religion

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Étymologie discutée : du latin religio, « attention scrupuleuse », d'où « respect religieux, vénération », dérivé selon Cicéron de relegere, « recueillir, rassembler » ou selon Lucrèce de religare, « relier ».

Philosophie Générale, Philosophie de la Religion

La religion présente un double aspect : elle est a la fois la piété qui relie les hommes à la divinité et une pratique rituelle institutionnalisée. Dès lors elle se partage entre foi et institutions.

La religion est un phénomène à la fois divers : il y a de multiples religions dans le temps et dans l'espace ; et universel : il ne semble pas qu'il y ait de société sans une forme de manifestation d'une vie religieuse. Quelle unité peut-on donner au concept ? Toute religion semble délimiter une sphère du sacré et une sphère du profane comme le note Durkheim dans les Formes élémentaires de la vie religieuse(1).

Quel est le sens véritable de la religion ? Qu'est-ce qui différencie la religion de la philosophie ?

Aristote lie philosophie et théologie(2) : la philosophie première est définie comme théologie et constitue une partie de la science de l'être en tant qu'être. La théologie est science et s'occupe du genre des êtres séparés et immobiles : le divin est séparé de la matière, et il subsiste par soi-même, n'ayant pas besoin d'autre chose pour exister. La théologie est philosophie première parce que c'est la science la plus éminente(3). Aristote élabore ainsi un concept de divinité comme acte pur qui conduit à la notion de premier moteur immobile mais qui meut toute chose en ce monde. Dieu est pensée de la pensée et le divin est l'objet de la science théologique. Même si l'articulation entre ontologie, science de l'être en tant qu'être, et théologie est inachevée.

Denys(4) de son côté propose une théologie négative et explique que Dieu est au-delà de l'intelligible et de l'intellect. Grâce à l'inconnaissance, nous connaissons Dieu en tant qu'il est totalement inconnu. Le Dieu transcendant de la théologie négative est au-delà de toutes les négations.

On comprend donc que la réflexion philosophique sur la religion est d'abord essentiellement une réflexion sur le divin, sur sa nature ; cette réflexion est aussi une recherche des preuves du divin et par là elle débouche sur la question de l'articulation de la foi et de la raison. La foi s'apparente à une expérience de don, et la quête d'intelligibilité de la divinité est une dimension de la croyance. Ainsi saint Anselme commence par poser, dans une prière, que c'est Dieu qui donne « intellect à la foi »(5) pour ensuite affirmer qu'il existe dans la pensée et dans la réalité quelque chose de tel que rien de plus grand ne peut être pensé, la non-existence de cela n'étant pas pensable. La théologie est donc rationnelle. Et il est possible de prouver l'existence de Dieu par la raison. Saint Thomas(6) distingue étude théologique rationnelle et théologie reposant sur la révélation. Pascal(7) distingue quant à lui le domaine de la raison et le domaine de la foi.

Le « problème » religieux apparaît dans la philosophie kantienne. Kant, dans la Critique de la raison pure, met fin à un certain type de discours sur Dieu et notamment à toutes les preuves ontologiques de l'existence de Dieu(8). Il montre que l'existence n'est pas un prédicat, mais est un problème de la connaissance qui n'est résolu qu'en référence au postulat de la pensée empirique, c'est-à-dire en relation au contexte de l'expérience. Il faut interdire à la raison les déterminations métaphysiques de l'existence de Dieu et il faut la limiter à la seule connaissance scientifique qui nous met en rapport avec l'expérience. Il nous est interdit de connaître Dieu, mais il nous est possible d'y penser, c'est-à-dire d'en avoir une idée qui relève à présent de la croyance. La théologie rationnelle est ruinée ; Dieu n'est plus l'objet d'un acte de connaissance. Il s'agit dès lors de restaurer une croyance dans son usage pratique ou moral. Dieu devient une Idée de la raison qui permet de penser le Souverain Bien. Hegel(9) cherche lui à réconcilier foi et savoir en posant que l'absolu est l'Esprit et que les communautés religieuses ne sont que des incarnations de l'esprit divin dans le monde. Ce sont les religions qui donnent Dieu à connaître, c'est là leur contenu.

La religion devient objet de savoir, ainsi de l'anthropologie religieuse, et objet de critique. Marx voit dans la croyance religieuse une des formes de l'aliénation. Elle consiste en une dépossession des caractères de l'être humain et en une projection de l'idéal humain dans un monde imaginaire. Pour comprendre la religion, il faut commencer par analyser la société dans laquelle vivent les hommes. La religion est une expression de la misère concrète et réelle des hommes et une protestation contre cette misère : « Le combat contre la religion est donc médiatement un combat contre ce monde-ci dont l'arôme spirituel est la religion. La misère religieuse est partiellement l'expression de la misère réelle, partiellement la protestation contre la misère effective. La religion est le soupir que pousse la créature accablée, la cordialité d'un monde sans cœur tout comme elle est l'esprit de circonstances qui en sont dépourvues. Elle est l'opium du peuple »(10). La religion pour Marx exprime bien une réalité et donc de ce point de vue a un aspect de vérité. Elle proteste contre cette réalité misérable et présente un aspect polémique et politique. Mais elle n'est qu'un soupir, qu'un esprit, c'est-à-dire de bons sentiments, et non une réalité. La religion a un effet tranquillisant, stupéfiant : par rapport à une situation de détresse, elle offre un effet apaisant, prétend Marx. Mais elle ne soigne pas. Autrement dit, d'après le philosophe, la solution religieuse est une solution imaginaire, illusoire au lieu d'être une solution réelle aux difficultés et souffrances réelles. Par exemple : aux contradictions de la société, à son inégalité foncière, le christianisme oppose la vie idéale de la communauté où tous nous serions frères. D'après Marx, cette vie idéale n'est pas dépourvue d'efficacité dans le monde réel : ainsi les chrétiens se battent pour plus de justice et prônent une redistribution des richesses sous la forme de la charité. Mais la religion opère un déplacement par rapport à la réalité et à ses souffrances. D'où la suite du texte : « La suppression de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, voilà ce qu'exige son bonheur effectif. L'exigence de supprimer les illusions que l'on se fait sur son propre état, est celle de la suppression d'un état qui a besoin d'illusions ».

Bergson(11) distingue religion statique qui correspond aux pratiques rituelles institutionnalisées et religion dynamique, le rapport personnel de piété à la divinité. Tout questionnement philosophique sur la religion ne peut gommer la particularité de l'expérience religieuse qui s'exprime dans la foi.

Elsa Rimboux

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Durkheim, E., Les formes élémentaires de la vie religieuse, PUF, Paris, 1995.
  • 2 ↑ Aristote, Métaphysique, E, 1026a20, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1953.
  • 3 ↑ Aubenque, P., Le problème de l'être chez Aristote, PUF, Paris, 1991.
  • 4 ↑ Denys le Pseudo-Aréopagite, Théologie mystique, in Œuvres complètes, Aubier, Paris, 1980.
  • 5 ↑ Saint Anselme, Proslogion, II, trad. de B. Pautrat, Flammarion, Paris, 1993.
  • 6 ↑ Saint Thomas, Somme théologique, Cerf, Paris, 1984.
  • 7 ↑ Pascal, B., Pensées, in Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1954.
  • 8 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, « Dialectique transcendantale », livre II, chap. 3, 4e section, in Œuvres philosophiques, I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1980, p. 1210.
  • 9 ↑ Hegel, G.W.F., Leçons sur la philosophie de la religion, trad. J. Gibelin, Vrin, Paris, 1975.
  • 10 ↑ Marx, K., Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Ellipses, Paris, 2000.
  • 11 ↑ Bergson, H., Les deux sources de la morale et de la religion, PUF, Paris, 1995.

→ Dieu, foi, polythéisme