dionysiaque

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Adjectif formé sur le nom de Dionysos, dieu grec de l'ivresse et du sentiment orgiastique.

Philosophie Générale, Esthétique

Par opposition à l'apollinien, ce qui est relatif à la figure de Dionysos dans la philosophie de Nietzsche ; il désigne tout ce qui est dissonant, chaotique, tout ce qui convoque une série indéfinie de contradictions (comme affirmatif et négateur, souffrant et joyeux, ironique et profond, etc.) qui reconduisent à la contradiction fondamentale entre Éros et Thanatos, c'est-à-dire le dynamisme vital-érotique et la mort.

Dans la Naissance de la tragédie, Nietzsche développe une « métaphysique d'artiste »(1) influencée par la pensée de Schopenhauer. La figure de Dionysos correspond à la dimension proprement philosophique de l'esthétique schopenhauerienne puisque la musique, à la différence des arts plastiques, est déjà une forme d'intuition philosophique de la réalité et du sens tragique de l'existence tandis que l'art en général désigne, dès 1872, la simple puissance d'illusion vitale qui encourage à vivre en embellissant mensongèrement l'existence.

La musique de Wagner, en tant qu'elle incarne la musique dionysiaque par excellence, lui fournit le modèle contradictoire d'une esthétique philosophique de la vérité qui justifie même l'usage des dissonances et d'audaces formelles où le sublime et le laid supplantent le beau au nom d'un « plaisir supérieur »(2).

Après sa rupture avec Wagner en 1876, Nietzsche attendra une dizaine d'années avant de recourir à une nouvelle symbolique dionysiaque dans laquelle l'antagonisme initial, la joute d'Apollon et de Dionysos dans la tragédie grecque et le drame musical wagnérien, évolue profondément. Dionysos et le dionysiaque revêtent des caractéristiques apolliniennes par la médiation de la philosophie de l'Éternel Retour qui réconcilie le principe apollinien de l'individuation avec le principe dionysiaque du devenir.

Un nouvel antagonisme se crée à l'intérieur même de la figure de Dionysos devenu « Dionysos philosophos »(3). Il provoque la disparition presque complète de la figure d'Apollon par absorption et intégration. Apollon devient alors l'éminence grise de Dionysos dans le formalisme classique qui se constitue de 1876 à 1886 et se précise jusqu'en 1888 sous le nom de « physiologie de l'art »(4). Nietzsche désigne alors comme dionysiaque tout ce qui stimule le désir de s'éterniser. Il s'agit, en art comme en philosophie, de réconcilier l'instant avec l'éternité.

L'art en tant que « grand « stimulant » de la vie »(5) et « l'amor fati »(6) considérée comme philosophie dionysiaque de l'existence apparaissent en définitive à la fois comme des aspects contradictoires et surtout complémentaires dans l'esthétique et la philosophie de Nietzsche.

Mathieu Kessler

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Nietzsche, F., la Naissance de la tragédie, Essai d'autocritique, trad. P. Lacoue-Labarthe, § 2, Gallimard, Paris, 1977, p. 27.
  • 2 ↑ Nietzsche, F., la Naissance de la tragédie, trad. P. Lacoue-Labarthe, § 24, Gallimard, Paris, 1977, p. 152.
  • 3 ↑ Nietzsche, F., Fragments posthumes, automne 1885-automne 1887, trad. [line] J. Hervier, Fgt. 9, Gallimard, Paris, 1978, p. 223.
  • 4 ↑ Nietzsche, F., le Cas Wagner, trad. J.-C. Hémery, § 7, Gallimard, Paris, 1974, [line]p. 33.
  • 5 ↑ Nietzsche, F., Crépuscule des idoles, trad. J.-C. Hémery, « Divagations d'un “inactuel” », § 24, Gallimard, Paris, 1974, p. 122.
  • 6 ↑ Nietzsche, F., le Gai Savoir, trad. P. Klossowski, § 276, Gallimard, Paris, 1982, [line]p. 189.