Rouen

Rouen
Rouen

Chef-lieu de la Région Normandie et du département de la Seine-Maritime.

  • Population : 112 965 hab. (recensement de 2018)
  • Nom des habitants : Rouennais
  • Population pour l'agglomération : 464 157 hab. (recensement de 2009)

GÉOGRAPHIE

Rouen, située sur un méandre de la Seine, à 123 km au Nord-Ouest de Paris, entre les plateaux du pays de Caux et du Roumois, va devenir en janvier 2010 le centre d'une communauté d'agglomération de 71 communes, la CREA (communauté de l'agglomération Rouen, Elbeuf et Austreberthe) intégrant la communauté de l'agglomération Rouennaise, la communauté d'agglomération d'Elbeuf-Boucle de Seine, la communauté de communes Seine-Austreberthe, la communauté de communes Le Trait-Yainville. Ce nouvel ensemble, l'une des plus importantes communautés d'agglomération du territoire métropolitain, va permettre une gestion plus efficace des domaines de compétences municipaux dans un souci de développement durable. 

Ville de vieille bourgeoisie Rouen a accumulé depuis la fondation de la monarchie anglo-normande les profits du commerce maritime et fluvial, du négoce et des services régionaux, et, principalement depuis le xviiie s., des industries manufacturières. Au xixe s., l'agglomération de Rouen élargie aux petites vallées voisines devient un grand centre industriel (textile, métallurgie, chimie liée au pétrole), liée à l'activité de son port, qui survit à la concurrence du Havre, grâce aux importants travaux réalisés pour améliorer la navigabilité de l'estuaire de la Seine.

Durement touché par les combats et les bombardements de 1944, Rouen retrouve ensuite tout le dynamisme de ses activités, autour de son port maritime et fluvial, de ses industries diversifiées par les décentralisations des années 1950 et 1960 (déclin du textile, développement de la métallurgie et des industries diverses), par la promotion des services régionaux (autour de la préfecture de Région et de l'université ; Rouen est aussi le siège d'une cour d'appel et d'un archevêché). Cependant, toutes ces activités sont devenues totalement dépendantes de la tutelle internationale ou nationale, y compris les industries, et la crise les a frappé très durement.

Le port maritime et fluvial est le cinquième port français, avec un trafic annuel de 25 millions de tonnes en 2011 : hydrocarbures, céréales (première place en Europe pour les exportations), produits tropicaux. Le trafic par barges se développe rapidement entre Rouen et Le Havre : Rouen bénéficie de la création de Port 2000, le nouveau port à conteneurs du Havre. Le pôle de compétitivité à vocation mondiale Mov'eo, qui a pour thème la sécurité et la protection de l'environnement dans le domaine de l'automobile, est basé au technopôle du Madrillet. L'agglomération est très marquée par l'urbanisme sauvage du xixe s. et par les réalisations des grands ensembles des années 1960. Le centre de Rouen a été l'objet d'une heureuse opération de réhabilitation urbaine autour de la place du Vieux-Marché, de la cathédrale, de la rue du Gros-Horloge. Rouen est bien relié à Paris par le rail et la route ; l'autoroute de Normandie sera prochainement raccordée au sixième pont (Gustave Flaubert), le plus en aval, ouvert en septembre 2008. La ville est le centre d'une communauté d'agglomération qui regroupe 45 communes, qui devient, en 2010, une partie de la communauté de l'agglomération Rouen, Elbeuf et Austreberthe.

L'HISTOIRE DE ROUEN

Les origines

Rotomagus (ou Ratumagus) est le centre primitif de la peuplade des Véliocasses, qui participent à la révolte belge dès 56 avant J.-C. contre les forces du légat de César, Quintus Triturius Sabinus. La cité devient au lendemain de la conquête la capitale de la civitas des Véliocasses, puis celle de la Seconde Lyonnaise, réduite par Dioclétien au territoire de l'actuelle Normandie à la fin du iiie s. après J.-C. ; elle s'urbanise selon un plan quadrillé dont la rue des Carmes marque peut-être le cardo et à l'intérieur duquel s'inscrit la ville médiévale entre la rue des Fossés-Louis VIII au nord et la rue aux Ours, ou celle du Gros-Horloge au sud.

Port et entrepôt commercial déjà important au début du iiie s., point d'appui essentiel du dispositif défensif romain mis en place le long du littoral dès le début des invasions barbares au milieu du iiie s., Rouen est alors pénétrée par le christianisme et dotée d'un évêque dont le premier aurait été saint Mellon, ordonné par le pape Étienne Ier, au milieu du iiie s. Ce siège épiscopal, attesté pour la première fois en 314, est illustré à la fin du ive s. par saint Victrice (?-vers 410) ; celui-ci tente de faire de Rouen un centre de vie érémitique dont l'invasion vandale de 406 disperse les membres. Au cours du vie s., une colonie de Francs s'établit dans la ville, où est exilé Mérovée, le fils de Chilpéric Ier, dont le protecteur, l'évêque saint Prétextat, est assassiné en 586, en plein office dominical, par ordre de Frédégonde. Issu de la cour de Dagobert Ier, saint Ouen (évêque de 641 à 684) entreprend alors d'évangéliser ces Francs, restés fidèles au paganisme, avec le concours des nombreux établissements religieux dont il favorise la fondation dans le diocèse de Rouen (Fontenelle [aujourd'hui saint Wandrille] en 649, Jumièges vers 654, etc.). Remi, fils de Charles Martel, archevêque de 755 à 762, fut l'un des introducteurs de la liturgie romaine en Gaule.

Résidence permanente d'un comte carolingien et temporaire des missi dominici de Charlemagne, Rouen est incendiée par les pirates normands en mai 841 et délaissée par les Carolingiens, bien qu'elle soit occupée continuellement par son évêque au ixe s.

La capitale du duché de Normandie (911-1204)

En 911, Rouen devient la capitale théorique du duché de ce nom, constitué en faveur de Rollon et alors centré sur la basse Seine. La ville, qui est momentanément occupée par le Carolingien Louis IV d'Outremer en 942-943, est étroitement contrôlée par les héritiers de Rollon, notamment par Richard Ier, qui lui impose comme archevêque son propre fils Robert (989-1037). Exerçant sans doute les droits antérieurement détenus par les comtes francs de Rouen, les ducs normands y établissent vers l'an 1 000 un vicomte. La vie monastique et intellectuelle, fruit de la paix ducale, se rétablit à Rouen. Saint-Ouen, la Trinité-du-Mont, la cathédrale enfin, où se constitue au xie s. une modeste école épiscopale, deviennent des centres importants de production hagiographique, dont l'œuvre la plus importante serait la célèbre Vie de saint Alexis très probablement composée à Rouen vers 1040. La ville, qui bénéficie par ailleurs du rétablissement particulièrement précoce de la circulation monétaire, multiplie ses échanges traditionnels avec les pays du Nord et même avec le Levant. Marché d'esclaves surtout britanniques au xe s., exportant des vins et, à partir du xe s., des draps, la capitale ducale devient une importante agglomération de 10 000 habitants dominée par les marchands, qui réinvestissent leurs bénéfices dans les placements immobiliers ou la ferme des revenus fonciers et qui cherchent à maintenir leur liaisons avec la Région parisienne, source essentielle de leurs fructueuses exportations de vin.

Les marchands de Rouen, organisés en métiers au moins dès le xiie s., comme les cordonniers et les tanneurs, sont à l'origine de la constitution, peut-être vers 1135-1140, de la commune, dont ils accueillent le premier hôtel de ville dans la halle portuaire de leur ghilde.

Cette commune, attestée seulement après 1174, est dotée d'un statut, les Etablissements de Rouen, accordés par Henri II, le fils de Geoffroi V Plantagenêt, qui a occupé la ville en 1444. Ces Établissements de Rouen sont une charte modèle dont les principales dispositions sont reprises dans les statuts des nombreuses communes qui se constituent à la fin du xiie et au cours du xiiie s. dans la partie continentale de l'empire des Plantagenêts ; ils contribuent au rayonnement de la ville, dont l'essor se marque par la construction d'une deuxième et d'une troisième enceinte au milieu du xiie et au début du xiiie s.

La ville capétienne au xiiie s. : sujétion politique et expansion économique

Théâtre de l'assassinat d'Arthur Ier de Bretagne par Jean sans Terre (1203), Rouen est occupée en 1204 par Philippe Auguste, qui en confirme aussitôt les privilèges et les institutions : Établissements de Rouen ; monopole de la navigation commerciale sur la basse Seine, confirmé par l'accord de 1210 avec les marchands de l'eau de Paris ; vicomté transformée en vicomté de l'Eau. Siège temporaire et, à partir de 1302, définitif, de l'Échiquier, Rouen apparaît dès lors comme la véritable capitale de la Normandie au détriment de sa principale rivale : Caen. Son aristocratie marchande, qui accepte l'autorité royale après une ultime tentative autonomiste en 1207, est la grande bénéficiaire de la présence capétienne. En témoignent l'activité intense du port fluvial et du port maritime de Rouen ainsi que celle des foires du Pardon de saint Romain et de la Chandeleur, cette dernière instituée par Saint Louis en 1269. L'établissement à Rouen par Philippe le Bel d'un arsenal, le Clos des galées, l'essor de la draperie (le gris de Rouen), la reprise, dès le milieu du xiiie s., des échanges avec l'Angleterre, qui importe blés et vins français ou bourguignons (Auxerre) et exporte de la laine, des draps, de l'étain et du charbon de terre britannique, l'établissement de liaisons économiques avec le monde hanséatique par l'intermédiaire de Bruges, tous ces faits confirment la prospérité de Rouen, que symbolise la reconstruction de sa cathédrale, incendiée le 8 avril 1200.

Mais la prospérité de Rouen, qui ne bénéficie qu'à une étroite oligarchie d'une vingtaine de familles gouvernant à leur seul profit une agglomération de 30 000 à 40 000 habitants, est gravement atteinte par le conflit anglo-français qui débute en fait en 1292, l'année même où l'agitation du menu peuple contraint Philippe le Bel à prendre de graves mesures de rétorsion : suppression de la commune, dont les Établissements ne sont remplacés qu'en 1321 par une nouvelle constitution associant la moyenne bourgeoisie des métiers à l'aristocratie marchande ; administration directe entre-temps par le bailli ; enfin abrogation du monopole commercial des Rouennais sur la basse Seine, mesure rapportée dès 1294 moyennant finance. Siège des états qui acceptent le 23 mars 1339 le texte de la seconde Charte aux Normands, laquelle remplace celle qui avait été promulguée le 19 mars 1315, Rouen accentue pourtant sa domination économique sur la basse Normandie.

Entre la France et l'Angleterre : le temps des crises (1345-1449)

Le déclenchement de la guerre de Cent Ans, l'épreuve de la peste noire affaiblissent cette domination et favorisent les revendications populaires. Celles-ci sont étouffées en 1345 du fait de l'intervention du roi ; elles dégénèrent en émeutes antifiscales en 1348, puis en 1351, date à laquelle 23 ouvriers drapiers sont pendus. La bourgeoisie, soutenue par le roi, reste fidèle à celui-ci quand, vers 1360, la ville est isolée par les forces anglo-navarraises. Contribuant par ses milices à la reprise de Longueville en mars 1365, Rouen bénéficie de l'essor donné par Charles V au Clos des galées ; celui-ci arme la flotte de guerre française avec le bois des forêts de Roumare et de Rouvray, qui lui sont exclusivement affectées à partir de 1369.

Les états de Normandie, réunis dans la ville le 10 décembre 1380, condamnent le rétablissement des aides abolies par Charles V à son lit de mort ; ce rétablissement provoque une double révolte de la population rouennaise (24 février et 1er août 1382). La seconde, la Harelle, entraîne une violente répression, marquée par quelques pendaisons et surtout par la révocation des privilèges de Rouen, qui perd à la fois sa municipalité, dont les pouvoirs sont transférés à un bailli royal, et surtout ses privilèges commerciaux, la suppression définitive des « compagnies normandes » permettant dès lors aux marchands forains de trafiquer sur la basse Seine. L'obligation, quelques années plus tard, de contracter avec la compagnie française pour commercer à Paris, la possibilité pour les Parisiens d'enchérir lors du bail de la vicomté de l'Eau de Rouen en 1410 rompent l'équilibre économique entre les deux villes au profit de la capitale. Ruinée par l'arrêt de la navigation sur la basse Seine en septembre 1411, la bourgeoisie hésite pourtant à choisir entre ses fournisseurs français et ses clients bourguignons et anglais, ces derniers résidant en assez grand nombre dans leur ville. Mais, au terme d'un très long siège (29 juillet 1418-19 janvier 1419), la ville est occupée par Henri V de Lancastre. Résidence de Jean de Bedford et de son « Grand Conseil », siège jusqu'en 1424 des sessions judiciaires de l'Échiquier, théâtre enfin de la captivité, du procès et du supplice de Jeanne d'Arc (décembre 1430-30 mai 1431), Rouen apparaît comme la capitale de la Normandie anglaise. Après une courte période d'adaptation marquée par des complots, par des prises d'otages et par de lourdes impositions frappant les riches bourgeois de la ville (1419-1422), cette dernière s'adapte à la situation nouvelle qui lui permet de maintenir ses liaisons maritimes avec l'Angleterre et les Flandres bourguignonnes, mais aussi avec son arrière-pays naturel : Paris et les plaines de France, qui échangent leur blé et leur vin contre le sel, les draps et les vins de Bordeaux. Rouen, qui travaille en outre le fer espagnol et la laine anglaise, connaît une nouvelle prospérité, à laquelle met un terme la reprise de Paris par Richemont le 13 avril 1436. Les Rouennais se retournent alors contre les Anglais, qu'ils assiègent dans le château, et accueillent triomphalement Charles VII le 10 novembre 1449.

Capitale provinciale et port international (xvie-xxe s.)

Conservant son Échiquer, érigé en Échiquier perpétuel en 1499, puis en parlement de Rouen en 1515, doté d'une Cour des aides en 1450, d'une Chambre des comptes temporaire en octobre 1543, puis définitive en juillet 1580, siège le plus fréquent des états de Normandie entre 1500 et 1655, la capitale normande est d'abord le théâtre du procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, achevé le 7 juillet 1456. Puis, le 10 décembre 1465, Charles de France y est investi de la Normandie et reçoit l'anneau ducal que Louis XI fait briser solennellement en l'Échiquier de Rouen le 9 novembre 1469.

Tombeau de l'ancien duché de Normandie, Rouen n'est plus que la ville principale de l'une des quatre généralités du royaume créées par Charles VII. Elle bénéficie du transfert dans ses murs des foires de Caen en 1477 et est le lieu de nombreuses industries (papeterie, dominoterie, imprimerie à partir de 1483, draperie légère et toiles de lin), dont elle redistribue les produits sur ses navires dans toute l'Europe occidentale. Les Rouennais sont présents en grand nombre à Anvers, où ils exportent du vin ; ils importent 45 % de l'alun consommé en France entre 1531 et 1553 et animent au xvie s. la pêche maritime ; ils acquièrent en outre en 1549 le monopole de l'importation des épices et des drogues de Madère, des îles du Cap-Vert ou des pays méditerranéens. Associés à ceux de Dieppe, dont le plus célèbre, Jean Ango l'Ancien, est originaire de Rouen, les marins rouennais atteignent même l'Islande, Terre-Neuve au début du xvie s., puis le Brésil et le Maroc.

Ce trafic, qui attire alors les banquiers italiens et les marchands castillans, dont la colonie est déjà très nombreuse en 1480, fait de Rouen un emporium international tout en enrichissant les négociants rouennais dès la fin du xve s. Les uns contrôlent la municipalité et font activer, en accord avec les archevêques Guillaume d'Estouteville et Georges d'Amboise, les chantiers de Saint-Ouen, de Saint-Maclou et de la cathédrale, alors ornée de la tour de Beurre, du palais de justice. D'autres collectionnent les manuscrits, tel le riche changeur de Rouen Jean Marcel. Les Rouennais accueillent les idées réformées dès le règne de François Ier et reçoivent en septembre 1562 une garnison anglaise qui sera chassée le 26 octobre par Antoine de Bourbon. Passée à la Ligue et défendue par Alexandre Farnèse, résistant victorieusement à Henri IV, qui l'assiège de décembre 1591 à avril 1592, Rouen ne se soumet qu'en 1594.

Victime d'une sédition des petits officiers les 16 et 17 novembre 1623, d'une agitation antifiscale du 20 au 23 août 1639, du ralliement de son parlement à la Fronde en 1649 et du départ de 3 000 huguenots et de 17 000 travailleurs à la suite de la révocation de l'édit de Nantes en 1685, Rouen perd au xviie et au début du xviiie s. une partie de ses activités marchandes, mais reste un très grand centre textile : manufacture de bas ; atelier de toiles de lin et de chanvre ; essor de l'industrie cotonnière à partir de 1694. Au début du xviiie s., le raffinage du sucre de canne s'ajoute à ces activités industrielles. Les négociants de Rouen animent un intense trafic triangulaire avec l'Afrique et les Antilles et contrôlent la Compagnie du Sénégal avec leurs collègues de Nantes et du Havre ; ils sont assez puissants pour que leurs députés soient admis au Conseil du commerce créé par Louis XIV en 1700 et pour que l'un d'eux, Nicolas Mesnager, soit chargé de mener des négociations secrètes avec les Provinces-Unies en 1707, avec l'Angleterre en 1711, négociations qui aboutissent à la signature du traité d'Utrecht en 1713.

Rouen, qui est dotée d'une chambre de commerce dès 1705, perd une partie de ses activités maritimes au profit de ses avant-ports : Dieppe, Honfleur, Le Havre. Mais la présence d'une population nombreuse (80 000 habitants en 1789, entassés sur 170 ha), l'existence en son sein de nombreux et riches consommateurs (négociants, officiers, oisifs) qui se regroupent à la fin du xviiie s. dans le quartier « Hors Cauchoise », le maintien d'un important réservoir de main-d'œuvre dans les quartiers misérables (Martainville), l'importance du rôle administratif de la ville devenue chef-lieu du département de Seine-Inférieure en 1790, le recours à d'importants travaux de dragage, l'essor des industries, la création enfin d'une liaison ferroviaire avec Paris dès 1843 permettent de maintenir à un haut niveau les activités commerciales de Rouen au xixe et au xxe s. Occupée par les Prussiens le 5 décembre 1870, puis par les Allemands le 9 juin 1940, libérée par les Britanniques le 30 août 1944, reconstruite rapidement, la ville devient le chef-lieu de la région de Haute-Normandie.

ROUEN, VILLE D'ART

Malgré des destructions de la Seconde Guerre mondiale, Rouen demeure une des villes de France les plus riches en œuvres d'art. La vieille ville, dominée par la fière silhouette de la cathédrale, par l'ancienne abbaye de Saint-Ouen et le palais de justice, conserve en partie l'aspect qu'elle devait offrir à la Renaissance.

La crypte de la cathédrale, qui remonte à la première moitié du xie s., rappelle la précocité de l'art roman en Normandie. La tour Saint-Romain, au côté gauche de la façade, présente un des premiers exemples de voûtes sur croisée d'ogives au xiie s. Mais l'essentiel de la cathédrale date du xiiie s. Rebâtie à partir de 1200 environ, elle s'apparente aux grandes cathédrales gothiques de la France du Nord par son élévation à trois étages, mais sa haute tour-lanterne est bien normande. La chapelle d'axe a été agrandie au début du xive s. Les célèbres portails des Libraires au nord et de la Calende au sud du transept, avec leurs médaillons sculptés étagés sur les soubassements, sont du même siècle. La façade occidentale porte l'empreinte d'une longue histoire : près de la tour Saint-Romain, encore romane, s'élève le portail Saint-Jean avec sa merveilleuse scène du Festin d'Hérode du xiiie s. ; le portail Saint-Étienne à droite est plus récent ; quant au portail central avec son gable effilé, il ne date que du xvie s., comme le haut de la façade et le couronnement de la tour de droite, dite « tour de Beurre ». La grande flèche en fonte de la croisée a été élevée en 1876. L'ensemble monumental de la cathédrale est complété par un certain nombre d'œuvres telles que l'escalier de la Librairie, édifié au xve s. dans les bras nord, ou le tombeau du cardinal Georges d'Amboise et de son neveu dans la chapelle d'axe, monument de l'artiste Roulland Le Roux, qui fut l'un des premiers à introduire le style de la Renaissance à Rouen. Dans la même chapelle se dresse le retable de la Nativité peint par Philippe de Champaigne.

Saint-Ouen, au nord de la cathédrale, est une ancienne abbatiale bénédictine qui conserve quelques vestiges romans dans le bras nord du transept, mais dont le chevet a été rebâti de 1318 à 1339, la nef au xve s., la tour-lanterne au début du xvie s. et la façade au xixe s. Les bâtiments abbatiaux du xviiie s. abritent l'hôtel de ville. L'élévation intérieure de l'église à trois étages, avec un triforium ajouré, présente de nobles proportions ; les grilles du chœur sont un bel exemple de l'art du xviiie s. ; mais les verrières de Saint-Ouen en font par-dessus tout un musée du vitrail. Les fenêtres hautes du chœur sont ornées d'admirables grandes figures du xive s., rehaussées de jaune d'argent, libérées des dais d'architecture que l'on rencontre dans les vitraux un peu plus anciens de la cathédrale. Cette production rouennaise devait influencer toute la Normandie à la fin du Moyen Âge. Dans la nef, aux huit verrières peintes aux armes d'Antoine Bohier, apparaît la main d'Arnoult de Nimègue, qui séjourna à Rouen de 1502 à 1512, répandit l'influence des gravures de Dürer et peignit aussi l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Godard et deux verrières de l'Histoire de saint Étienne, aujourd'hui dans l'église Saint-Romain. Seuls les Leprince de Beauvais n'ont pas laissé leur empreinte dans les vitraux de Saint-Ouen. Engrand Leprince a peint uneHistoire de saint Jean-Baptiste d'après Lucas de Leyde et, avec son frère Jean, un remarquable triomphe à l'italienne, le Triomphe de la Vierge, dit aussi « vitrail des Chars », pour l'église Saint-Vincent (détruite). Après eux, l'art du vitrail se perpétua encore quelque temps à Rouen, notamment avec le peintre verrier Jean Bazoche.

De l'ancien château capétien, bâti sous Philippe Auguste, ne demeure que la tour Jeanne-d'Arc. Le palais de l'archevêque conserve une façade du xve s. Le plus important monument civil de la ville reste l'ancien palais de l'Échiquier, plus tard parlement de Normandie et maintenant palais de justice. La dentelle de pierre des parties hautes de sa façade mêle des éléments flamboyants aux premiers motifs décoratifs de la Renaissance, dans un style comparable à celui de Roulland Le Roux pour le tombeau du cardinal d'Amboise. À l'aube de la Renaissance, Rouen dépense d'ailleurs sans compter pour ses monuments. C'est alors qu'est construite la ravissante façade de Saint-Maclou, avec son porche à cinq pans surmontés de gables. Les vantaux des portes ont parfois été attribués à Jean Goujon, auteur incontesté des colonnes qui soutiennent la tribune d'orgue. Près de l'église s'élèvent les anciennes galeries du charnier, dites « aître Saint-Maclou », dont les piliers de bois sont sculptés d'une danse macabre. De la même époque datent les églises Saint-Godard et Saint-Patrice et aussi le Gros-Horloge, placé en 1527 dans le beffroi de la fin du xive s. Au début du xvie s., on construisit encore l'hôtel de Bourg-theroulde, dont le corps de logis avec sa tourelle d'escalier paraît encore médiéval, tandis que l'aile gauche avec ses baies surbaissées et ses frises sculptées représente le style de la Renaissance. La plupart des maisons à pans de bois qui subsistent dans la vieille ville appartiennent aussi à cette époque, de même que la Fierte Saint-Romain, curieux monument de dévotion.

Au xviie s., les Jésuites établirent à Rouen un collège, devenu le lycée Corneille, un des édifices de l'époque classique avec l'hôtel de ville et l'hôtel Dieu. L'église Saint-Romain est l'ancienne chapelle des Carmes ; élevée au xviie s., elle abrite des vitraux Renaissance qui ne lui étaient pas destinés. La reconstruction et le développement de la ville depuis la Seconde Guerre mondiale apportent enfin une note contemporaine à cet ensemble, par exemple avec la préfecture et la tour des archives, achevées en 1965 par Raoul Leroy et Rodolphe Dussaux. En 1979, sur la place du Vieux-Marché, a été construite l'église Sainte-Jeanne-d'Arc (architecte L.G. Arretche) qui a reçu les vitraux de l'ancienne église Saint-Vincent (notamment celui de Leprince).

LES FAÏENCES DE ROUEN

Après une première floraison au xvie s. grâce à l'atelier de Masséot Abaquesne, l'art faïencier rouennais prend son véritable essor à partir de 1644, date à laquelle le faïencier Edme Poterat, exploitant le privilège exclusif accordé pour 50 années à Nicolas Poirel de Grandval, établit une faïencerie au faubourg Saint-Sever, dont il devient propriétaire (1656) et qui est reprise à sa mort par sa veuve (1687), puis par son fils Michel (1694). Une seconde fabrique est fondée par son fils Louis (1679). À l'expiration de leur privilège, plusieurs nouvelles fabriques sont fondées, dont celles de Fouquay, Caussy, Guillibaud et Heughe. Leurs œuvres, de grande qualité, font de Rouen l'un des premiers centres faïenciers français. Dans la seconde moitié du xviiie s., la vogue des faïences de petit feu, à l'instar de Strasbourg et de Marseille, dont seul le faïencier Levavasseur entreprend la fabrication à Rouen vers 1774, provoque le déclin des faïenceries rouennaises. Aux premières productions inspirées par Nevers et par Delft, succèdent des décors originaux dits lambrequins, composés de broderies rayonnantes, peintes d'abord en bleu, puis en polychromie. Ceux-ci font le succès de Rouen et sont repris dans d'autres manufactures françaises et européennes (Lille, Saint-Cloud, Strasbourg, Delft, etc.). Plus rares sont les décors de rinceaux noirs sur fond ocre dits niellés et les faïences à fond bleu imitées de Nevers. L'influence extrême-orientale, présente dès le xviie s. dans les décors en camaïeu bleu inspirés de Delft et dits hollando-chinois, devient prépondérante vers 1725 sur des faïences polychromes, notamment dans la fabrique Guillibaud avec des thèmes floraux empruntés à la famille verte chinoise. Vers 1740, ces chinoiseries se mêlent au style rocaille pour former les fameux décors « à la guivre », « à la corne », « à l'œillet », « au perroquet », « au carquois », etc. On doit à d'habiles artistes, comme Pierre Chapelle et Claude Borne, des pièces exceptionnelles (sculptures, plaques ou plats ornés de scènes de genre).

LES MUSÉES DE ROUEN

Le musée des Beaux-Arts est l'un des quinze musées créés par l'arrêté consulaire de 1801. Installé d'abord dans l'ancienne abbaye Saint-Ouen, transféré en 1880 dans le bâtiment actuel, il est riche d'une importante collection de peintures françaises : J. Clouet (Diane au bain), Poussin, Le Sueur, J. Jouvenet, J. Restout, F. De Troy, Fragonard Vivien, H. Robert, Ingres (la Belle Zélie), Delacroix (la Justice de Trajan), Puvis de Chavannes, plus de vingt œuvres de Géricault, plusieurs chefs-d'œuvre de l'impressionnisme (Monet, Pissarro), auxquels s'ajoutent de nombreux portraits par J.-E. Blanche ; les écoles étrangères sont représentées notamment par le Pérugin, Véronèse, Guerchin, G. David (la Vierge entre les vierges), Rubens, Jordaens, les Hollandais du xviie s., ainsi que par Vélázquez, Herrera, Ribera. Le cabinet des dessins s'est enrichi de la donation Baderou. Le musée de la Céramique, installé dans l'hôtel d'Hocqueville, des xviie-xviiie s., offre une vue d'ensemble sur l'histoire de la faïence rouennaise. Dans le beffroi du Gros-Horloge sont présentés des spécimens d'horlogerie ancienne, ainsi que des cloches. Dans la maison natale de Corneille, le musée Corneille rassemble des souvenirs. Le musée d'Histoire de Médecine est installé dans la maison natale de Flaubert, qui abrite également un musée Flaubert. Le Muséum d'histoire naturelle possède d'importantes collections de préhistoire et d'ornithologie. Au trésor de la cathédrale se trouve notamment le Reliquaire de saint Romain xive s. Il faut également citer le musée des Antiquités, dans un ancien couvent des visitandines du xviie s. (mosaïque de Lillebonne ; riche collection mérovingienne) et le musée Le Secq des Tournelles, ensemble unique de ferronnerie d'art, dans l'ancienne église Saint-Laurent.