conservation
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin conservatio, « action de maintenir et de sauvegarder ».
Esthétique
Principe de gestion raisonnée des monuments, administrée par des spécialistes et garantie par la loi, qui accompagne dans l'histoire culturelle de l'Occident le souci des « pierres de la Cité », et qui n'a cessé de s'étendre à de nouveaux domaines.
Dans sa forme moderne, la conservation remonte aux humanistes de la Renaissance, et notamment aux cercles de la curie romaine, soucieux d'empêcher la disparition des monuments antiques. L'impératif de conserver coïncide souvent au cours de l'histoire avec des crises majeures de la culture, crises religieuses ou idéologico-politiques, marquées par la remise en cause des liens traditionnels entre passé, présent et avenir. Les origines de la conservation anglaise sont liées aux destructions de la Réforme, tandis que la conservation française naît largement de la Révolution, et de la condamnation du « vandalisme » initiée par l'abbé Grégoire. La conservation distingue alors entre ce qui fait figure de déchets de l'histoire et ce qui peut servir l'authenticité recouvrée de la communauté nationale, au sein d'un espace public régénéré. Elle accompagne ensuite l'élaboration d'une intelligibilité inédite du passé, une fois les esprits « devenus capables de comprendre l'homme à tous les degrés de civilisation » (F. Guizot).
Dans la seconde moitié du xixe s., sous l'influence de la Kultur allemande qui brandit « le drapeau de la politique ethnographique et archéologique » (Renan), la conservation s'élargit à tous les témoignages d'un milieu géographique et humain : elle se territorialise au rythme de la construction des différents États-nations. La pédagogie du sol natal s'accompagne d'une multiplication des registres de conservation tandis que la logique de l'indice gouverne, comme l'a montré Ginzburg(1), les nouveaux savoirs gagés sur les objets, qu'ils soient artistiques ou historiques. Enfin, au seuil du xxe s., l'historien d'art viennois Riegl(2) juge qu'à « l'histoire événementielle de l'humanité, des peuples, des États, de l'Église » a succédé « l'histoire culturelle, qui valorise le fait le plus minime ». Dès lors on assiste à la « réduction constante et inévitable de la valeur monumentale objective » au profit de « l'objet le plus insignifiant par son matériau, sa facture et sa fonction ».
Les multiples initiatives conservatrices de l'âge contemporain se réclament tantôt d'une démarche savante aux curiosités chaque jour élargies, tantôt de légitimités politiques nouvelles, tantôt enfin d'un principe de précaution récemment apparu dans le débat public. Ainsi la « nature », considérée comme bien commun de l'humanité, est-elle entrée dans le champ de la conservation, tandis que la notion de patrimoine mondial dessine un nouveau corpus des monuments d'art et d'histoire, des sites, des lieux de mémoire ou des us et coutumes ; les deux phénomènes ouvrent de nouvelles perspectives au droit international, autant qu'elles requièrent des définitions universelles (charte de Cracovie, 2000) et une perspective dé-territorialisée.
Les modalités de conservation et leur légitimité ont nourri sur la longue durée des réflexions souvent exemplaires ; par-delà les expertises spécialisées, celles-ci renvoient régulièrement aux valeurs souvent antagonistes du savant et du politique.
Dominique Poulot
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Ginzburg, C., Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, trad. M. Aymard et al., Flammarion, Paris, 1989.
- 2 ↑ Riegl, A., le Culte moderne des monuments. Son essence et sa genèse (1903), trad. D. Wieczorek, Seuil, Paris, 1984.
- Voir aussi : Haskell, F., l'Historien et les images, Gallimard, Paris, 1998.
- Patrimoine, temps, espace. Patrimoine en place, patrimoine déplacé. Entretiens du patrimoine 1996, sous la présidence de F. Furet, Fayard, Paris, 1997.
- Schnapp, A., la Conquête du passé. Aux origines de l'archéologie, éditions Carré, Paris, 1993.
