contemplation
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin contemplatio, de templum, « espace délimité du ciel que les augures scrutaient pour prononcer leurs auspices ».
Philosophie Générale, Philosophie Antique
Moment le plus élevé d'un projet de connaissance, terme où l'âme atteint le face-à-face direct avec l'objet de sa recherche.
Platon en a développé, dans la République, la caractérisation la plus célèbre. La theôria platonicienne se définit, d'abord, par la dignité de son objet : le Bien, principe suprême de toutes choses, situé « au-delà de l'essence »(1). En deuxième lieu, elle se définit par sa démarche : appuyée sur la « puissance »(2) de la dialectique, elle dépasse, grâce notamment à la vertu synoptique de celle-ci(3), la démarche hypothético-déductive linéaire des sciences dianoétiques. Son effort vers une saisie directe du principe premier anhypothétique marque une discontinuité fondamentale par rapport à l'ordre de recherche antérieur : elle résout en intuition immédiate ce qui était discursif. « Moment le plus digne entre tous d'être vécu »(4), la contemplation donne à l'âme une vue directe sur les Idées, lui offrant ce point d'ancrage à l'immuabilité intelligible, qui la délivre définitivement des errances attachées aux apparences. En ce sens, elle est à la fois le point d'aboutissement de la science comme effort de connaissance (dialectique ascendante), et son point de départ véritable, marquant son affranchissement définitif de l'opinion et sa capacité, désormais, de formuler le logos vrai de tout être (dialectique descendante). Aristote disjoint la contemplation d'une dialectique dont il conteste le statut épistémologique chez Platon. La theôria n'en reste pas moins, chez lui, un moment exceptionnel, dans la lignée de cette « assimilation au dieu » dont parlait Platon. Entre les trois genres de vie qui s'offrent à l'homme, la vie contemplative est la plus haute(5) ; elle correspond, en effet, à l'activité du noûs, qui est ce qu'il y a de plus élevé chez l'homme, et elle est à elle-même sa propre fin. Toutefois, si c'est par la contemplation que l'homme imite au mieux le divin, force est de reconnaître l'inadéquation de la condition d'homme à cet état, qui ne peut donc être atteint que par intermittences, et non durablement(6). Plus que chez Platon, la contemplation aristotélicienne reste un horizon de la pratique philosophique. Les néoplatoniciens orienteront l'usage du terme vers une signification plus nettement mystique. La contemplation devient alors, au terme du mouvement de conversion de l'âme, ce moment extatique où elle est enfin amenée, après s'être dépouillée de tout ce qui le lui voilait, à une vision directe du Principe, dans l'unité complète de la pensée, de l'acte de penser et de l'objet pensé(7).
Le sens philosophique ainsi dégagé conduit assez naturellement au sens plus couramment religieux du terme. La contemplation désigne alors le rapport direct de l'âme du fidèle à Dieu, tel qu'il se trouve thématisé chez divers mystiques (Thérèse d'Ávila, Jean de la Croix). Dans le même sens, on trouve les ordres contemplatifs, destinés à l'oraison et retirés du monde.
La notion de contemplation porte de fait, par elle-même, l'idée d'un renoncement à l'action et au monde, comme déjà, chez Aristote, l'élection de la vie théorétique pouvait se faire contre la vie pratique.
Dans une modernité vouée à la domination de l'action technique, la contemplation peut donc apparaître largement dévaluée. On prendra garde, cependant, que l'antithèse traditionnelle contemplation / action n'est qu'imparfaitement recouverte par l'opposition moderne entre théorie et pratique. Lorsque Kant réfléchit à la relation entre ces deux notions(8), on doit se souvenir qu'il entend par théorie une construction de l'esprit à visée scientifique dont le caractère concerté et a priori n'a plus guère de rapport avec la theôria grecque comme recueillement par l'âme, sur un mode passif, de l'être tel qu'il se donne.
Le dernier sens du terme est esthétique. La contemplation désigne alors l'attention particulière de l'esprit à l'œuvre d'art. Kant l'a définie en mettant l'accent sur son désintéressement, détaché de toute considération de l'existence réelle, de l'usage ou de la fin de l'objet considéré(9). Cette « calme contemplation » esthétique sépare le jugement portant sur le Beau de celui porté sur le sublime, où l'esprit se sent, au contraire, « mis en mouvement »(10).
Christophe Rogue
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Platon, République VI, 509b.
- 2 ↑ Id., 511b.
- 3 ↑ Id., VII, 537c.
- 4 ↑ Platon, Banquet, 211d.
- 5 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 7.
- 6 ↑ Ibid., 1177b26sqq.
- 7 ↑ Plotin, Ennéades, III, 8, 6.
- 8 ↑ Kant, E., « Sur l'expression courante : c'est bon en théorie, mais non en pratique », in Théorie et Pratique, Vrin, Paris, 1972.
- 9 ↑ Kant, E., Critique de la faculté de juger, § 5, 12, 22 (remarque).
- 10 ↑ Ibid., § 27.
- Voir aussi : Festugière, A. J., Contemplation et vie contemplative selon Platon, Paris, 1937.