leibnizianisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Moderne

Doctrine de G. W. Leibniz (1646-1716).

Véritable esprit universel au savoir réellement encyclopédique, fervent partisan d'une réunion des Églises catholique et protestantes, Leibniz fut à la fois philosophe, théologien, juriste, historien, mathématicien (promoteur avec Newton du calcul infinitésimal), physicien, diplomate, conseiller des princes et des empereurs.

Né en 1646 d'une famille luthérienne, bachelier en 1663 avec une thèse sur le principe d'individuation, puis docteur en droit, il publie en 1666 le De Arte combinatoria (Sur l'Art combinatoire). Son voyage à Paris (1672-1676) lui permet de nouer des contacts avec les milieux savants et de s'initier aux derniers développements des mathématiques et de la physique. En 1686, il rédige le Discours de métaphysique et en discute les principales thèses avec Arnauld. Après un second voyage qui le mène jusqu'en Italie, il publie le Système nouveau de la nature et de la communication des substances (1695), commence en 1703 la rédaction des Nouveaux Essais sur l'entendement humain (critique de l'empirisme de Locke), et fait paraître en 1710 les Essais de théodicée. La Monadologie, composée en 1714, ne sera pas publiée du vivant de Leibniz qui meurt en 1716, laissant une masse considérable de textes inédits.

Méthode et principes

Leibniz a très tôt l'idée d'un art combinatoire par lequel il serait possible de réduire tout raisonnement à un calcul, en ramenant par l'analyse tous nos concepts à un petit nombre de notions primitives – un « alphabet des pensées humaines » – auxquelles serait associé une lettre ou un caractère. Pensé sur le modèle des mathématiques, cet art de juger et d'inventer, opérant sur des signes et les combinant suivant les règles logiques, permettrait d'éviter facilement l'erreur et mettrait fin à toutes les controverses. La conception d'un tel projet – qui ne trouva en réalité de développements que dans les domaines logique et mathématique notamment avec le calcul infinitésimal – est liée à la critique leibnizienne de l'évidence comme critère absolu du vrai. Contre Descartes, Leibniz affirme que la marque de la vérité n'est pas dans l'évidence – toute subjective et psychologique – mais dans la forme même du raisonnement, dans l'enchaînement strict des raisons. Toute proposition vraie qui n'est pas identique – de forme « A est A » – doit pouvoir être prouvée par l'analyse de ses termes, en montrant l'inhérence de la notion du prédicat dans celle du sujet (Praedicatum inest subjecto), c'est-à-dire dans sa définition(1).

L'analyse logique permet donc de rendre raison de la vérité des propositions. Elle n'est qu'une application du principe de raison suffisante – rien ne saurait être vrai ou existant sans raison – qui, joint à celui de contradiction – de deux propositions contradictoires, l'une est vraie, l'autre est fausse – constituent pour Leibniz les deux grands principes sur lesquels reposent tous nos raisonnements.

Les substances

Dans la Monadologie, Leibniz définit l'univers comme un tout continu, constitué d'une infinité de monades ou substances simples – unités sans parties – dont les agrégats forment les substances composées ou corps. Les monades sont « les véritables Atomes de la Nature »(2), mais sont incorporelles. Pas une n'est identique à une autre. Aucune cause extérieure – excepté Dieu – ne saurait influer sur elles qui « n'ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir » (§ 7). Tout changement dans une monade – action ou passion – naît donc de son propre fond. Selon l'hypothèse de l'Harmonie préétablie, Dieu, « Unité primitive » dont toutes les monades sont des productions, règle leurs rapports, faisant que chacune, en ne suivant que ses lois propres, s'accorde pourtant avec toutes les autres, comme s'il y avait influence réciproque. Ainsi s'explique l'union de l'âme et du corps, les corps suivant les lois des causes efficientes, « comme si (par impossible) il n'y avait point d'âmes », les âmes les lois des causes finales « comme s'il n'y avait point de corps » (§ 81).

Dans cet univers où toutes choses sont liées et « s'accommodent », chaque monade « a des rapports qui expriment toutes les autres [monades] ». « Miroir vivant perpétuel de l'univers » (§ 56), elle exprime à sa manière et selon son point de vue le monde entier. Sa perception est donc infinie. De même qu'au bord du rivage, en entendant le bruit de la mer, je perçois sans le discerner des autres le son que produit chaque gouttelette, mon âme « connaît l'infini, connaît tout »(3) quoique confusément, recevant les impressions que tout l'univers fait sur elle.

Le meilleur monde possible

Quelle raison a déterminé le choix divin de cet univers, parmi une infinité d'autres également possibles ? La considération du meilleur : Dieu, pensant toutes les combinaisons et séries possibles de choses, comparant leurs perfections et défauts relatifs(4), a choisi l'univers qui est le plus parfait possible physiquement – celui où se réalise le maximum de réalité ou d'essence – et moralement – celui où les esprits reçoivent le plus de bonheur. Un monde sans péché ni souffrance n'aurait-il pas été meilleur ? L'univers forme une série dont on ne peut changer un élément sans changer tout l'ensemble : y supprimer le moindre mal, ce serait vouloir un autre monde que celui qui « tout compté, tout rabattu, a été trouvé le meilleur par le créateur qui l'a choisi » (Théodicée § 9).

La Théodicée – doctrine de la justice de Dieu – justifie l'existence du mal, en montrant qu'il a sa place dans l'harmonie du monde. Le mal n'est pas voulu directement par Dieu, mais seulement permis. Contrepartie d'un bien qu'il magnifie en le rendant plus sensible, il est pareil à l'ombre qui rehausse l'éclat des couleurs dans une belle peinture, ou à la dissonance qui s'accorde aux consonances dans la plus parfaite musique (§ 12). Notre point de vue limité dans le temps et l'espace ne nous permet pas de contempler cette harmonie générale que Dieu seul voit dans l'éternité et l'immensité du tout. L'univers est le meilleur possible parce qu'il est le tout dont le rapport entre les parties constitue l'harmonie la plus parfaite. La présence du mal signifie que ce meilleur n'est pas d'ordre quantitatif – sinon toutes les parties seraient les meilleures – mais d'ordre qualitatif supposant la variété et la différence des parties.

La notion d'harmonie apparaît comme un concept clé dans la pensée de Leibniz. Elle exprime un accord, une convenance entre le même et le divers, l'un et le multiple, l'ombre et la lumière. Elle unit les contraires sans les confondre, assurant une unité tout en maintenant les différences. Tout est harmonie : la monade – unité d'une diversité – la communication entre toutes les substances, le rapport du règne de la Nature à celui de la Grâce, l'univers lui-même, tout démultiplié infiniment par chacune de ses parties. L'uniformité alliée à la plus grande diversité, voilà ce qui pour Leibniz résume le mieux toute sa philosophie. « Que c'est ailleurs tout comme ici » et que « che per variar natura è bella » (c'est par la variété que la nature est belle), ce sont là deux principes « qui paraissent se contrarier, mais qu'il faut concilier en entendant l'un du fond des choses, l'autres des manières et des apparences »(5).

Paul Rateau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Leibniz, G. W., Recherches générales sur l'analyse des notions et des vérités, PUF, Épiméthée, Paris, 1998, p. 277.
  • 2 ↑ Leibniz, G. W., Monadologie, § 3, GF, Paris, 1996, p. 243.
  • 3 ↑ Leibniz, G. W., Principes de la Nature et de la Grâce, § 13, GF, Paris, 1996, p. 231.
  • 4 ↑ Leibniz, G. W., Essais de Théodicée, § 225, GF, Paris, 1969, p. 253.
  • 5 ↑ Leibniz, G. W., Lettre à la reine Sophie-Charlotte, 8 mai 1704, GF, Paris, 1996, p. 87.
  • Voir aussi : Gottfried Wilhelm Leibniz, Sämtliche Schriften und Briefe, édition de l'Académie des sciences de Berlin, Darmstadt, Berlin, 1923.