Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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prison (suite)

On constate depuis peu la recrudescence de mouvements collectifs ; la population pénale, qui a subi d’importantes transformations en raison de l’incarcération d’individus plus jeunes et d’un niveau intellectuel plus élevé qu’autrefois, a pris conscience de la force du nombre. Les mouvements collectifs sont passés de 37 en 1971 à 85 en 1972. La plupart ont pour objet l’obtention de meilleures conditions de vie : promenades plus longues, nourriture plus variée, rémunérations, conditions de travail. Ils ont revêtu différentes formes : grèves collectives de la faim à la maison centrale de Melun, mutinerie de la maison centrale de Toul.

L’inadaptation à la vie carcérale conduit souvent le détenu à un comportement auto-agressif, qui prend trois formes distinctes : grève de la faim, automutilation et suicide.

Les grèves de la faim, de loin les plus nombreuses, sont en général le fait de détenus placés en détention provisoire. Elles sont rarement employées pour revendiquer de meilleures conditions de vie en détention, sauf lorsqu’elles sont collectives.

Les actes d’automutilation sont également très fréquents. Le plus souvent, le détenu avale des corps étrangers (pointes, lames de rasoir, etc.) ou se coupe un doigt. Il espère ainsi être transféré dans un hôpital et oublier pour quelque temps le monde de la prison.

La moyenne des suicides constatés dans les prisons est à peu près égale à celle qui s’établit pour la population totale de la France. Une étude effectuée par le ministère de la Santé publique montre que le chiffre des suicides en France atteint 15 000 par an. Plus de 60 p. 100 des sujets qui se sont donné la mort en milieu carcéral avaient été traités dans un hôpital psychiatrique, ce pourcentage étant identique à celui de la population générale.

Les suicides sont beaucoup plus fréquents chez les prévenus que chez les condamnés. Ils interviennent d’ailleurs le plus souvent dès les premiers jours de l’incarcération ou à la suite d’une condamnation plus grave que celle qui a été envisagée. Le personnel lutte pour faire échec au suicide ; en 1972, par exemple, 160 tentatives de suicide ont été découvertes à temps.

Les mutineries dans les prisons françaises en juillet 1974

Il y a toujours eu des agitations épisodiques dans les prisons ; il semble que le début en soit venu avec les prisonniers politiques. La différence de régime entre politique et droit commun a incité les droits communs à revendiquer.

Depuis un certain temps, le mouvement a tendance à s’accélérer et les mutineries se font plus fréquentes. Toutefois aucun mouvement n’a jamais atteint l’ampleur de l’été 1974.

Plutôt que l’hypothèse d’une manipulation extérieure par des mouvements extrémistes, on doit retenir le fait que la radio, présente dans toutes les prisons, véhicule les informations au fur et à mesure des événements ; c’est plutôt un phénomène de contagion qui a joué.

Les événements

Le 19 juillet éclate à Clairvaux la première mutinerie : les détenus refusent de regagner leurs cellules, les surveillants abandonnent alors la Centrale, pensant que les forces de l’ordre interviendront aussitôt. Mais le préfet de l’Aube préfère attendre que les compagnies de C.R.S. en service sur les plages reviennent.

La prison reste aux mains des détenus toute la nuit. Les mutins ont mis à sac une bonne partie de la Centrale, dévalisé la cantine et brûlé les ateliers ; ce scénario se retrouve dans toutes les mutineries importantes de cet été.

De nombreux blessés et deux morts, tel est le résultat de cette nuit d’émeute.

Les mutins sont dispersés dans diverses prisons, afin de circonscrire l’agitation, mais quelques jours plus tard c’est la maison centrale de Nîmes qui est le théâtre d’une nouvelle mutinerie : destruction des cellules, incendie des ateliers. Là encore la police intervient avec retard, une fois que les dégâts sont causés.

L’agitation va alors s’étendre très vite à l’ensemble des prisons françaises ; quelquefois les manifestations sont pacifiques (cahier de doléance, grève du travail), d’autres fois la violence prend le dessus : Caen, Fresnes, la Santé ; le point culminant est atteint à Loos-lès-Lille où la Centrale de jeunes est totalement détruite.

Parallèlement le climat se dégrade au sein du personnel pénitentiaire : en proie à une tension nerveuse insoutenable, certains craquent (un surveillant à Saint-Étienne tue un détenu).

Le personnel pénitentiaire profite de l’entrée des forces de l’ordre, venues réprimer les révoltes, pour quitter les établissements. Dans certains cas comme à Fresnes, l’arrêt de travail est quasi total et ce sont les C.R.S. qui assurent un service minimum à l’intérieur de la prison. Dans tous les autres cas les surveillants se contentent de bloquer les formalités d’écrou, et les contacts avec l’extérieur (pas de courrier, pas de parloir, pas de visite d’avocats). Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, transforme le dépôt en maison d’arrêt provisoire.

Cette cessation de travail est ressentie très différemment par les détenus, qui tantôt comprennent et même soutiennent le mouvement du personnel (à Arras, grève de la faim commune des surveillants et des détenus), tantôt considèrent cette grève comme une atteinte intolérable à leurs droits (Eysses, où la mutinerie éclate du fait de la suppression des parloirs).

Pendant ce temps, le garde des Sceaux J. Lecanuet cherche à faire adopter une réforme du système pénitentiaire.

La réforme pénitentiaire adoptée en Conseil des ministres, les revendications des surveillants partiellement satisfaites, l’ordre se rétablit peu à peu.

Les revendications des détenus

Contrairement à ce qui s’est passé à Toulouse, à Nancy en décembre 1971, il ne s’agit pas en cet été 1974 de protester contre les sévices imposés par un chef d’établissement ; les revendications des détenus sont d’ordre beaucoup plus général :
— les salaires ; la main-d’œuvre pénale privée des moyens d’action des salariés du monde libre est facilement exploitable par des concessionnaires qui, arguant de la non-qualification et de la mouvance de cette main-d’œuvre, pratiquent une politique des salaires scandaleuse. Le S. M. I. C. est une des revendications constantes des détenus pendant ces événements ;
— de plus, ces salaires n’ouvent aucun droit à la retraite ou même à la sécurité sociale pour les familles. Les détenus comprennent mal que leur famille soit privée de ces droits ;
— le casier judiciaire et l’interdiction de séjour, obstacles majeurs à la réinsertion du condamné dans la société, sont constamment évoqués par les mutins ;
— enfin le parloir : est-il utile de préciser combien il est pénible de ne voir sa famille et en particulier ses enfants qu’à travers une vitre ? le parloir libre revient sans cesse dans les revendications.