mélancolie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec melas, « noir », et kholè, « bile ». En allemand : Melancholie.
Philosophie Antique, Philosophie de la Religion
1. État psychique dominé par la tristesse ou par la dépression morbide. – 2. (anc.) Déséquilibre du système humoral, dont la cause réside en un excès de bile noire qui épaissit le sang, dessèche l'organisme, lui ôte sa vigueur cependant qu'elle frappe le cerveau de visions lubriques et effroyables, selon une courbe qui va du mal-être au refus d'être.
À la Renaissance toutefois, la mélancolie est davantage que l'expression d'un malaise revêtant les formes de la lassitude, du chagrin, de l'angoisse et de la misanthropie où l'enferme l'imagerie traditionnelle. Si elle reste un état psychologique, encore ne faut-il pas ignorer que, dès le xve s., elle se voit douée d'une positivité que le Moyen Âge avait partiellement occultée, et qui la distingue de l'acedia monacale : l'exaltation des vertus spéculatives de l'individu indissociables de la dignité humaine, dont la Melancolia I, de Dürer, constitue peut-être le témoignage le plus puissant(1).
Ainsi la mélancolie est-elle une disposition favorisant la contemplation philosophique en tant qu'elle provoque une vacance de l'âme qui s'éveille par son sommet à l'activité intelligible et qui s'unit de manière extatique au divin. Mais l'effet de cette contemplation est d'accroître la mélancolie, dans la mesure où l'âme est si absorbée par l'étude qu'elle oublie d'assurer le bon fonctionnement du corps. Pareil cercle n'échappe pas à Ficin, qui, conscient que l'atrabile constitue le mal distinctif et inévitable des studiosi, propose une médecine fondée sur la diététique, la pharmaceutique et la iatromathématique, supposée alléger le sort du saturnien, non l'éradiquer(2). Aux yeux du Florentin, la mélancolie d'origine aristotélicienne est moins le propre d'un tempérament particulier que de l'inspiration divine platonicienne – elle est un don de Saturne, la plus haute des planètes, celle qui réserve à ses enfants un destin d'exception. Est-ce dire que l'atrabilaire est pathologiquement déterminé ? Ficin se garde de le penser, et la thérapie solaire qu'il développe conjure les conséquences néfastes de l'humeur noire en tempérant ses excès. L'usage que nous faisons d'elle décide de sa bonté ou de sa nocivité.
Divine, la mélancolie hausse l'homme au rang d'alter deus dont le génie rivalise avec celui du Créateur suprême, et s'identifie à la fureur en un même procès de divinisation. Bruno souligne combien le dérèglement de l'imagination mélancolique fournit à l'artiste des visions qui prennent corps dans ses œuvres. Accordant l'existence à ce qui jusqu'à lui était invisible, le génie mélancolique impose sa loi sublime au monde qui l'environne, tandis que sa souffrance fait de lui un héros(3). Ainsi ne s'étonnera-t-on pas que la mélancolie ouvre, avec Burton, à une réflexion politique où l'acidité satirique et la fiction utopique permettront de dénoncer les misères du temps et de proposer le modèle d'une république poétique où les lettrés seront rois(4).
Sébastien Galland
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Klibansky, R., Panofsky, E., Saxl, F., Saturne et la Mélancolie, Gallimard, Paris, 1989, pp. 389-432, 502-570.
- 2 ↑ Ficin, M., De Triplici Vita, I, 5.
- 3 ↑ Bruno, G., Des fureurs héroïques, I, 1, Les Belles Lettres, Paris, 1999.
- 4 ↑ Burton, R., L'Anatomie de la mélancolie, « Démocrite au lecteur » (Préface), Corti, Paris, 2000.
Psychanalyse
État psychique présentant une dépression intense, avec suspension de l'intérêt pour le monde extérieur, inhibition généralisée, perte de la capacité d'aimer et douleur morale. Appartient aux troubles du narcissisme.
Étudiée dès Hippocrate, considérée jusqu'à la Renaissance comme une folie partielle, sans atteintes intellectuelles, avec laquelle le génie créateur a des affinités(1), la mélancolie entre dans la nosographie psychiatrique au cours du xixe s.(2), comme psychose maniaque dépressive.
Freud la compare et l'oppose au deuil. La perte d'un objet d'amour auquel le moi s'identifie donne lieu au « travail de deuil » : élaboration de la séparation. À l'inverse, dans la mélancolie, l'objet perdu prend la place du moi de façon stable : « L'ombre de l'objet est tombée sur le moi. »(3). Le sadisme se déchaîne alors, « ce qui règne dans le sur-moi est pour ainsi dire une pure culture de la pulsion de mort »(4). Ainsi, la perte du sentiment d'estime de soi, les autoreproches et autoaccusations, l'attente délirante d'un châtiment et le suicide s'avèrent des agressions adressées à l'objet.
Si la métapsychologie élucide le mécanisme de la mélancolie par la topique, et la douleur mélancolique par la stase des investissements et par les relations sadomasochiques intra-psychiques, elle laisse ouverte la question étiologique. La relation de la mélancolie à la création dépend de leur capacité commune à rejeter une partie de la réalité usuelle au profit de constructions nouvelles (délirantes, en cas de mélancolie).
Abdelhadi Elfakir et Michèle Porte
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Kiblansky, R., Panofsky, E., et Saxl, F., Saturne et la mélancolie (1964), in Études historiques et philosophiques : nature, religion, médecine et art, trad. F. Durand-Bogaert et L. Evrard, Gallimard, Paris, 1989.
- 2 ↑ Kraepelin, E., « La psychose maniaco-dépressive » (1899 et 1913), trad. G. Boyer, in Revue des sciences psychologiques, no 3, 1913, pp. 221-281, et no 4, pp. 337-339, réédition J. Million, Grenoble, 1993.
- 3 ↑ Freud, S., « Deuil et Mélancolie » (1917), in Métapsychologie, Gallimard, Paris, 1952, pp. 189-222.
- 4 ↑ Freud, S., « Le moi et le ça » (1923), in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1951, p. 296.
→ ambivalence, identification, moi, narcissisme, sadisme-masochisme, surmoi