ironie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec eirôneia, « interrogation de celui qui feint d'ignorer ».
Philosophie Générale
1. Mode éristique et méthode de questionnement philosophique par laquelle on pousse l'adversaire à l'absurde. – 2. Regard critique jeté sur le monde, dans le romantisme allemand.
L'ironie a un inventeur, Socrate, et une fonction apparente, la réfutation, qui en trace l'ambiguïté : elle semble être l'arme rhétorique de celui qui refuse la rhétorique. Face à l'assurance du discours de son interlocuteur, appuyée sur une puissante construction ou sur l'assentiment de l'opinion commune, Socrate réclame de pouvoir « examiner » la thèse de son adversaire, c'est-à-dire de l'amener à affirmer ou à nier selon un ordre de questions que Socrate lui-même décide, et qui partent toujours de l'affirmation d'ignorance(1). Mais, contrairement à l'interprétation courante selon laquelle Socrate sait parfaitement ce qu'il feint d'ignorer, et qui a donné lieu au sens moderne de l'ironie (« dire le contraire de ce que l'on pense »), en réalité l'ironie mobilise une véritable suspension de l'opinion. Le temps durant lequel Socrate affirme qu'il ne sait pas de quoi parle son adversaire voit se développer toutes les conséquences et les contradictions d'un discours en apparence solide : et si l'ironie aboutit à réfuter l'adversaire, c'est secondairement, car elle vise en fait à examiner le propos de Socrate lui-même, avec toute la minutie possible, afin qu'il ne s'imagine pas savoir quelque chose qu'en réalité il ne sait pas(2). Mais par là, l'ironie socratique se montre un travail authentiquement philosophique. Elle ne vise pas à disqualifier un discours particulier, mais, contre Protagoras, à rendre faible tout discours fort : elle prend le contre-pied de la rhétorique en forçant tout discours à s'exposer. Elle renverse les savoirs constitués, qui ne sont au mieux que des opinions droites : par là, elle est « une dimension interne au savoir, non une tabula rasa préalable »(3). L'ironie est un exercice de non-savoir qui n'aboutit pas au scepticisme, mais à la libération de l'esprit.
C'est dans cette idée de libération que l'on peut trouver une continuité entre l'ironie socratique et sa version romantique, dans laquelle l'ironie est la marque du génie, qui peut refuser de prendre au sérieux le monde qui l'entoure, parce que le divin qui l'habite le libère des conventions. Kierkegaard, pour sa part, retient du concept l'instabilité et la tension, pour poser une ironie existentielle, comme réponse de l'homme à une position intenable entre la fuite incessante de la jouissance et l'abstraction de l'exigence d'un fondement stable(4).
Sébastien Bauer
Notes bibliographiques
