disjonction
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
En latin : disjunctio, en grec : diedzeugmenon.
Logique
Relation dénotée par le connecteur « ou » dans des énoncés de la forme P ou Q et désignée en logique contemporaine par le symbole « ∨ ». On appelle « disjoints » les deux membres P et Q, et quelquefois « disjonction » l'énoncé P ou Q lui-même.
Les principales propriétés de ce signe avaient été discernées par la logique stoïcienne. On distingue en général le sens exclusif de la disjonction (P ou Q mais pas les deux, latin aut) – qui était pour les stoïciens le sens principal (diedzeugmenon) du sens inclusif, qui correspond au symbole « ∨ » contemporain (latin vel). En ce sens un énoncé de forme P ∨ Q est vrai quand P et Q le sont, et n'est faux que lorsque P et Q sont tous deux faux. La disjonction comme fonction de vérité a la propriété de dualité par rapport à la conjonction (lois de de Morgan : P ∨ Q = ¬ (¬ P & ¬ Q). La propriété la plus intéressante de la disjonction est l'équivalence entre ce signe et le conditionnel ; en effet : « Si A, alors B » équivaut « Non À ou B » et « À ou B » équivaut à « si non À alors B ». Mais cette dernière équivalence est problématique. En effet, « Edmond est un couard ou Edmond est un montagnard » semble dire la même chose que « Si Edmond n'est pas un couard, alors il est un montagnard ». Mais il ne semble pas possible d'inférer ce dernier énoncé de « Edmond est un couard » alors qu'on peut inférer de celui-ci « Edmond est un couard ou Edmond est un montagnard ». Certains logiciens rejettent la règle du syllogisme disjonctif (A ou B, or non A, donc B) et défendent une logique « de la pertinence » pour éviter de telles inférences. D'autres logiciens, les intuitionnistes, rejettent un principe classique où la disjonction est impliquée, le principe du tiers exclu : P ou non P.
On peut aussi se poser des questions métaphysiques sur la disjonction. Alors qu'il ne semble pas difficile d'admettre l'existence de propriétés conjonctives, comme être une pomme et être jaune, il est plus difficile admettre l'existence de propriétés disjonctives comme être une pomme ou être jaune. La propriété qui donne lieu à la « nouvelle énigme de l'induction » de Goodman – « vreu » = est examiné avant t et vert, ou examiné après t et bleu – est précisément une propriété disjonctive de ce genre. Cela semble indiquer que les conjonctions ont plus de titres à être dans la réalité que les disjonctions, qui semblent dépendre de notre esprit. Mais quand Hercule arrive à la croisée des chemins pour choisir entre le vice et la vertu, dirons-nous que l'alternative n'existe que dans son esprit ?
Pascal Engel
Notes bibliographiques
- Jennings, R., The Genealogy of Disjunction, Oxford University Press, Oxford, 1995.
