incertitude

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin certus, « déterminé », « établi » ; participe passé du verbe cernere, « décider », « déterminer ». Avec in- privatif.

Physique

Manque de connaissances déterminées à propos d'un événement ou d'une valeur de variable.

La composante épistémique du concept d'incertitude est avérée en physique générale dans la théorie des erreurs de mesure. Là où le mot « erreur » est utilisé pour dénoter l'écart d'un résultat de mesure par rapport à la valeur vraie postulée, le mot « incertitude » est préféré lorsqu'il s'agit d'insister sur un déficit de connaissances au sujet de cet écart.

En physique quantique, le mot « incertitude » a été employé dans l'expression « relations d'incertitude (de Heisenberg) ». La question est de savoir s'il l'a été à bon escient.

Au premier degré, les relations de Heisenberg imposent une limite inférieure mutuelle à l'écart quadratique moyen des valeurs mesurées de deux variables conjuguées (comme la coordonnée spatiale x et la composante correspondante de la quantité de mouvement px). Appliquées à ces variables, les relations de Heisenberg s'écrivent : ∆x · ∆px ≥ h/4π (où h est la constante de Planck). Selon l'expression précédente, à la suite d'une certaine préparation expérimentale, plus l'écart quadratique moyen ∆x est petit, plus l'écart quadratique moyen ∆px est grand. Toute la difficulté est à partir de là d'identifier la nature de cette limite incompressible : s'agit-il d'une limite de notre connaissance des variables, d'une limite inhérente aux processus microscopiques, ou bien des deux à la fois dans une situation où aucune véritable séparation entre les propriétés et l'acte consistant à les connaître ne serait légitime ? Chacun des mots utilisés pour caractériser les relations de Heisenberg favorise l'une de ces trois interprétations. « Incertitude » favorise la lecture épistémique. « Indétermination » favorise une lecture objectiviste, voire ontologique. « Imprécision », terme neutre, peut faire incliner vers la troisième interprétation, non dualiste, sans exclure les deux premières. Notons que, pour désigner les relations dont il était l'auteur, Heisenberg n'utilisait presque jamais « incertitude », assez fréquemment « indétermination », et le plus souvent « imprécision ».

L'interprétation épistémique des relations de Heisenberg, encouragée par la dénomination « relations d'incertitude », est contestable, puisque rien ne permet de distinguer, dans les écarts quadratiques moyens prévus par la théorie quantique, ce qui revient à l'imperfection supposée de nos connaissances et ce qui revient aux processus naturels. En suggérant qu'il y a quelque chose à propos de quoi nous sommes incertains, c'est-à-dire quelque chose que nous ignorons en partie mais qui se tient par-delà les phénomènes expérimentaux, elle incite à entreprendre la recherche même qu'elle déclare impossible. De surcroît, elle focalise l'attention sur les aspects limitatifs des relations de Heisenberg, au détriment de leur teneur heuristique utilisée dans les laboratoires.

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Heisenberg, W., Les principes physiques de la théorie des quanta, Gauthier-Villars, 1972.

→ indétermination, probabilité