contemporain (art)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Esthétique

Catégorie servant à caractériser non une phase chronologique de l'art mais, à travers le couple moderne / contemporain, une transformation de sa nature et de son fonctionnement.

Le terme contemporain semble indiquer un moment du temps, celui qui est vécu au présent ; il qualifierait alors de manière générale tous les événements actuels, quels qu'ils soient. « Contemporain » ne désignerait, de ce fait, aucun contenu spécifique des œuvres d'art, mais indiquerait seulement la portion du temps où elles se trouvent élaborées. « Art contemporain » serait en ce cas une appellation vide et inutile. À la différence de « moderne » qui, en art, qualifie un style, l'art contemporain semble n'offrir aucun repère stylistique consistant. Pour le définir, il faut en fait recourir aux conditions de sa production, affectée par un changement de régime : alors que le moderne était tributaire du régime de la consommation, l'art contemporain est marqué par la société de communication.

Le régime de la consommation exige des positions distinctes pour le producteur (artiste), le produit (œuvre) et le consommateur (amateur ou spectateur). Entre ces trois acteurs s'insèrent bien sûr de nombreux intermédiaires (marchands, galeristes, conservateurs, critiques d'art), mais les relations, quoique médiées, restent directes, de préférence en face à face. L'originalité de l'œuvre, son unicité, celle de l'auteur, sont des réquisits de la consommation. L'art moderne perpétue ainsi les traits de la vulgate postkantienne et romantique : les figures de l'artiste de génie et de l'œuvre symptôme y dominent.

Le régime de la communication, en revanche, casse la linéarité du dispositif traditionnel d'échange par l'introduction du réseau. La réticularité transforme les données : rôles des acteurs, action et concept de l'art. L'auteur unique s'efface au profit de coauteurs, les récepteurs intervenant physiquement sur l'œuvre. Celle-ci n'est plus unique, ni achevée, elle évolue constamment, simple état parmi les états successifs d'un projet ; de même s'efface la distinction entre les arts et leurs supports au profit d'un métissage généralisé (audio-visuel, kinohaptique, etc.). Ce métissage affecte aussi l'exposition, la conservation et la critique, qui doivent être redéfinies dans l'optique des propriétés du réseau et de l'« effet de bouclage » qui en résulte.

La distinction de ces deux régimes qui coexistent tout en s'excluant permet, d'une part, de dresser un tableau objectif des particularités de l'art contemporain et, d'autre part, de comprendre les raisons d'une mécompréhension des formes d'art contemporaines, encore trop souvent jugées d'après les critères « modernes » qui ne leur correspondent plus.

Anne Cauquelin

Notes bibliographiques

  • Cauquelin, A., l'Art contemporain, PUF, Que sais-je ?, Paris, 6e éd., 2001 ; Petit Traité de l'art contemporain, Seuil, Paris, 1996.
  • Couchot, E., la Technologie dans l'art, Jacqueline Chambon, Nîmes, 2000.
  • Revue d'esthétique, « Technimages », no 24 ; « Autres sites, nouveaux paysages », no 39.
  • Les Cahiers de Noësis, « Notions d'esthétique », Vrin, Paris, 2000-2001.

→  « L'art contemporain est-il une sociologie ? » , « La symbolisation est-elle à la base de l'art ? »