contractualisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Néologisme récent, utilisé pour désigner une réalité qui serait apparue au milieu du xviie s., avec les penseurs qui se réfèrent au droit naturel moderne.

Philosophie du Droit, Politique

Tendance philosophique à faire du contrat la forme privilégiée des relations sociales, qui combine l'idée que la validité du contrat tient d'abord aux volontés des contractants, la valorisation du contrat comme moyen d'agir en toute connaissance de cause, ou manifestation de l'autonomie des volontés, et enfin l'idée que le contrat tend à devenir ou doit devenir la forme privilégié du lien social.

La volonté et le contrat

Selon Aristote, les échanges volontaires ne sont qu'une des formes possibles d'échange : il existe des échanges involontaires par exemple quand un voleur est contraint de réparer le dommage qu'il a causé à sa victime. Même quand l'échange est un contrat, la volonté a un rôle limité : entre un vendeur et un acheteur, la justice de la transaction dépend d'abord de l'égalité des choses échangées, et non de l'accord réalisé(1).

Dans certains textes du Digeste (XIV, 7, 2, L, 16, 9), l'échange est réduit au contrat, mais la volonté conserve un rôle subordonné : un pacte nu (deux volontés qui se déclarent leur accord) ne suffit pas à créer une obligation ; le contrat exige toujours plus, des formes légales à respecter ou une équivalence des choses échangées.

Pour Grotius, la volonté est déterminante : un pacte nu suffit à produire l'obligation(2) ; la validité d'un pacte ne dépend pas de la valeur éthique ou politique de l'accord réalisé. À ceux qui refusent aux hommes le droit de choisir la servitude, Grotius répond qu'« un peuple peut choisir la forme de gouvernement qu'il veut », et que « le droit doit être mesuré à partir de la volonté »(3).

Hobbes inscrit cette évolution dans le vocabulaire : il y a contrat, c'est-à-dire « transfert mutuel de droit » sans que rien d'autre ne soit nécessaire que la volonté présente clairement exprimée des parties concernées. Un contrat peut être simple (en cas d'exécution immédiate de part et d'autre) ; il peut être un pacte mutuel, si on se contente d'échanger des promesses, ou pacte unilatéral, si une des parties s'exécute et se fie à la promesse de l'autre(4). Le rôle de la volonté est décisif : la justice de la transaction ne tient pas à « l'égalité de la valeur des choses sur lesquelles porte le contrat », car « la valeur de toutes les choses qui font l'objet d'un contrat est mesurée par l'appétit des contractants »(5).

Le contrat, la transparence de l'action et l'autonomie de la volonté

Pourquoi valoriser ainsi la volonté des contractants ? Si le contrat est l'œuvre de volontés conscientes de ce qu'elles font, on peut l'utiliser pour construire fictivement l'édifice politique exactement ajusté aux buts que les hommes cherchent à atteindre quand ils instituent des États : dans un contrat, on est censé agir en toute connaissance de cause. Ce dispositif inventé par Hobbes est mis en œuvre par l'auteur du Contrat social : rigoureusement formulé, le problème politique admet une solution et une seule. À Rousseau revient l'invention de l'autonomie : grâce au contrat social, chacun n'obéit qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant(6). Cet idéal est absent chez les « contractualistes » antérieurs, même quand ils approuvent le bon sens de celui qui veut se gouverner lui-même (Hobbes) ou reconnaissent à l'homme le pouvoir de consentir à une loi dont il peut toujours s'écarter (Pufendorf, Locke) : consentir à un contrat ordinaire ou au pacte politique, c'est renoncer à une partie de sa liberté, et non se réaliser comme être autonome.

Le contrat, forme privilégié du lien social

Si le contrat sert l'autonomie et si cette dernière est la réalisation des valeurs humaines les plus hautes, il devient le principe du droit et une forme privilégiée de relation à l'autre : il faudrait « contractualiser la société ».

Il faudrait, d'abord, légitimer l'ordre politique à partir de l'autonomie, ce que permettent les théories du pacte social.

Il faudrait, ensuite, réduire autant que possible ce qu'il subsiste d'hétéronomie dans la pratique politique : si la loi, même votée par nos représentants, est toujours une intervention autoritaire de l'État, nous devons de plus en plus déterminer par contrat les règles qui nous concernent.

La notion de contractualisme est un artefact souvent utilisé pour dénoncer ou pour célébrer certains aspects de la pensée moderne : tentation de reconstruire la société comme on construit une machine ; réduction de la société aux individus dont part la reconstruction ; culte de la volonté, éloge de l'autonomie. C'est se donner, avec le contractualisme, une histoire reconstruite pour les besoins de sa cause. Pour Grotius et Hobbes, la nature humaine, et non la volonté, est le principe ultime du droit. Construire en pensée l'État, c'est démontrer le droit politique, et non désirer la reconstruction planifiée de toute la société. L'autonomie visée par Rousseau est strictement politique. Il ne s'agit pas de remplacer le lien politique de la loi par le lien juridique du contrat : le citoyen devient autonome, parce que la séparation du législatif et de l'exécutif le contraint à préférer le bien commun à tout ce qui en lui est particulier (sexe, âge, métier, richesse, résidence, etc.).

Jean Terrel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 1131 b 25 sq.
  • 2 ↑ Grotius, Droit de la guerre et de la paix (1625), II, chap. 11, § 1.
  • 3 ↑ Ibid., I, chap. 3, § 8, 2.
  • 4 ↑ Hobbes, Th., Leviathan, chap. 14, pp. 132-142, Sirey, Paris, 1971.
  • 5 ↑ Ibid., chap. 15, p. 150-151.
  • 6 ↑ Rousseau, J.-J., Du contrat social, I, chap. 6 et 8.
  • Voir aussi : Archives de la philosophie du droit (t. 13), « Sur les notions du contrat », Sirey, Paris, 1968.
  • Terrel, J., Les théories du pacte social : droit naturel, souveraineté et contrat de Bodin à Rousseau, Seuil, Paris, 2001.