soleil prenant son essor vers les hauteurs, entouré de fleurs, de papillons et de nymphes.
C. G.
A. Mellerio, Odilon Redon, peintre, dessinateur et graveur (Floury, 1923). / R. Bacou, Odilon Redon (Cailler, Genève, 1956 ; 3 vol.). / J. Selz, Odilon Redon (Flammarion, 1971).