musée

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec museion, litt. « enclos des Muses », et centre de recherches fondé sous le règne de Ptolémée Ier par Démétrios de Phalère ; par le latin museum, redécouvert à la Renaissance et devenu d'usage courant au xviiie s.

Esthétique

Lieu incarnant un idéal d'espace public des arts et du savoir, au nom d'une libre jouissance des chefs-d'œuvre et des témoignages de la civilisation.

Aux yeux de l'opinion éclairée de la seconde moitié du xviiie s., les collections d'art et d'histoire doivent non seulement offrir matière à délectation mais encore contribuer à la prospérité générale, en procurant des modèles aux artistes et aux artisans. Le musée antique, et spécialement celui d'Alexandrie, constitue la référence longtemps obligée : la nouvelle institution veut conserver la mémoire des artistes pour la postérité, susciter l'émulation des élèves, réformer les mœurs – bref former le goût, au moment où se constitue l'esthétique philosophique.

La Révolution française provoque un mouvement européen de transfert des propriétés et de circulation des œuvres qui conjugue construction de l'État-nation et invention d'un patrimoine et de traditions. Les musées de l'âge romantique deviennent autant de monuments du beau et du vrai consacrés à la communion avec l'œuvre et, selon un modèle allemand qui tend à l'hégémonie intellectuelle, au projet pédagogique de la Bildung. Leur décor historiciste accorde de plus en plus de place à une culture tout à la fois nationale et moderne, à côté d'une tradition antiquisante maintenue. Surtout le musée, entendu comme l'histoire visible de l'art, devient la matrice d'intelligibilité de la « vie des formes ».

Si une première muséophobie, liée à la thèse de la « destination » de l'œuvre d'art, est apparue dès l'origine de l'établissement – ainsi chez l'esthéticien et historien d'art Quatremère de Quincy(1) qui invente le musée mortifère –, celle-ci ne devient un « problème » qu'avec P. Valéry(2). Mais c'est la critique des Lumières, développée par l'école de Francfort et ses successeurs, qui porte la condamnation la plus radicale d'une entreprise désormais tenue pour impossible. Ignorant ce diagnostic, le musée de l'après-guerre fournit au contraire le cadre emblématique d'un programme de « développement culturel ». Les débats sont marqués en France par les enquêtes de Bourdieu et la dénonciation d'une confiscation de facto de l'établissement par les privilégiés de l'amour de l'art.

L'actuelle réorganisation des musées est à vrai dire moins marquée par ce legs polémique que par des soucis inédits (marketing et politique des publics) qui sont ceux du tourisme culturel international. Une « nouvelle muséologie », volontiers militante, présente les écomusées, les musées de société et les musées mémoriaux comme autant d'alternatives au modèle traditionnel tandis que triomphe, au sein de grands musées d'art rénovés ou construits à grands frais, le principe de l'exposition pour créer une « actualité ». Dans cet espace d'échange – et de prédation pour ce qui concerne les relations Nord-Sud –, les œuvres s'inscrivent d'un contexte à l'autre, souvent dénommées à partir du musée qui les possède et les labellise. Enfin, les fondations multipliées de musées d'art moderne, contemporain, ou actuel, prouvent combien l'institution incarne toujours la légitimité du canon, celui-ci fût-il élaboré ailleurs.

Les musées témoignent des relations d'une société aux autres mondes, exotiques ou disparus, comme aux représentations de mondes imaginaires : le discours de musée est toujours un savoir sur l'autre qui permet de définir une identité. En ce sens, chaque créateur de formes – et l'artiste contemporain au premier chef – a été confronté à la nécessité d'entrer au musée ou, au contraire, d'y échapper, en tout cas de répondre à son autorité.

Dominique Poulot

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Quatremère de Quincy, A., Considérations morales sur la destination des ouvrages de l'art (1815), Fayard, Paris, 1989.
  • 2 ↑ Valéry, P., « Le problème des musées » (Le Gaulois, 4 avril 1923), repris dans Pièces sur l'art (1934), in Œuvres, t. II, Gallimard, Paris, 1960.
  • Voir aussi : Bennett, T., The Birth of the Museum :History, Theory, Politics, Routledge, Londres, 1995.
  • Haskell, F., Saloni, Gallerie, Musei e loro influenza sullo sviluppo dell'arte dei secoli xix e xx, Actes du XXIVe congrès CIHA, Clueb, Bologne, 1982.
  • Impey, O. R., et Macgregor, A. G. (éds.), The Origins of Museums, Asholean Museum, Oxford, 1985.
  • Poulot, D., Musée, nation, patrimoine, 1789-1815, Gallimard, Paris, 1997.