euthanasie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec eu, pour « bonne », et thanatos, pour « mort ». Apparaît dans Suétone, Vies des douze Césars.

Morale

Acte de hâter ou de provoquer délibérément la mort d'une personne, en vue de la délivrer de souffrances ou d'une condition de vie insupportables.

L'euthanasie à travers les siècles

Platoniciens, cyniques, stoïciens et épicuriens considéraient l'euthanasie volontaire, le suicide, comme une issue noble à une vie diminuée par la maladie ou par la souffrance. Platon n'admettait le suicide que dans les cas de maladies insurmontables. Aristote condamnait la lâcheté de celui qui, en se donnant la mort pour fuir l'infortune, privait la cité d'un membre utile ; il est cependant douteux qu'il ait étendu cette condamnation à l'euthanasie volontaire d'un malade. En Grèce et à Rome, quand le cas d'un patient était désespéré, le médecin pouvait refuser de le soigner ; tenter de prolonger temporairement sa vie, surtout contre sa volonté, était jugé de manière défavorable. L'aide médicale au suicide relevait de la seule conscience du médecin, et elle était relativement courante. À Sparte, à Athènes et à Rome était aussi pratiquée l'euthanasie involontaire des nouveau-nés victimes de malformations ou gravement malades. La valeur d'un individu et de sa vie étant déterminée par rapport à la cité, le recours à la médecine n'était légitimé que par son utilité sociale. Platon refusait que l'on prolongeât la vie d'individus incurables et, pour cette raison, dépendants de la cité ; Aristote justifiait aussi cette pratique d'élimination.

La tradition hippocratique, les religions juive et chrétienne interdisent l'euthanasie, mais tolèrent l'abstention thérapeutique en vue de mettre fin à des souffrances extrêmes. L'euthanasie volontaire a été défendue par Montaigne, par More, par Bacon et par Hume, alors que Kant s'y est opposé. Le problème de l'euthanasie est devenu aigu au xxe s. du fait de la maîtrise technique de la vie et du déni de la mort, caractéristiques des sociétés hautement médicalisées : certains craignent que la technique permette de prolonger artificiellement leur vie et qu'elle les dépossède de leur mort. Néanmoins, craignant plus encore la mort, ils souhaitent contrôler les conditions de leur fin de vie. En Angleterre et aux États-Unis, depuis les années 1930, des associations promeuvent le droit de mourir dans la dignité et la légalisation de l'euthanasie volontaire. Ce n'est qu'aux Pays-Bas qu'elle est permise dans le cadre de strictes conditions légales.

Euthanasie et éthique

La question de l'euthanasie est de savoir si, et selon quels critères, on peut juger que la mort, dans certaines circonstances, est préférable à la vie. Elle suppose que la vie biologique n'a pas de valeur intrinsèque ou sacrée, qu'elle se distingue de l'existence dont le sens est à rechercher et que la qualité de la vie est au moins aussi importante que sa prolongation. Le problème éthique de l'euthanasie naît de la contradiction entre l'interdit du meurtre et le devoir de protection qui fondent la société, et le droit de la personne de disposer librement de sa vie. À quelles conditions une société peut-elle tolérer l'homicide ? Le risque est de permettre l'euthanasie involontaire (pratiquée contre la volonté de celui qui la subit) qui pourrait être soumise, au détriment des intérêts de l'individu, à ceux de la collectivité, à des considérations économiques, à des fins eugénistes ou à des idéologies barbares (cf. l'extermination présentée par les nazis comme euthanasie de malades ou d'individus socialement indésirables). Il n'y a donc pas de cadre moral prédéterminé pour orienter la décision toujours singulière d'euthanasie. Celle-ci manifeste le caractère éthique de l'acte médical dont la valeur est relative à l'individu auquel il s'applique et au jugement que celui-ci porte sur son état, jugement qui, idéalement, devrait dépendre de sa volonté.

L'euthanasie passive, appelée aussi abstention thérapeutique par ceux qui refusent de la considérer comme une euthanasie, consiste à s'abstenir d'agir en ne mettant pas en œuvre des traitements jugés inutiles (en soulageant toutefois les souffrances de la personne), même si cela hâte le moment de sa mort. Destinée à éviter l'acharnement thérapeutique, elle est tolérée par la déontologie médicale en vertu du principe de bienfaisance. Elle se justifie à partir des distinctions entre omission et action, et entre ce qui est voulu et ce qui est prévu, selon le principe des actions à double effet (saint Thomas d'Aquin) : la recherche du soulagement qui est un bien peut autoriser l'action dont la mort est la conséquence prévisible mais involontaire. Ces distinctions, souvent imprécises, n'annulent pas la responsabilité de l'auteur de l'euthanasie.

L'euthanasie active consiste à agir en vue de donner la mort. L'euthanasie volontaire se fonde sur la demande préalable et le libre consentement de celui qui la subit et s'apparente à un suicide assisté. Elle est incompatible avec la déontologie médicale traditionnelle, qui prescrit le respect de la vie et qui, afin de préserver la confiance du patient, refuse au médecin le droit de provoquer délibérément la mort. Le principe de l'autonomie et du respect de la dignité de la personne humaine, invoqué pour justifier l'euthanasie active, trouve ses limites dans le cas de l'euthanasie non volontaire, pratiquée sur une personne durablement incapable d'exprimer sa volonté (nouveau-né gravement malformé, enfant malade, personne sénile) à laquelle il faut un substitut.

Céline Lefève

Notes bibliographiques

  • Aristote, Éthique à Nicomaque (111, 6 a), trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1990 ; La Politique (1335 b), trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1987.
  • Bacon, Fr., Du progrès et de la promotion des savoirs (1605), trad. M. Le Dœuff, Gallimard, Paris, 1991.
  • Battin, M. P., The Least Worth Death, Oxford Univ. Press, New-York / Oxford, 1994.
  • Brock, D. W., Life and Death, At the University Press, Cambridge, 1993.
  • Brody, B. A., Suicide and Euthanasia : Historical and Contemporary Themes, Dordrecht, Kluwer, 1989.
  • Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, trad. M. O. Goulet-Cazé, 4, 3, 6, 18, Librairie générale française, Paris, 1999.
  • Doucet, H., les Promesses du crépuscule : réflexions éthiques sur l'euthanasie et l'aide médicale au suicide, Fides, Montréal, 1998.
  • Engelhardt, H. T., The Foundations of Bioethics, Oxford Univ. Press, New-York / Oxford, 1986.
  • Fletcher, J., Morals and Medicine (1954), Univ. Press, Princeton, New Jersey, 1979.
  • Glover, J., Causing Death and Saving Lives. The Moral Problem of Abortion, Infanticide, Suicide, Euthanasia, Capital Punishment, War and Other Life-or-Death choices, Harmonds Worth, Penguin Books, 1977.
  • Hume, D., « Essai sur le suicide », in Histoire naturelle de la religion et autres essais sur la religion, trad. M. Malherbe, Vrin, Paris, 1971.
  • Kant, E., Métaphysique des mœurs, partie II : « Doctrine de la vertu », trad. A. Philonenko, Vrin, Paris, 1985.
  • Kuhse, H., The Sanctity-of-Life Doctrine in Medicine : A Critique, Clarendon Press, Oxford, 1987.
  • Montaigne, M. (de), Essais, livre II, ch. 3 : « Coustume de l'Isle de Cea », PUF, Quadrige, Paris, 1992.
  • More, Th., Utopie (1516), trad. A. Prévost, Mame, Paris, 1978.
  • Platon, la République, livre III, 406 c-410 a, trad. E. Chambry, Les Belles Lettres, Paris, 1996.
  • Rachels, J., The End of Life : Euthanasia and Morality, Oxford Univ. Press, Oxford, 1986.
  • Sénèque, Lettres à Lucilius, trad. H. Noblot, Les Belles Lettres, Paris, 1957.
  • Singer P., Rethinking Life and Death, Oxford Univ. Press, Oxford, 1995.
  • Verspieren, P., Face à celui qui meurt. Euthanasie, acharnement thérapeutique, accompagnement, Desclée de Brouwer, Paris, 1984.

Biologie, Morale

Fait de faciliter, par acte ou par défaut d'acte, la mort d'un malade dont la vie est condamnée en vue d'abréger ses souffrances.

Utilisé par certains auteurs antiques (Cicéron, Posidippe, etc.) dans le sens général d'une belle mort, le mot sera défini dans son sens moderne médical par Bacon (1623) : c'est « presque une religion pour les médecins d'assister les malades une fois qu'ils n'ont plus d'espoir »(1).

Le terme recouvre aujourd'hui trois sens : le soin contre la douleur, dans le cas de malades agonisant (soins palliatifs) ; l'absence de traitement thérapeutique d'un malade condamné (euthanasie indirecte) ; et l'acte d'un individu en vue d'atténuer les souffrances d'un tiers (euthanasie directe).

Le soin palliatif peut être taxé d'acharnement thérapeutique ; l'euthanasie indirecte, interprétée comme non-assistance à personne en danger ; et l'euthanasie active, comme homicide.

Si le corps médical accepte les deux premières pratiques, bien qu'elles ne soient pas, en France, légalement encadrées, la dernière pose un sévère problème déontologique pour qui prête serment de « tout faire pour la vie ».

La question devient celle de la liberté des individus de faire usage de leur corps, et de ses conséquences...

Cédric Crémière

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Bacon, Fr., Historia vitae (1623), livre IV, chap. II, § 11, éd. de Bouillet, Hachette, Paris, 1834, p. 221.
  • Voir aussi : Munk, W., Euthanasie ou traitement médical pour procurer une mort facile et sans douleur (1889), trad. W. Gent.