icône

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec eikôn, qui renvoie au verbe inusité eikô, « je semble », « je ressemble », qu'on ne trouve qu'au parfait, et dont eikôn pourrait être le participe présent substantivé. En anglais : icon.

Philosophie Générale, Esthétique, Théologie

Terme spécifique du christianisme orthodoxe, qui ne devrait pas être confondu avec eidôlon, phasma, phantasma, tupos, ou avec les termes qui désignent les différents aspects du visible et les différentes étapes de sa production, mais qui fait néanmoins aujourd'hui partie du vaste lexique de l'image et de toute production visuelle.

Traduire le grec eikôn par « icône » plutôt que par « image » suppose que l'on revienne sur le déploiement historique, à la fois philosophique et religieux du mot. Icône est devenu, à l'ère chrétienne, un mot qui désigne deux choses indissociables : un objet fabriqué et destiné au culte (icône du Christ, de la Vierge et des saints) ; et une notion doctrinale ayant statut de concept. Au nom de l'Incarnation, les penseurs chrétiens élaborèrent, d'une part, une philosophie du regard, où l'icône est manifestation visible de l'invisible, et, d'autre part, une stratégie politique de la persuasion et de la soumission visuelles, où l'icône est Bible des Illettrés, outil de catéchèse et de propagande.

Bien avant cette appropriation byzantine de l'icône, qui demanda neuf siècles avant son installation légitime (concile de Nicée II, en 787), le terme d'eikôn a une histoire philosophique dans la pensée classique. Désignant le registre de toute manifestation visible, l'icône mobilisa la philosophie de façon critique puisqu'elle est pensée avec la rhétorique comme une manipulation mensongère de l'opinion. Semblance et ressemblance forment le double versant des opérations disqualifiées par l'exigence ontologique. Chez Platon, l'icône suscite soupçon et rejet face à l'exigence métaphysique de saisir et définir l'être substantiel et permanent du monde(1). L'icône n'est qu'un relais analogique ou métaphorique dans la démarche qui mène à l'Être et au vrai. Elle s'oppose à la puissance du logos.

Les choses changent avec Aristote. Platonicien quand il s'agit de fonder logiquement la validité ontologique du savoir, il s'ouvre à l'icône dans l'intérêt qu'il porte à la réalité politique, rhétorique et poétique des signes échangés par ceux qui cohabitent et qui dialoguent dans la cité. Le spectacle et la vision, opsis, désignent bien d'un même terme l'ensemble de ce que les regards produisent et reçoivent dans la construction d'un monde commun(2).

Sur cette base dialectique, le christianisme élabora sa propre conception de l'« incarnation iconique ». C'est le Christ lui-même qui, dans les épîtres de Paul, se voit attribuer le nom d'icône(3). L'Eikôn tou Patros, traduit par « image du Père », a pour résultat de réintroduire l'icône dans le champ de la vérité de façon irréfutable puisque révélée. L'image incarne la vérité, puisque la vérité s'est incarnée dans l'image. Ce retournement lexical est déterminant pour l'Occident, qui y puisa toute sa conception philosophique et politique des productions visuelles. Pour légitimer l'efficacité symbolique des icônes, les philosophes chrétiens ont dû repenser la perception sensible et la création plastique. Ils ont découvert pour la première fois les fondements imaginaires, voire fictifs, de la vérité elle-même. Ils ont approché une conception phénoménologique de l'icône définie comme visée du regard, indissociable des opérations constitutives du sujet et de la possibilité de l'art. Mais c'est dans le même mouvement, qui fait de la vérité du visible un enjeu des opérations critiques du sujet, que l'icône devient l'instrument majeur des stratégies de conversion, d'enseignement et de diffusion doctrinale. Elle préside à la naissance de ce qui est aujourd'hui l'« image-média ».

Tel est l'héritage de l'icône dans le monde moderne, où elle désigne à la fois la production d'une réalité critique et le mode d'asservissement du regard à tout programme visuel univoque et séducteur. Sur le modèle de la catéchèse, la propagande et la publicité pensent désormais l'icône en termes de communication massive, mondialisée et comme un signe parmi les autres. Au fil du déploiement économique des images, sa définition s'appauvrit et se trouve réduite à des opérations techniques et stratégiques, tantôt chez les théoriciens (sémiologues, médiologues), tantôt chez les praticiens (informaticiens, publicitaires). Ainsi, la sémiotique de Peirce a pu retrouver le terme d'icône pour désigner l'image distinguée du symbole et de l'indice dans une typologie où s'est perdue toute la richesse phénoménologique de l'iconicité(4).

Marie José Mondzain

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Sophiste, 239a sq., tr. A. Diès (1925), Paris, Belles Lettres, 1994 ; Cratyle, 432b sq., tr. L. Meridier, Paris, Belles Lettres, 1931 ; République, VI et VII, 510a, 515a, 596d sq., tr. E. Chambry (1933), Paris, Belles Lettres, 1996, vol. I.
  • 2 ↑ Aristote, Rhétorique, tr. M. Dufour (1931-1938) et A. Wartelle (1973), Paris, Belles Lettres, 1989-1991 ; et Poétique, tr. J. Hardy (1932), Paris, Belles Lettres, 1999.
  • 3 ↑ Saint Paul, 1Cor. 11,7 ; 2Cor. 4,4 ; Col. 1,15, Nouveau Testament, tr. Osty & Trinquet, Paris, Seuil, p. 361, 377, 418.
  • 4 ↑ Peirce, C. S., Écrits sur le signe, trad. Deledalle, Seuil, Paris, 1978.
  • Voir aussi : Belting, H., Image et Culte. Une histoire de l'art avant l'époque de l'art (1990), éd. du Cerf, Paris, 1998.
  • Ladner, G. « The Concept of Image in the Greek Fathers and the Byzantine Iconoclastic Controversy », in Dumbarton Oaks Papers, 7, 1953.
  • Mondzain, M. J., Image, Icône, Économie. Genèse byzantine de l'imaginaire contemporain, Seuil, Paris, 1996.
  • Schönborn, C. (von), l'Icône du Christ, Fondements Théologiques, éd. du Cerf, Paris, 1986.

→ iconoclasme, iconologie, image, regard, visible

Linguistique

Dans la sémiotique de Peirce, signe qui représente son objet par une ressemblance plus formelle que matérielle.

Peirce(1) distingue icône, index et symbole. L'icône désigne son objet en vertu de caractères qui lui sont propres : son trait essentiel est de représenter les aspects formels des choses, aussi a-t-elle une fonction moins de ressemblance avec son objet que d'exemplification de celui-ci. L'icône n'est donc pas une simple image empirique : ce peut être un tableau, une photo, mais aussi un diagramme, une formule algébrique ou une métaphore. Elle a la capacité de communiquer directement une idée et d'exhiber la nécessité d'une inférence. D'où son rôle monstratif (mais non assertif), à côté du symbole, dans la déduction et en mathématiques, et son caractère non suffisant mais nécessaire dans toute relation de signification.

Claudine Tiercelin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Peirce, C. S., Écrits sur le signe, trad. Deledalle, Seuil, Paris, 1978.

→ index, interprétant, sémiotique, signe, symbole