irréversibilité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Physique

Impossibilité d'inversion spontanée de la séquence des états dans une transformation. Caractère d'un processus thermodynamique accompagné de production d'entropie.

Le « paradoxe de l'irréversibilité » naît d'un conflit apparent entre la symétrie de la plupart des lois physiques régissant les processus microscopiques, et la dissymétrie des évolutions constatées au niveau macroscopique.

Le constat d'irréversibilité des transformations macroscopiques a trouvé sa place en physique sous la forme d'un postulat introduit par R. Clausius (1850, 1865) après S. Carnot (1824). Il s'agit du second principe de la thermodynamique, ou principe de la croissance de l'entropie. Mais l'accord de ce postulat avec la réversibilité des lois de la mécanique, censées régir les constituants microscopiques des corps, était loin d'aller de soi. L. Boltzmann crut avoir résolu le problème, en 1866 et en 1872, par son « théorème H », qui établissait la stricte irréversibilité de l'évolution d'un gaz à partir des lois de la mécanique. L. Loschmidt (1876) objecta cependant à Boltzmann qu'il suffisait de changer par la pensée le signe des vitesses de toutes molécules d'un gaz pour faire correspondre à chaque évolution d'un gaz son inverse exact. Boltzmann dut alors atténuer la portée de son théorème H. À partir de 1877, il se contenta d'affirmer que le théorème H montrait la grande improbabilité, plutôt que l'impossibilité, d'une réversion de la séquence des états macroscopiques d'un gaz. Qui plus est, cette improbabilité ne résultait pas des seules lois de la mécanique. Il fallait, pour la démontrer, utiliser des hypothèses complémentaires : celle du « chaos moléculaire », d'une part ; et celle de l'écart des conditions initiales vis-à-vis des états d'équilibre, d'autre part. Durant le dernier quart du xxe s., I. Prigogine a substitué aux hypothèses quelque peu artificielles de Boltzmann (puis de J. W. Gibbs) des considérations sur le caractère exponentiellement divergent (« chaotique », au sens contemporain du terme) des processus impliquant de grands nombres de molécules. Quant à l'écart des conditions initiales par rapport aux états les plus probables, plusieurs travaux se sont attachés à en identifier la « source ultime » dans le passé cosmologique.

L'une des principales difficultés conceptuelles vient ici d'un manque de distinction claire entre l'irréversibilité et l'asymétrie du temps. Rien n'empêche, en principe, de formuler des énoncés d'irréversibilité sans aucune référence explicite au sens du temps. Il suffit, pour cela (comme l'ont montré E. Schrödinger, en 1950, et H. Reichenbach, en 1956), de montrer que le produit des variations d'entropie de deux sous-systèmes couplés est positif, autrement dit que l'entropie des divers sous-systèmes constituant l'Univers varie conjointement. Une telle famille d'énoncés a l'intérêt d'inciter à bien poser le problème de l'irréversibilité. Ce problème ne devrait plus porter sur la nature du lien qu'est censé entretenir un temps abstrait réifié avec chaque processus physique considéré isolément, mais sur la manière dont le couplage mutuel entre divers systèmes leur impose une direction commune unique d'évolution. Le sens des temps croissants peut ensuite être conventionnellement choisi par référence à l'irréversibilité des processus macroscopiques couplés qui s'y déroulent.

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Davies, P. C. W., The Physics of Time Asymetry, 1974.
  • Landsberg, P. T., The Enigma of Time, Adam Hilger, 1982.
  • Prigogine, L., Introduction à la thermodynamique des processus irréversibles, Dunod, 1968.
  • Reichenbach, H., The Direction of Time, University of California Press, 1956.

→ entropie, thermodynamique