charisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Politique, Sociologie
Qualité personnelle attachée à un individu, qui suscite l'adhésion de disciples ou de militants indépendamment de toute médiation institutionnelle.
M. Weber dit avoir emprunté la notion de charisme à la terminologie du christianisme ancien, se référant notamment à l'ouvrage R. Sohm sur le droit canonique, Kirchenrecht(1). Il élargit considérablement le champ d'application de la notion en s'autorisant à l'utiliser non seulement dans le cas des prophètes ou des chefs religieux en général, mais aussi pour qualifier le lien qui attache partisans ou militants à de fortes personnalités, chefs politiques ou guerriers. Le mode de domination charismatique constitue, à côté du mode de domination traditionnel et du mode de domination légal, le troisième type de « domination légitime » : en d'autres termes, le charisme du chef est un principe de légitimité, dans tous les cas où les dominés se soumettent au chef ou aux ordres qu'il énonce du fait du « caractère sacré », de la « vertu héroïque » ou de la « valeur exemplaire » que ce chef revendique pour lui-même(2). Si les dominations rationnelle (reposant sur la validité de la loi impersonnelle) et traditionnelle (reposant sur l'autorité immuable de la tradition) sont caractéristiques des pouvoirs du quotidien, c'est-à-dire inscrits dans la durée, la domination charismatique est, au contraire, un pouvoir de rupture avec les ordres du quotidien : elle est extraordinaire ou, pour rendre littéralement le terme de Weber, ausseralltäglich, « extra-quotidienne » et, en conséquence, essentiellement instable. La disparition du chef ou, plus généralement, le procès d'institutionnalisation de cette domination entraînent une « routinisation », Veralltäglichung, littéralement « quotidianisation », au cours de laquelle la logique de la tradition ou celle de la loi codifiée se substituent progressivement à la légitimité charismatique.
Pour faire pièce au procès de bureaucratisation, qui constituait à ses yeux à la fois le trait marquant des conditions politiques en Allemagne au début du xxe s. et la tendance naturelle d'évolution des structures d'exercice de la politique dans les sociétés occidentales modernes, Weber défendit l'idée d'une « démocratie plébiscitaire des chefs ». Celle-ci devait marier les formes de la démocratie parlementaire, appuyée sur des partis, avec une sélection plébiscitaire de chefs, dirigeants de partis et chefs de cabinet par exemple, par l'ensemble des électeurs. Le principe de légitimité charismatique se trouvait ainsi intégré à l'intérieur d'un fonctionnement ordinaire des institutions.
Plus récemment, I. Kershaw s'est essayé à user du concept wébérien de charisme pour rendre compte du rôle de Hitler dans l'économie de la domination nationale-socialiste(3). En concurrence avec les notions de césarisme ou de bonapartisme lorsqu'il s'agit de qualifier une domination fortement personnalisée, la notion de domination charismatique y ajoute une nuance affective (renvoyant à l'économie pulsionnelle en jeu dans les processus d'assujettissement des dominés) qui appelle des moyens d'explication autres que ceux de l'histoire et de la sociologie.
Catherine Colliot-Thélène
Notes bibliographiques