humour
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Emprunt à l'anglais humour, lui-même dérivé du français « humeur ».
Esthétique, Psychologie
À partir du xviiie s., manière de plaisanter jugée tout d'abord spécifiquement anglaise, puis définie comme forme du comique à part entière, au même titre que l'esprit ou l'ironie.
Par opposition à l'esprit, jugé plus intellectuel, l'humour doit à son ancrage dans l'humeur une connotation d'abord physiologique : il est souvent considéré, au xviiie et encore au xixe s., comme une disposition de caractère, une « bizarrerie naturelle » selon Philarète Chasles, faite d'un mélange de gaieté et de tristesse(1). Dans sa forme littéraire, il peut prendre une dimension critique féroce dont la Modeste Proposition de Swift (1729) apparaît comme le paradigme.
Les romantiques reprennent la notion pour en faire une constellation comique qui remonterait à Shakespeare et au Tristram Shandy de Sterne (1759). L'humour présente, selon Jean Paul, une image inversée du sublime, contrepoint de la gravité et du pathos, dans laquelle le monde apparaît minuscule et risible(2). Ainsi doté d'une « valeur anéantissante universelle », l'humour se présente comme une totalité. Il acquiert, dans son insignifiance même, une profondeur que lui reconnaît Hegel(3). Bien qu'il prétende s'en distinguer, il est alors difficilement dissociable de l'ironie, toujours construite dans la visée du dévoilement d'une vérité supérieure.
C'est du reste autour de cette opposition à l'ironie que nombre de philosophes ont caractérisé l'humour, tout en donnant aux deux notions des définitions personnelles. Selon Kierkegaard, l'humour recèle toujours une douleur cachée et une sympathie étrangères à l'ironie(4). Pour Bergson, l'humour « décrit ce qui est, en affectant de croire que c'est bien là ce que les choses devraient être », alors que l'ironie énonce ce qui devrait être, en feignant de croire que c'est précisément ce qui est(5).
Mais l'humour peut être abordé non seulement comme figure du discours, comme la caractéristique d'une époque de l'art ou d'un stade de l'existence, mais également dans la fonction psychique qu'il revêt pour son auteur. Selon Freud, l'humour est un moyen d'obtenir un plaisir en dépit d'affects pénibles(6). Cette économie réalisée sur soi-même (l'humour est essentiellement dirigé sur la personne propre) est aussi ce qui explique le lien de l'humour avec les situations difficiles ou extrêmes (ainsi de « l'humour noir » du prisonnier qui, conduit à la potence un lundi matin, s'exclame : la semaine commence bien !), et plus généralement avec les situations minoritaires ou opprimées (humour juif). L'humour est la dérobade, « l'échappatoire qui sent le ghetto »(7). J.-F. Lyotard le nomme encore ruse minuscule de celui qui transforme sa faiblesse en force(8). Car l'humour n'est pas résigné. Il défie et fait triompher narcissisme et principe de plaisir. Pour cette raison, Freud est conduit à souligner dans l'humour une dimension « grandiose », analogue à celle du regard de l'adulte sur l'enfant, qui serait la contribution au comique par la médiation du surmoi(9). Par là s'expliquerait la valeur élevée que nous accordons à l'humour, et sa fonction « consolatrice ».
Quel que soit le rôle qui peut lui être conféré dans un système philosophique, l'humour garde sa spécificité, qui le distingue des autres formes du comique. S'il a perdu son ancrage national, il reste lié à l'idée de distance, avec soi-même comme avec le monde, et à une certaine légèreté qui en fait à la fois un moyen de plaisir et un instrument de résistance.
Françoise Coblence
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Chasles, P., article « humour », in Dictionnaire de la conversation et de la lecture, W. Duckett (dir.), vol. 11, 1832, Paris (1re éd.), et 1867-1868 (2e éd.).
- 2 ↑ Richter, F., Cours préparatoire d'esthétique (1804), trad. A. M. Lang et J.-L. Nancy, L'âge d'homme, Lausanne, 1979, pp. 129-139.
- 3 ↑ Hegel, G. W. F., Cours d'esthétique, t. II, trad. J.-P. Lefebvre et V. von Schrenk, Aubier, Paris, 1996, p. 218.
- 4 ↑ Kierkegaard, S., Post-scriptum définitif et non scientifique aux « Miettes philosophiques » (1846), trad. P. H. Tisseau et E. M. Jacquet-Tisseau, in Œuvres complètes, t. XI, Orante, Paris, 1977, p. 235.
- 5 ↑ Bergson, H., le Rire (1899), PUF, Paris, 1981, p. 97.
- 6 ↑ Freud, S., le Mot d'esprit et sa relation à l'inconscient (1905), trad. D. Messier, Gallimard, Paris, 1988, p. 399.
- 7 ↑ Bloch, E., Traces, Gallimard, Paris, 1968, p. 208.
- 8 ↑ Lyotard, J.-F., « Puissance des traces, ou contribution de Ernst Bloch à une histoire païenne », in Utopie-Marxisme selon Ernst Bloch, Payot, Paris, 1976, p. 62.
- 9 ↑ Freud, S., « L'humour » (1927), in l'Inquiétante Étrangeté et autres essais, trad. B. Féron, Gallimard, Paris, 1985, p. 328.
- Voir aussi : Breton, A., Anthologie de l'humour noir, 1939, Pau vert, Paris, 1972.