intersubjectif
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Épistémologie
Qualifie ce qui se rapporte à la relation entre des sujets, ce qui s'établit dans la relation entre différentes consciences observantes et / ou raisonnantes.
L'intersubjectivité a souvent été érigée en moyen de passer de la subjectivité à l'objectivité et, partant, en critère d'acceptation des propositions scientifiques – la confrontation entre une multitude de consciences individuelles étant supposée éliminer tous les caractères idiosyncrasiques contingents propres à chaque subjectivité singulière, et mettre de cette manière à nu le noyau résiduel des propositions que tout être rationnel reconnaît à la réflexion, en l'état des données et des moyens d'investigation disponibles, ne pas pouvoir ne pas retenir (ou dans une version affaiblie : avoir de meilleures raisons d'accepter que de rejeter)(1).
L'accord intersubjectif ne peut évidemment prétendre constituer une authentique garantie de l'objectivité, voire de la vérité, des propositions scientifiques, qu'à condition de procéder lui-même de bonnes raisons(2) : de résulter de contraintes rationnelles produites via un réseau d'arguments mobilisant les procédures discursives et / ou expérimentales disponibles de mise à l'épreuve et discutant la validité, la pertinence et la portée de ces procédures. Supposons en effet que l'accord intersubjectif soit le fruit du hasard ou qu'il s'établisse pour de mauvaises raisons (par exemple sous la pression de convictions religieuses, d'idéologies sociales, d'arguments d'autorité, etc.)(3). Il ne serait alors rien de plus que la convergence contingente et non fondée des opinions d'un groupe d'hommes à un moment donné ; corrélativement, les propositions faisant l'objet du consensus se réduiraient à n'être qu'un ensemble de croyances collectives dépourvues d'authentique justification et n'ayant dans cette mesure de « scientifique » que le nom.
Le problème est qu'il n'est pas si facile de déterminer ce qui peut légitimement prétendre compter pour une bonne ou pour une mauvaise raison et, partant, de convaincre les sceptiques que l'accord intersubjectif des spécialistes, qui dans l'histoire des sciences préside de fait à l'acceptation ou au rejet des théories dites scientifiques, y préside également en droit. D'un point de vue conceptuel, on peut certes choisir de définir la vérité comme ce qui fait l'objet d'un consensus au sein d'une communauté virtuelle de sujets idéaux(4) – en général la communauté des sujets parfaitement rationnels, considérée soit au terme idéal de la recherche (et dans ce cas sujet de la vérité absolue), soit au cours du processus d'investigation (et dans ce cas sujet d'une vérité seulement approximative et provisoire car relative à un état donné des connaissances et des moyens disponibles). Mais ceci ne résout évidemment pas la question de savoir si et jusqu'à quel point telle ou telle communauté réelle se rapproche effectivement du cas idéal.
Léna Soler
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Voir par exemple les développements de Popper relatifs à l'acceptation des énoncés de base (la Logique de la découverte scientifique, 1934, Payot, 1973).
- 2 ↑ L'accord est conçu comme procédant de bonnes raisons – quoique différentes – chez des auteurs tels que G. Bachelard (le Rationalisme appliqué, 1953, PUF, 1990) ou T. Kuhn (la Structure des révolutions scientifiques, 1962, Flammarion, 1983).
- 3 ↑ Comme le soutiennent par exemple certains sociologues des sciences (voir D. Vinck, Sociologie des sciences, A. Colin, 1995, chap. 3).
- 4 ↑ Peirce, C. S., « How to Make our Ideas Clear », Selected Writings, 1958, P. Wiener éd., 1958.
- Voir aussi : Chevalley, C., « On Objectivity as Intersubjective Agreement », Physik, Philosophie und die Einheit des Wissenschaften. Für Ehrard Scheibe, L. Kruger et B. Falkenburg, Mannheim, 1994, pp. 332-345.
→ croyance, énoncé, objectif, objet, relativisme, sujet, vérité