dualité (onde-corpuscule)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Physique

Association, dans un même objet, de propriétés ondulatoires et de propriétés corpusculaires.

Prenant le contre-pied de la théorie ondulatoire de la lumière, universellement admise depuis les travaux de Fresnel, de Maxwell et de Hertz, au xixe siècle, Einstein proposa, en 1905, d'admettre que le rayonnement électromagnétique est constitué d'un gaz de quanta localisés spatialement. Cette hypothèse « heuristique », comme il l'appelait lui-même, lui permettait de rendre compte simultanément de la loi de rayonnement du corps noir de Planck et de l'effet photoélectrique. Il n'en restait pas moins que le concept de fréquence, typiquement ondulatoire, continuait à opérer dans la théorie des quanta de lumière, et qu'on ne voyait guère comment rendre compte des effets d'interférence et de diffraction sans un modèle ondulatoire. Durant l'année 1909, Einstein montra que les fluctuations du rayonnement du corps noir résultaient de l'addition de deux termes : l'un corpusculaire et l'autre ondulatoire. Malgré l'absence d'une théorie rendant compte à la fois de la structure « en quanta » et de la structure ondulatoire du rayonnement, Einstein proposa donc, à la conférence de Salzbourg du 21 septembre 1909, une image associant l'une et l'autre. « Je me représente un peu ces points singuliers, écrivait-il, comme entourés chacun d'un champ de forces ayant pour l'essentiel un caractère d'onde plane, mais dont l'amplitude diminue avec la distance par rapport au point singulier. »

En 1911, L. de Broglie lut les procès-verbaux du premier congrès Solvay, rédigés par son frère M. de Broglie, et s'attarda en particulier sur la contribution d'Einstein. Cette lecture l'amena immédiatement à considérer que la caractéristique centrale de la théorie des quanta est l'association de représentations ondulatoire et corpusculaire, et l'idée germa en lui d'étendre cette association à la matière. L'interconvertibilité de la masse et de l'énergie impliquée par la théorie de la relativité suffisait, selon lui, à justifier que l'on traite de façon équivalente la matière et l'énergie électromagnétique. L'égalité correspondante E = mc2 lui fournissait aussi l'amorce d'un développement formel pour sa théorie dualiste de la matière et du rayonnement, développée en 1922-1923. Cette théorie combinait intimement des quantités relevant de concepts ondulatoires et corpusculaires. Ainsi, dans la célèbre « relation de Broglie » p = h / λ, p est la quantité de mouvement, h la constante de Planck, et λ la longueur d'onde. Cela permit à de Broglie de rendre compte des règles de « quantification » de Bohr-Sommerfeld, par une condition de résonance de l'onde associée à l'électron sur une orbite périnucléaire.

Après les années 1920, le concept de dualité onde-corpuscule survécut dans l'interprétation minoritaire de la mécanique quantique proposée par L. de Broglie et développée par D. Bohm (1952) sous le nom de « théorie de l'onde pilote ». Mais le courant majoritaire de l'interprétation de la mécanique quantique fit tour à tour subir au concept de dualité onde-corpuscule une déconstruction phénoméniste et une déconstruction formelle. Chez Bohr, pour commencer, ondes et corpuscules ne devaient pas être considérés comme deux caractéristiques intrinsèques des objets atomiques et subatomiques, mais comme deux types complémentaires de « phénomènes » (et d'images classiques associées), relatifs à des contextes expérimentaux mutuellement exclusifs. Par ailleurs, dans la mécanique quantique telle que P. A. M. Dirac et J. von Neumann l'ont axiomatisée, l'aspect corpusculaire se traduit par le caractère individuellement discret des événements expérimentaux dont la probabilité est fournie, et l'aspect ondulatoire par la prévision de distributions d'événements isomorphes aux figures d'interférences d'une onde. Seuls des fragments des représentations ondulatoire et corpusculaire sont, en fin de compte, retenus par la mécanique quantique, et ils sont unis dans une synthèse purement formelle : celle d'un symbolisme probabiliste.

En théorie quantique des champs, des aspects discrets et des aspects continus coexistent, et ils sont reliés par une variété particulière de relation d'« incertitude » de Heisenberg : ΔN · Δɸ = 1 (où N est le nombre de quanta d'excitation des oscillateurs du champ, représentant une caractéristique discrète couramment associée à l'image corpusculaire, tandis que ɸ est la phase d'une fonction d'onde). Selon cette relation, une détermination satisfaisante du trait ondulatoire qu'est la phase a pour corrélat inévitable une très mauvaise détermination du trait corpusculaire qu'est le nombre de quanta présents dans une cavité donnée.

Comme l'écrit à juste titre P. Teller, les théories quantiques ont « transcendé » plutôt que « réconcilié » les représentations ondulatoire et corpusculaire. Elles ont permis de comprendre les théories classiques d'ondes et de corpuscules comme des cas limites applicables à des situations particulières, au lieu d'assimiler l'intégralité de leur contenu.

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Broglie, L. (de), Ondes et Mouvements, J. Gabay, 1988.
  • Einstein, A., Œuvres choisies, 1, « Quanta », Seuil, Paris, 1989.
  • Lochak, G., Louis de Broglie, un itinéraire scientifique, La Découverte, Paris, 1987.
  • Teller, P., Interpretive Introduction to Quantum Field Theory, University Press, Princeton, 1995.

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