figure

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin figura (trad. lat. du grec skhêma), de même racine que fingere, « modeler », et effigies, « portrait ».


Terme polysémique, utilisé dans les disciplines et les contextes historiques les plus différents, tantôt pour étayer l'ordre du discours, tantôt pour l'ébranler.

Linguistique, Sémantique

Forme ou représentation d'une forme intermédiaire entre le sensible et l'intelligible (ou entre le concret et l'abstrait, le spirituel et le matériel, le visible et l'invisible, le stable et le mouvant). En rhétorique classique : expression verbale censée s'écarter de l'expression « simple et directe ».

La figura latine, dont E. Auerbach(1) a minutieusement étudié les occurrences de Térence à Quintilien et des Pères de l'Église à Dante, pouvait désigner une empreinte dans la cire, une image onirique, un tracé géométrique, une combinaison de mouvements, une épure, un procédé oratoire ; chez les chrétiens, de surcroît, une « prophétie en acte » (l'Ancien Testament préfigurant le Nouveau). Héritier de cette richesse sémantique, le terme français figure déjoue toute définition univoque. En des sens eux-mêmes figurés, il a essaimé dans de nombreux domaines : grammaire et rhétorique, logique et mathématique, science des rêves et linguistique.

Reste que pendant des siècles, de Quintilien à Fontanier, les théories les plus élaborées et les plus problématiques ont été fournies par les rhétoriciens. Ils ont classé leurs figures (« de mots », comme l'allitération ; « de construction », comme le chiasme ; « de pensée », comme la prosopopée) selon des taxinomies contradictoires ; ils les ont analysées comme effets expressifs et comme écarts par rapport à l'usage naturel ou normal ; de Longin à B. Lamy, ils les ont souvent associées au langage des passions. Cette pensée des figures a joué un rôle décisif dans la constitution des belles-lettres, de la littérature et de l'« espace de l'écriture »(2).

Plus près de nous, la phénoménologie et la psychanalyse ont puissamment remodelé la notion de figure ; plutôt qu'au langage, elles l'ont reliée au corps et au désir. Ainsi J.-F. Lyotard(3) oppose-t-il à l'« hégémonie du logos » les pouvoirs du « figural ». L'esthétique contemporaine est largement tributaire de cet auteur et de la distinction qu'il propose entre la figure-image (située dans l'ordre du visible), la figure-forme (visible mais généralement non vue) et la figure-matrice (invisible et immergée dans l'inconscient).

Yves Hersant

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Auerbach, E., Figura (1938), trad. M. A. Bernier, Belin, Paris, 1993.
  • 2 ↑ Genette, G., Figures III, Seuil, Paris, 1972.
  • 3 ↑ Lyotard, J.-F., Discours, figure, Klincksieck, Paris, 1971.
  • Voir aussi : Didi-Huberman, G., Fra Angelico, dissemblance et figuration, Flammarion, Paris, 1995.
  • Ducrot, O., et Schaeffer, J.-M., Nouveau Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil, Paris, 1995, pp. 480-493.
  • Francastel, P., La figure et le Lieu, Gallimard, Paris, 1967.
  • Merleau-Ponty, M., Le visible et l'invisible, Gallimard, Paris, 1979.

→ rhétorique, style

Mathématiques

Ensemble de points (conformément aux propositions issues des réformes de l'enseignement des années 1970).

Les difficultés liées à la définition même d'une figure sont clairement repérables par la comparaison entre celle due à Euclide : « Une figure est ce qui est contenu par quelque ou quelques frontière(s) »(1), et celle que propose Hilbert : « Des points en nombre fini constituent une figure »(2).

Selon la première, le segment, l'angle ne sont pas des figures et l'étendue limitée par les dites frontières est dans la figure alors que, selon la seconde, le segment est une figure définie par deux points et le triangle est « seulement » le triplet de ses trois sommets. La définition hilbertienne est élaborée de façon à découpler le concept de figure des images sensibles ou des figures proposées par le monde physique. Le « point » n'est que le nom donné au premier type d'objet de la géométrie et l'ensemble des figures n'est alors que l'ensemble des parties finies de ce premier système.

Chez Euclide aussi, la figure – radicalement distinguée de son origine matérielle – est un objet intelligible et abstrait et « ce qui fait la nouveauté de la géométrie grecque, c'est qu'elle thématise la figure »(3).

L'étude des formes physiques, rapportées à des figures pures de la géométrie a été un des plus puissants vecteur de la mathématisation des sciences de la nature ; à cet égard le problème dit de « la figure de la Terre » fut – notamment au xviiie s. – au croisement de la géométrie, de l'analyse, de la physique, de l'astronomie et de la géographie.

Vincent Jullien

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Euclide, les Éléments, I, 14.
  • 2 ↑ Hilbert, D., Fondements de la géométrie, chap. 1, § 69.
  • 3 ↑ Caveing, M., Introduction générale aux Éléments d'Euclide, vol. I, PUF, Paris, 1990, p. 98.