sport

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


De l'anglais, lui-même issu de l'anc. français déport, « jeu, amusement ».

Philosophie Générale, Sociologie

Pratique physique ou intellectuelle, individuelle ou collective, qui possède des règles et prescrit un impératif de performance.

Si l'on excepte les pratiques religieuses minoennes, qui tenaient en haute estime une forme chronique de compétition à caractère physique, les deux plus grandes traditions attachées à la culture physique ainsi qu'à la pratique d'exercices destinés à la maîtrise du corps ont respectivement une origine ludique et médicale.

La notion, dont le sens moderne a été fixé au xixe s. par P. de Coubertin, recouvre en fait celles de jeu, de règle et de lutte. C'est par une référence constante à l'athlon grec que Coubertin, retrouvant en cela Homère, insiste sur l'idée d'une formation autotélique du sport : il est une pratique qui est aussi dans le même temps sa récompense, et, contrairement au travail, on ne supposera dans le sport aucune fin autre que celle qui consiste en un exercice volontaire des forces dont un corps est capable. Aucune forme de pratique sportive dans l'histoire connue de l'humanité ne correspond, il est vrai, à cette définition, pas même celle qui, issue de la renaissance de l'olympisme, se dilue de nos jours dans le culte grossier et marchand du corps propre et du corps des autres.

Deux remarques peuvent être faites d'emblée. D'une part, on note dans l'autotélisme sportif la présence d'une matière, le corps ou le soi, à informer, ainsi qu'une constante référence à l'application d'une règle. Ce sont autant d'éléments par lesquels le sport peut à bon droit revendiquer le statut d'art, au moins au sens réduit de tekhne. D'autre part, ce que le sport moderne a perdu, et par quoi il diffère radicalement de la tradition athlonique grecque tient précisément en la substitution d'une fin à la seule valeur de l'athlon. Patriotisme ou règne de l'argent ont introduit dans l'activité physique cet enjeu externe ou relatif, qui semblait comme absent de la tradition grecque pré-olympique. D'une certaine façon, les jeux Olympiques grecs, en valorisant l'opposition des nations, ont déjà perdu le sens du jeu qui semblait caractériser les formes primitives du culte du sport en Crète, au xve s. av. J.-C.

À la tradition grecque, qui fait la part belle à la beauté du geste, s'est substituée la tradition médiévale de l'esbat ou du desport. Dans ce dernier terme, la fin est déterminée par l'âpreté du désir de vaincre, elle sort du pur exercice du corps pour s'adosser au prix ou à la récompense. Vaincre en tournoi, par élimination, est une structure sportive qui doit évidemment son sens aux pratiques fort peu civiles de la chevalerie. C'est en opérant la synthèse entre la glorieuse lutte gratuite homérique (soigneusement distinguée de la guerre : Achille défiant Troie dans l'Iliade n'est pas Euriale défiant Ulysse plus pacifiquement au chant VIII de l'Odyssée) et le culte médiéval de la puissance que l'on peut se former une image cohérente de ce que nous appelons, sans distinction, « sport ».

Le sport moderne a ainsi fait perdre tout sens à une appropriation systématique et globale du terme, rendant impossible de tenir sous un seul concept les pratiques qui, une fois rapportées aux conditions sociopolitiques déterminant de nos jours la pratique sportive, prennent le nom de « sport ». Certes, il est toujours possible de reconnaître à la pratique individuelle de l'exercice du corps, quelle qu'en soit la forme, la valeur d'un art, ainsi que l'affirme A. Philonenko, dans son analyse du corps du boxeur(1). Certes, un sens plus esthétique de l'art est atteint par celui qui parvient génialement à s'approprier les règles de cet art au point de le pratiquer sans qu'il soit possible de ressentir l'effort ou le travail. Nous sommes là dans le simple cadre conceptuel dressé par Kant, et il n'est pas déraisonnable de penser, par exemple, comme l'a fait Philonenko, un art de la boxe, ou mieux : un art dans la boxe. D'une façon générale, cependant, le maître mot du sport n'est pas le respect de la règle, le travail du corps qui serait à lui-même sa propre fin ou la perfection inutile et gracieuse du geste. Ce maître mot est l'association ou la fédération par laquelle une pratique, même lorsqu'elle est issue du domaine de la production (ou qu'elle relève de la simple activité de consommation (la pêche ou la chasse), prend la forme institutionnelle dans laquelle une collectivité (une nation, un peuple, une communauté ou quelques individus) reconnaît une forme commune et entend y investir le temps pendant lequel toute production matérielle est abolie, mais pendant lequel aussi se produisent de massives représentations symboliques qui en forment l'intérêt(2). Les sports les plus populaires sont effectivement ceux dont la naissance coïncide plus ou moins avec la naissance du sport fédéralisé. Tandis que survivent des pratiques plus anciennes telles que le cricket dans les anciens empires coloniaux, où elles ont été inculquées à la façon d'une pratique de culture (c'est-à-dire aux antipodes de la notion de jeu), les sports modernes sont ceux qui possèdent un fort indice participatif, reproductibles par le plus grand nombre et qui fait gloire à une élite d'élever le jeu au rang d'une représentation du génie national. C'est pourquoi le sport moderne est collectif, sauf exceptions notables (en particulier, lorsque la maîtrise d'instruments ou de machines est requise).

Évidente dans le cas des pays socio-sportivement dominés par un ou deux sports (le football latin et anglais, le base-ball nord-américain, etc.), cette constitution nécessairement associative et participative du sport, sa diffusion vers le peuple nouveau des « sportifs », est aussi clairement marquée dans la profusion actuelle des pratiques sportives moins répandues : canyoneurs, sauteurs libres et, bientôt, sans doute, pétomanes et rotomanes constituent leur communauté en une association par laquelle ils s'approprient la reconnaissance symbolique de leur savoir-faire en un sport. Le sport est chose sérieuse et se conçoit comme système(3) : telle est la contradiction majeure du sport dans sa forme institutionnelle, puisqu'il n'est plus possible de considérer la pratique indépendamment de sa visée, hors d'elle-même, comme spectacle.

Fabien Chareix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Philonenko, A., Histoire de la boxe, Criterion, Paris, 1991.
  • 2 ↑ Yonnet, P., Jeux, modes et masses, Gallimard, Paris, 1985.
  • 3 ↑ Yonnet, P., le Système des sports, Gallimard, Paris, 1998.