désobéissance civile

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Morale, Politique

Conduite consistant à enfreindre volontairement et pacifiquement une loi jugée injuste pour en manifester le caractère irrecevable, refuser de participer à l'injustice et inciter ses concitoyens à agir pour la modifier. (Notion introduite par Thoreau en 1848).

Thoreau passa une nuit en prison, pour avoir refusé de payer ses impôts à un État esclavagiste en guerre contre le Mexique. Les divers titres donnés à sa conférence expliquant son geste indiquent les difficultés de la notion de désobéissance civile : « Les droits et les devoirs de l'individu en face du gouvernement » (1848), « Résistance au gouvernement civil » (1849), « Du devoir de désobéissance civile » (1886)(1). Obéir à des lois injustes est perçu comme une déshumanisation qui réduit l'individu au statut de rouage de la machinerie gouvernementale. Mais la désobéissance est légitimée soit par l'appel à la conscience individuelle, soit par la nécessité, pour une minorité, dans une démocratie, de se faire entendre de la majorité apathique, ou encore par la nécessité d'une révolution pacifique conforme à l'esprit de la révolution américaine, voire par la réactualisation de la différence évangélique entre la lettre et l'esprit et la volonté de séparer dans l'individu « le diabolique du divin ».

En un sens, donc, Thoreau en appelle à la conscience, un être humain digne de ce nom ne pouvant accepter de se commettre avec une injustice qu'il perpétuerait par son obéissance, et cela « même au prix de [l']existence nationale » ou de la survie de la Constitution. L'intérêt ne saurait justifier l'obéissance, et une morale fondée sur une telle notion est indigne de l'humanité. Dans cette optique, c'est l'intégrité individuelle qui semble primer, le souci politique, l'existence même de l'État passant au second plan, et la désobéissance civile pourrait être confondue avec l'objection de conscience.

Mais le « bon citoyen », le patriote, est celui qui sait résister à l'État. Il ne s'agit plus de critiquer, de pétitionner afin de changer légalement la loi en vigueur, car « comment peut-on se contenter d'avoir tout bonnement une opinion et se complaire à ça » ? Il s'agit donc d'agir afin de « faire lever la pâte », c'est-à-dire de modifier les rapports entre majorité et minorité. Une « minorité éclairée » et agissante doit désobéir pour inciter la majorité à la suivre, pour ramener l'État à son principe. Si la désobéissance civile est donc révolutionnaire par essence, s'il s'agit de « déclarer tranquillement la guerre à l'État », ou de « définir une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible », il s'agit tout aussi bien, contre la lettre de la Constitution américaine, de ramener celle-ci à son esprit, celui de la révolution de 1775. La désobéissance civile devient donc la promesse d'une action collective, politique par essence, impliquant une critique interne de la démocratie conçue comme règne de la majorité.

En ce sens, la désobéissance civile semble s'inscrire paradoxalement dans la lignée de cette science des associations (civiles ou politiques) décrites par Tocqueville comme une spécificité de la démocratie américaine, et qui est un contre-pouvoir à la « tyrannie de la majorité », majorité à la fois conformiste et apathique.

Cette notion sera réactualisée durant la décolonisation et les mouvements des droits civiques et de résistance à la guerre du Vietnam. Les principaux héritiers de Thoreau sont donc Gandhi et Luther King, qui soulignent principalement le caractère non violent de la désobéissance civile.

Anne Amiel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Thoreau, H. D., la Désobéissance civile, Climats, Paris, 1992.
  • Voir aussi : Arendt, H., « La désobéissance civile » in Du Mensonge à la violence, Calmann-Lévy, Paris, 1972.
  • Constant, B., « Principes de politique » in De la liberté chez les modernes, Hachette, Paris, 1980.
  • Kant, E., Réponse à la question « Qu'est-ce que les Lumières ? », t. 2, La Pléiade, Paris, 1985.
  • Rawls, J., Théorie de la justice, Seuil, Paris, 1987.

→ loi, résistance, révolution