mort

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin mors.

Philosophie Générale

Horizon indépassable de tout déni, de tout fantasme, de toute angoisse et de toute espérance.

Destin de tout organisme complexe (appelé vivant en ce qu'il s'oppose durant son existence à la mort – selon la célèbre formule de Bichat(1)), la mort apparaît aussi inéluctable qu'indéfinissable : on ne peut que la constater, au mieux la décrire, en montrant que l'organisme meurt lorsque cessent les fonctions qui en assurent l'unité. Il reste que la mort est pour l'homme l'horizon indépassable de tout déni, de tout fantasme, de toute angoisse, et de toute espérance.

La mort n'est-elle pas rien, comme le néant auquel elle amène (« Quand nous sommes, la mort n'est pas là, quand la mort est là, nous ne sommes plus », écrit Épicure à Ménécée(2) : la mort n'est que non-vivre), et qu'a-t-elle de plus angoissant que le néant d'avant la naissance(3) ? La philosophie a-t-elle quelque chose à dire de cet objet, alors que Spinoza assigne à l'homme libre non la mort, mais la vie comme objet de méditation(4) ? On ne peut, en effet, rien dire d'une mort dont on ne fait l'expérience que par celle d'un proche – la mort de tout autre nous laissant le plus généralement indifférents – et encore la douleur alors ressentie n'est pas celle de la mort, mais celle, autocentrée, de la perte(5).

Cette expérience même, cependant, nous rappelle sans cesse à notre destin, et son occultation ne fait qu'aviver fantasmes et angoisses : nous savons que, nous aussi, nous devons mourir. Intégrer la mort dans le processus naturel de la vie est, sans doute, encore la meilleure façon d'en gérer l'angoisse. « Mourir, dit Marc-Aurèle, c'est aussi un des actes de l'être vivant »(6) : penser la vie, c'est aussi penser sa fin, et vivre bien, c'est aussi se préparer à bien mourir, tant il est vrai que nous craignons moins la mort que l'idée de la mort – tel est le sens des exercices stoïciens de préparation à la mort(7), si loin de la facticité d'une stratégie inverse, qui voudrait dans le divertissement oublier l'inoubliable. Occulter la mort, c'est rater l'occasion de réussir sa mort(8). Or, l'attitude de nos sociétés occidentales illustre ce déni : la mort est évacuée comme un échec, alors qu'il importerait de faire le choix – qui peut être politique, en encourageant la création d'unités de soins palliatifs – de considérer la mort comme le dernier moment (que l'on peut accompagner, entourer médicalement et affectivement, afin qu'il ne soit pas réduit au dernier instant) de la vie. Cela n'est pas prétendre vouloir émousser le tranchant de la mort, mais conférer du sens à son attente : le mourant mérite cette sérénité inquiète d'une réflexion qui négocie avec la mort, pariant sur le « beau risque » d'une âme immortelle(9) ou acceptant le néant qui advient.

Valéry Laurand

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Bichat, Fr., Recherches physiologiques sur la vie et la mort, Vrin, Paris, 1981.
  • 2 ↑ Épicure, Lettre à Ménécée, § 125, trad. M. Conche, PUF, Paris, 1990, p. 219.
  • 3 ↑ Lucrèce, De rerum natura, III, 852-853, trad. J. Kany-Turpin, Aubier, Paris, 1993, p. 229.
  • 4 ↑ Spinoza, B., Éthique, IV, LXVII, trad. B. Pautrat, Seuil, Points, Paris, 1999.
  • 5 ↑ Épictète, Manuel, XXVI, in Les stoïciens, II, trad. É. Bréhier, Gallimard, TEL, Paris, 1997.
  • 6 ↑ Marc Aurèle, Pensées, VI, 2, in Les stoïciens, II, op. cit.
  • 7 ↑ Épictète, Entretiens, III, 39, in Les stoïciens, II, op. cit.
  • 8 ↑ Sénèque, Lettre à Lucilius, IV, 30, 10, in Les stoïciens, II, op. cit.
  • 9 ↑ Platon, Phédon, 114 d, trad. M. Dixsaut, Flammarion, GF, Paris, p. 303.

→ vie

Philosophie Générale, Biologie

Qualifie pour un organisme vivant, et par métaphore pour les objets, l'état qui s'oppose à la vie.

La définition de la mort est inséparable de la définition de la vie. On distingue la mort brutale, due à des causes externes, et la mort dite « naturelle », fin du processus de vieillissement ou sénescence.

La mort est certaine, au sens où elle est nécessaire pour tout vivant ; elle ne l'est pas, dans la mesure où son diagnostic peut être délicat.

Dans la philosophie aristotélicienne et sa reprise, chez Maïmonide (1138-1204) par exemple, « la mort est, par rapport à tout être vivant, la privation de la forme ».(1)

Pour Bichat (1771-1802) et le vitalisme, la mort naturelle signifie la cessation des fonctions vitales et l'emprise des forces chimiques et physiques, et elle est « remarquable, parce qu'elle termine presque entièrement la vie animale, longtemps avant que l'organisme ne finisse »(2).

À partir du xviiie s., la médecine légale s'est efforcée de définir la mort, accidentelle ou naturelle, pour dresser une étiologie de la mortalité et pour établir un diagnostic : rigidité du cadavre, absence de contraction musculaire, etc., pour éviter les cas d'enterrements de personnes vivantes.

Cédric Crémière

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Maïmonide, M., Le guide des égarés, Verdier, Paris, 1979, p. 434.
  • 2 ↑ Bichat, X., Recherches physiologiques sur la vie et la mort (première partie) (1800), Flammarion, GF, Paris, 1994, § 215.
  • Voir aussi : Fagot-Largeault, A., Les causes de la mort. Histoire naturelle et facteurs de risques, Vrin, Paris, 1989.
  • Rey, R., « Naissance et développement du vitalisme en France, de la seconde moitié du xviiie s. à la fin du premier Empire », thèse de doctorat (histoire), université de Paris-I, 1987.

→ vie, vitalisme




mort

Psychanalyse

→ Éros et Thanatos