racisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Terme apparu au début du xxe s.
Morale, Politique
Idéologie présupposant la croyance dans la notion scientifiquement infondée de race, et impliquant une vision du monde déterministe et discriminatoire qui a pour conséquence une négation de l'égalité et de la liberté humaines.
Le terme « racisme » n'est pas apparu en même temps que celui de « race ». Dans les nombreux textes qui, en particulier au xviiie s., tentent d'élaborer une définition de la race (on peut citer notamment deux opuscules, Des différentes races humaines et Définition du concept de race humaine, dans lesquels Kant se livre à une défense du concept de « genre originel » ou de « souche commune » de l'humanité(1)), celle-ci n'est pas considérée comme le principe moteur permettant d'expliquer ou de juger le développement de l'histoire humaine. Précisons, en premier lieu, quelle articulation théorique – ou rhétorique – relie la notion de race à l'idéologie du racisme, en empruntant à H. Arendt une définition : « Le mot “race” dans racisme ne signifie aucunement une curiosité authentique au sujet des races humaines en tant que domaines d'exploration scientifique ; il est une “idée” qui permet d'expliquer le mouvement de l'histoire comme un processus unique et cohérent. »(2). En d'autres termes, le racisme présuppose « la croyance qu'il existe un mouvement inhérent à l'idée même de race ». À l'« idée » de race, le racisme ajoute ainsi le développement « logique » propre à cette idée – une logique qui, selon la formule d'Arendt, « ne requiert aucun facteur extérieur pour la mettre en mouvement ». En ce sens, on peut dire que l'Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-1855) d'A. de Gobineau constitue déjà une tentative pour donner un sens – une « loi » – à l'histoire humaine : « loi d'évolution unique » qui transforme le déterminisme racial (l'Essai affirme la « permanence » des caractères « raciaux » héréditaires) en un principe unique d'explication de l'histoire universelle, conduisant d'une diversité hiérarchique (les trois races fondamentales) à l'unité de l'espèce, selon un processus que Gobineau juge nécessaire et inéluctable.
Pour reprendre une distinction cruciale des Origines du totalitarisme, on peut dire que l'Essai de Gobineau est exemplaire de la « pensée raciale » qui a précédé le développement du « racisme » à proprement parler. Cette pensée combine déjà plusieurs éléments qui seront « mis en œuvre » par le racisme : le présupposé (scientifiquement infondé) d'une pureté de la race, articulée à une hiérarchie des différentes races, donc à leur inégalité ; un postulat déterministe sous-jacent qui, en ruinant le principe d'égalité, implique l'impossibilité d'un développement « libre » de l'humanité. C'est sur cette « pensée raciale » que des idéologues, à la fin du xixe et surtout au xxe s., fonderont des mouvements politiques destinés à mettre en place une société et un État racistes. Pour que l'on passe du concept de race au racisme, une évolution historique a donc été nécessaire. Dans la langue française, le terme « racisme » apparaît dans un article du journal ultraréactionnaire fondé et dirigé par É. Drumont, la Libre Parole, sous la plume de G. Méry, le 18 novembre 1897 : « Il est vraiment temps que, dans les réunions populaires, des voix vraiment françaises, vraiment racistes, opposent leur éloquence à la rhétorique des hâbleries internationalistes. » Arendt a montré que, au tournant du xxe s., cette « perversion » de la « conscience nationale » en « conscience de race » est liée au développement des politiques impérialistes ; elle fait l'hypothèse que la « pensée raciale » aurait disparu si « l'impérialisme [n'avait] dû inventer le racisme comme seule “explication” et seule excuse possible pour ses méfaits ».
Si l'on observe l'institution du mot « racisme » dans la pensée politique du xxe s., on peut constater avec P.-A. Taguieff que « le sens descriptif-polémique du mot “racisme” ne s'est fixé que dans la seconde moitié des années 1920 », à une époque où il « ne désigne plus seulement une philosophie de l'histoire fondée sur le primat ou la dominance des facteurs ethniques (la métaphysique ethno-historique de Gobineau en fournissant le modèle approché) »(3), ni une pseudoscience sociologico-biologique, ni un système de préjugés, mais « une conception du monde exclusiviste » qui se traduira, avec le nazisme, par l'extermination de millions d'êtres humains désignés comme représentants d'une race « inférieure » et « ennemie ». La mise en œuvre par le nazisme d'un régime politique fondé sur la discrimination raciste a montré que, comme l'écrit Arendt, « la race est, politiquement parlant, non pas le début de l'humanité mais sa fin, non pas l'origine des peuples mais leur déchéance, non pas la naissance naturelle de l'homme mais sa mort contre-nature ». Après la Seconde Guerre mondiale, alors qu'une déclaration de l'Unesco a proclamé en 1950 l'unité de l'espèce humaine, il reste à étudier les métamorphoses contemporaines du racisme (phénomène qui englobe, comme Taguieff l'a analysé, une idéologie, un préjugé et un comportement), à travers, par exemple, l'idéologie différentialiste affirmant une pseudo supériorité culturelle de l'Occident, afin de demeurer vigilants à cette négation de l'égalité humaine d'où découle une remise en cause de la liberté.
Hélène Frappat
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Kant, E., « Des différentes races humaines » et « Définition du concept de race humaine », in Opuscules sur l'histoire, trad. S. Piobetta, Flammarion, Paris, 1990.
- 2 ↑ Arendt, H., les Origines du totalitarisme, trad. M. Pouteau, M. Leiris, J.-L. Bourget, R. Davreu, P. Lévy, révisée par H. Frappat, Gallimard, Paris, 2002.
- 3 ↑ Taguieff, P.-A., la Force du préjugé, Essai sur le racisme et ses doubles, La Découverte, Paris, 1987.
