Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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population (suite)

Les formations de densité : traits généraux et types traditionnels

Lorsqu’on change d’échelle pour décrire la répartition des densités, et que l’on se sert de cartes par plages ou par points très détaillés, l’image que l’on obtient est plus contrastée encore : ce qui frappe partout, c’est l’opposition entre des noyaux d’accumulation et des zones vides. On s’en est rendu compte dès que l’on a pu réaliser des cartes précises, à la fin du siècle passé, au moment des travaux d’Émile Levasseur (1828-1911) et de Paul Vidal de La Blache (1845-1918). Le premier soulignait déjà que la population des pays se disposait généralement en « noyaux entourés d’auréoles d’intensité décroissante ». Vidal de La Blache part de la même constatation et s’attache à expliquer ce qui fait l’originalité de chacune des formations de densité ainsi distinguée.

Quand on compare les cartes de densité de population dressées il y a un demi-siècle et celles qui correspondent à la situation actuelle, on est bien plus frappé par la similitude des configurations que par les changements intervenus. Les variations relatives se font surtout par renforcement des points de concentration, si bien qu’il n’y a pas, d’une période à l’autre, de modifications brutales, de changements radicaux. Au début du xixe s. déjà, la zone d’accumulation humaine du Nord-Est des États-Unis apparaissait comme le foyer principal du continent. Depuis lors, la vague de la frontière a balayé le continent d’un océan à l’autre, toutes les terres ont été livrées au bûcheron, au laboureur ou à l’éleveur. Les villes se sont multipliées : sur la carte de 1970, comme sur celle de 1800, ou sur celle de 1900, on est d’abord frappé par la tache de hautes densités que l’on suit de Boston à Washington, puis vers l’intérieur en direction de Pittsburgh et de Chicago. Le noyau primitif s’est dilaté, mais il n’a pas disparu.

En Amérique du Sud, on pourrait faire les mêmes remarques : les accumulations humaines constituent des grappes ou des masses isolées par des solitudes. Beaucoup datent de l’ère précolombienne ; la plupart étaient en place à la fin de la domination espagnole. Avec le temps, cependant, une transformation d’importance a eu lieu : la façade atlantique, longtemps mal occupée au sud de Rio de Janeiro et de São Paulo, a fixé les noyaux les plus peuplés. En Amérique du Nord, à l’inverse, c’est la façade pacifique qui était vide au xviiie s. Le contraste demeure malgré l’apparition dans la Californie centrale et méridionale d’une accumulation humaine puissante, mais sans commune mesure avec celle du Nord-Est des États-Unis.

Dans les autres régions du monde, il est peu de nouveaux foyers à signaler : en Afrique, les densités sont très inégales, les contrastes multiples, mais la plupart des zones d’accumulation, en dehors de celles qui sont liées à l’essor des exploitations minières, ou de zones irriguées, existaient déjà. Dans l’Asie de la mousson, l’Inde et la Chine correspondaient aux deux foyers les plus massifs. Un temps rattrapées par l’Europe, elles l’ont largement dépassée, mais sans bouleversement fondamental dans les répartitions, si l’on excepte la conquête de terres neuves dans la vallée de l’Indus au Pākistān et dans la Chine du Nord-Est, la Mandchourie de naguère. La croissance de la population de la péninsule indochinoise et de l’Indonésie est impressionnante, mais on n’atteint pas encore la continuité dans l’accumulation qui caractérise les pays de civilisation plus ancienne de la Chine et de l’Inde. En Indonésie, le poids de Java était dominant dès avant la colonisation hollandaise, et celle-ci, centrée sur Batavia (auj. Djakarta), a favorisé jusqu’à la fin du xviiie s. cette île facile à contrôler et exceptionnellement douée. En Indochine, où le peuplement était irrégulier, quelques mutations notables sont à noter : au Viêt-nam, le delta du Mékong achève de s’ouvrir au peuplement, mais n’arrive pas à nourrir des densités comparables à celles du fleuve Rouge. En Birmanie, les plaines intérieures autour de Mandalay, qui avaient été au cœur de la civilisation traditionnelle, étaient très peuplées, cependant que le delta de l’Irrawaddy était à peu près vide. En un siècle, la riziculture commerciale a provoqué la transformation de l’équilibre national antérieur, mais cela demeure exceptionnel en Asie. Au Japon, aux Philippines, en Corée, les grands traits de la répartition des hommes n’ont guère varié.

En Europe, la situation est à la fois semblable et différente : semblable, en ce sens que les vieux foyers d’accumulation de l’Italie du Nord ou de la Flandre se sont maintenus, différente par suite de mutations sensibles à toutes les échelles. Parmi les nations, la France était depuis longtemps la plus nombreuse : elle cesse de l’être dans le courant du xixe s. et apparaît aujourd’hui comme une tache claire sur la carte des densités. À l’intérieur des nations, les bouleversements sont souvent aussi marquants : en France, on passe d’une répartition remarquablement homogène à une distribution lacunaire, avec le foyer parisien, les régions frontalières du Nord et de l’Est, la région lyonnaise, le Midi méditerranéen comme ensembles forts, et des vides qui s’insinuent partout ailleurs. En Angleterre, la vieille Angleterre heureuse du Sud-Est, celle des champs, des vergers, mais aussi des grands troupeaux de moutons sur les collines crayeuses et des tisserands des villages, est tout à coup dépassée par les âpres bassins du Nord et de l’Ouest. Malgré un renversement de la tendance depuis un demi-siècle, la transformation liée à la première industrialisation a des effets tenaces.

En Allemagne, les glissements sont moins frappants qu’ailleurs : les régions agricoles situées au pied des massifs de l’Allemagne moyenne étaient parmi les plus populeuses du pays ; elles sont devenues les plus industrielles. Cependant, dès avant la Première Guerre mondiale, on assistait à un repli du peuplement germanique dans l’Est, à un déplacement vers la Saxe et vers les pays rhénans.