continuité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin continuatio, « succession ininterrompue » ; du verbe continuo, « faire suivre immédiatement ».

Mathématiques

Caractère de ce qui est continu.

Comme le note G. Granger, chez Aristote, le continu est présenté comme une spécification particulière du lien qui existe entre des parties d'un tout, lesquelles, outre qu'elles doivent être consécutives et contiguës, ont, de plus, leurs limites adjacentes communes(1). Telles sont donc les conditions nécessaires et suffisantes à la continuité. On devra rappeler que, pour le stagirite, la continuité est d'abord donnée dans la chose sensible et si le concept se déploie dans les mathématiques, c'est parce que la grandeur linéaire a la même structure que la durée et le mouvement, par nature continus.

Deux modèles numériques s'imposent dans l'histoire des mathématiques comme représentant respectifs de la discontinuité et de la continuité, à savoir l'ensemble ℕ (ou ℤ) des entiers et l'ensemble ℝ des réels. Les efforts pour maîtriser la continuité d'objets mathématiques nécessaires au développement de l'analyse se sont longtemps adossés à un donné a priori de cette propriété dont on tachait de restituer un rapport efficace avec les algorithmes bien établis sur les quantités discrètes. Ainsi en est-il de la méthode des indivisibles, qui sans « constituer » les grandeurs continues, devaient permettre de les atteindre. Pour Leibniz, « la discussion de la continuité et des indivisibles » constitue, avec celle « du libre arbitre et du nécessaire », l'un des « deux labyrinthes où notre raison s'égare bien souvent »(2). C'est dans la métaphysique de l'harmonie universelle et de l'entre expression des monades qu'il tentera de fonder une solution qui, il est vrai, lui permettra d'établir les algorithmes fondamentaux de la continuité mathématique classique, le calcul différentiel et intégral.

Les grandes synthèses de Dedekind et Cantor, la première consistant en une codification du continu comme système opératoire de nombres (les réels), la seconde en une construction ensembliste de ℝ, ont doté les mathématiques d'un concept de continuité rigoureux et axiomatiquement fondé. Depuis, on dispose notamment d'une définition précise de la continuité d'une fonction réelle, obtenue en un point x0, d'image y0 = f(x0) lorsque pour tout voisinage V de y0, il existe un voisinage W de x0 tel que f(W) soit inclus dans V. Deux obstacles se dressent toutefois contre l'illusion qui pourrait faire croire que l'on soit, ainsi, sorti du labyrinthe. Le premier tient au fait que la théorie naïve des ensembles est contradictoire et que des axiomes indécidables sont nécessaires à son usage, la seconde est bien exprimée par H. Weyl lorsqu'il note qu'« on ne doit pas oublier que dans le continu des nombres réels les éléments individuels sont dans les faits exactement aussi isolés les uns par rapport aux autres que, par exemple, les nombres entiers »(3). Les développements récents des mathématiques et de la logique prouvent assez la permanence et l'ouverture toujours actuelle de la discussion.

Vincent Jullien

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Granger, G., « Le concept de continu chez Aristote et Bolzano », in les Études philosophiques, 4, pp. 513-523.
  • 2 ↑ Leibniz, G. W., Essai de Théodicée.
  • 3 ↑ Weyl, H., « Das Kontinuum und 3 Monographien », trad. J. Bouveresse in « Weyl, Wittgenstein et le problème du continu », le Labyrinthe du continu, [line] J. M. Salanskis et H. Sinaceur, Springer-Verlag, 1992, p. 213.