Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Pasternak (Boris Leonidovitch) (suite)

Réduit au silence par la terreur des années 1936-1938, qui lui enlève quelques-uns de ses plus proches amis, Pasternak ne peut venir à bout du roman qu’il a mis en chantier depuis 1934, dont seuls quelques fragments paraissent en revue en 1937 et 1939. Il se réfugie dans la traduction : il se consacre aux poètes géorgiens modernes (G. Tabidze, P. Iachvili, S. Tchikovani, G. Leonidze), aux romantiques anglais (Keats, Shelley) et allemands (Kleist), à Petőfi, à Verlaine et surtout, entre 1941 et 1949, à Shakespeare, dont il traduit six grandes tragédies et dont le langage à la fois imagé et familier trouve en lui de profondes résonances.

La guerre permet à Pasternak de sortir de son isolement moral : les vers qu’il lui consacre expriment l’attachement à la terre natale et à ses habitants, saisis dans le cadre familier des paysages de la grande banlieue moscovite (Na rannikh poïezdakh [les Trains du petit jour], 1943 ; Zemnoï prostor [l’Espace terrestre], 1945). Son langage poétique se simplifie ici à l’extrême, frôlant parfois l’écueil du prosaïsme.

De nouveau condamné au silence pendant les dernières années de la vie de Staline, Pasternak traduit le Faust de Goethe et Marie Stuart de Schiller. Surtout, il revient à l’idée d’un grand bilan romanesque de sa pensée et de son expérience de poète : il y travaille d’abord clandestinement, puis ouvertement après 1954. Le thème déjà ancien de l’opposition du poète et du révolutionnaire (qui seront incarnés ici par le médecin Iouri Jivago et l’instituteur Pavel Antipov) doit s’y développer à travers le roman d’amour de Iouri Jivago et de Lara, femme de Pavel Antipov, roman dont les péripéties sont liées aux grands moments de l’histoire, telle que l’a vécue la génération de Pasternak : révolution de 1905, guerre de 1914, révolutions de février et d’octobre 1917, guerre de 1941-1945. Lara, qui personnifie la féminité livrée aux puissances du mal, incarne pour les deux héros la vérité de la révolution. Mais le révolutionnaire, dont la générosité est fatalement compromise par son étroitesse d’esprit, ne sait répondre au mal que par le mal. Quant au poète, son abandon fataliste à la vie n’apparaît plus ici comme une démission, mais comme l’acceptation d’une mission prophétique qui implique le sacrifice total de soi-même : cette attitude est symbolisée par l’interprétation que Pasternak donne du personnage de Hamlet dans le poème qui ouvre le recueil de vers attribués au docteur Jivago. L’image de Hamlet se confond ici avec celle du Christ, qu’évoquent plusieurs autres poèmes inspirés par des épisodes de l’Évangile dominés par le thème de la Résurrection. L’intuition de la vie, base de la poétique, de l’esthétique et de l’éthique de Pasternak, débouche par là sur une vision de l’immortalité, explicitée par certains personnages secondaires du roman en des termes proches de la philosophie de N. Berdiaïev.

Du point de vue formel, l’originalité du roman Doktor Jivago (le Docteur Jivago, 1957) tient au caractère même de son personnage principal et à son attitude envers la vie : le sentiment de la nature, d’une part, et celui de la providence, d’autre part, le soustraient au déterminisme d’une existence purement historique et font ainsi éclater les cadres du roman historique et social traditionnel. Ces sentiments dominent également le dernier recueil lyrique de Pasternak Kogda razgouliaïetsia (Quand il fera beau, 1957), où l’hymne à la beauté du monde est parfois marqué d’une intonation pathétique par le pressentiment de la fin.

Présenté à la revue soviétique Novyï Mir, le Docteur Jivago ne pourra paraître en U. R. S. S. ; sa publication à l’étranger, en traduction italienne puis dans la plupart des langues du monde, suscitera l’irritation des autorités officielles, qui sera portée à son comble par l’attribution du prix Nobel de 1958 à Pasternak « pour son importante contribution aussi bien à la poésie lyrique contemporaine qu’au maintien de la grande tradition épique de la littérature russe ». La violente campagne orchestrée contre Pasternak par l’ensemble de la presse soviétique, et qui aboutit à son exclusion de l’Union des écrivains, l’oblige à refuser le prix. Malade, Pasternak ne pourra plus écrire que le premier acte d’un drame historique, Slepaïa krassavitsa (Beauté aveugle), où l’on retrouve, transposés à l’époque de l’abolition du servage, les thèmes majeurs de son œuvre poétique et romanesque.

M. A.

 M. Aucouturier, Pasternak par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1963). / G. De Mallac, Pasternak (Éd. universitaires, 1963). / R. Payne, The Three Worlds of Boris Pasternak (Bloomington, Indiana, 1963). / J. De Proyart, Pasternak (Gallimard, 1964). / D. L. Plank, Pasternak’s Lyric : a Study of Sound and Imagery (New York, 1966). / D. Davie et A. Livingstone, Pasternak, Modern Judgements (Londres, 1969). / A. Siniavski, « la Poésie de Pasternak », dans B. Pasternak, Poèmes (en russe, Moscou et Leningrad, 1969).

Pasteur (Louis)

Chimiste et microbiologiste français (Dole 1822 - Villeneuve-l’Étang, Marnes-la-Coquette, 1895).


Élève de l’école primaire, puis externe au collège d’Arbois (Jura), ce fils de tanneur est un élève moyen, mais il dénote un penchant très vif pour le dessin. Le principal du collège d’Arbois l’incite à s’orienter vers l’École normale supérieure. En octobre 1838, Louis Pasteur et son camarade Jules Vercel partent pour Paris afin de suivre les cours du lycée Saint-Louis. Très rapidement, Pasteur, qui ne supporte pas la séparation du milieu familial, retourne à Arbois, puis part pour le collège de Besançon, plus proche de ses parents que la capitale. En 1840, il est bachelier ès lettres. Il continue de peindre et de graver, et il se lie avec Charles Chappuis. En 1842, il est bachelier ès mathématiques ; admissible à l’École normale supérieure (14e sur 22), il décide de se représenter pour obtenir un meilleur rang et part pour Paris. Il est reçu à l’École normale quatrième en 1843.