stratégie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Terme apparu début xixe s., sur stratège.
Politique
Notion fondamentalement téléologique : agir stratégiquement, c'est, au sein d'une situation de conflit, agencer au mieux par optimalisation des chances des moyens en vue d'une fin.
Cette acception peut cependant être contestée au profit d'une nouvelle figure conceptuelle, essentiellement non téléologique, de la pratique stratégique. Pour Aristote (Éthique à Nicomaque, I, ch. 1, 3), la victoire est la fin de la stratégie, art du stratêgos ; sa technè, ou tactique, dans la disposition militaire des forces supposant la maîtrise de tous les domaines du savoir (J. de Maizeroy, Théorie de la guerre, 1776) et le regard synoptique du dialecticien. La « vérité effective de la chose » est saisie d'« un seul coup d'œil » (Machiavel) par celui qui décide des problèmes en les restituant à leur vérité selon l'appropriation d'un espace-temps conflictuel.
Un effort d'affirmation qui rencontre l'altérité pour s'y opposer ou s'y allier, l'intelligibilité du réel, sa transformabilité, l'incomplétude de la connaissance sont les principes de l'action stratégique(1).
La stratégie a cherché, dans la théorie des jeux, des méthodes et des modèles mathématiques permettant d'optimaliser la rationalité de la décision par l'étude des conflits(2). Depuis le xviiie s., on admettait l'irréductibilité de la finesse du joueur ; les notions de « plan complet » et d'« équilibre » des protagonistes ont rendu possible la formalisation totale(3). D'où le projet de rendre opératoire la calculabilité en économie, économie politique, psychologie sociale, psychologie cognitive, sociologie, linguistique...
Or, le modèle statique d'un jeu reposant sur des règles fixes se transpose difficilement dans des champs dont la complexité, la variabilité et le devenir sont des dimensions dynamiques constitutives. Le danger est d'expulser la politique et l'histoire en favorisant les « états de domination » au détriment des « jeux stratégiques entre libertés » (Foucault). Contre l'intentionalisme, le conatus spinoziste offre un modèle alternatif d'affirmation stratégique immanente aux rapports de force (dans et par une activité non téléologique, mais productive et déterminée, individuante et individualisante, résistante aux actions contraires). C'est aussi sur un plan d'immanence et selon une approche déterministe que le concept de disposition permet de comprendre la dynamique des ajustements stratégiques de l'habitus et de la structure, en dépassant les alternatives de la pensée dualiste. Il s'agit alors, suivant le vœu de Marx (Thèses sur Feuerbach), de construire, à partir du concept de stratégie, une théorie matérialiste du « côté actif » de la connaissance pratique(4).
Laurent Bove
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Charnay, J.-P., la Stratégie, PUF, Paris, 1995, p. 28.
- 2 ↑ Schelling, T.-C., The Strategy of Conflict, 1963, trad. R. Manicacci, PUF, Paris, 1986.
- 3 ↑ Neumann, J. (von), Morgenstern, O., Theory of Games and Economic Behaviour, Princeton University Press, New York, 1944.
- 4 ↑ Bourdieu, P., Méditations pascaliennes, ch. 4, Seuil, Paris, 1997, p. 164.
- Voir aussi : Crozier, M. et Friedberg, E., L'Acteur et le Système, Seuil, Paris, 1977.
- Saint-Sernin, B., Mathématiques de la décision, PUF, Paris, 1973.
