bouddhisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du terme Bouddha, « l'Éveillé », attribué à son fondateur.

Logique, Métaphysique, Morale, Philosophie de la Religion

Religion née au vie s. avant J.-C. dans le nord de l'Inde, qui, au contraire des autres religions universelles, se passe de l'idée d'une transcendance divine (monothéiste ou polythéiste), comme de celle d'une âme personnelle et permanente. Héritier des traditions yogiques, le bouddhisme se définit comme un chemin vers la délivrance qui suppose éradiqués les désirs et les illusions de la conscience.

Le détachement

Le bouddhisme n'est pas une philosophie. Il a sécrété une tradition philosophique toujours clairement subordonnée à la quête religieuse. Il faut donc partir de ce qu'il est : une des grandes religions universelles. Son contenu central réserve des surprises à notre culture monothéiste : le Bouddha n'est qu'un homme, parvenu à son plein accomplissement (« l'Éveil »), comme une infinité d'autres avant et après lui. Le bouddhisme est une thérapeutique offerte aux hommes malades de vouloir, de désirer, de croire à des objets et à des idées. Selon les schémas de la médecine indienne, la maladie est définie, puis sa cause ; puis la suppression de cette cause ainsi que les moyens nécessaires sont envisagés. Le constat fondamental de la pensée bouddhiste est non pas tant celui de la souffrance humaine (le bouddhisme n'est pas un pessimisme) que celui de l'irréductible insatisfaction causée par tout attachement. Cette insatisfaction comprend tous les degrés, de l'inquiétude diffuse à la plus grande souffrance physique. De même, les attachements en question ne sont pas seulement affectifs : ils concernent toute saisie fixe du réel, de la passion physique à l'intelligence systématisante. Si ces attachements sont malheureux, c'est qu'ils nient le cours du réel : l'impermanence, l'absence absolue de fondements. L'homme est d'abord malade non pas d'une conception erronée qu'il se fait de la réalité (ce serait la morale stoïcienne), mais du désir de se faire une conception de la réalité. Or, le dharma (« réel ») est une voie du milieu : il n'est ni une réalité (l'affirmation qu'il y a une réalité) ni la non-réalité (l'affirmation que rien n'existe) : le bouddhisme n'est pas un positivisme, encore moins un nihilisme ou un culte du néant. Toute conception arrêtée peut avoir une vérité de convention ; il faut manger, il faut vivre. Mais, au-delà, elle est une attrape. Les racines de la douleur et de l'aveuglement ne sont pas dans la nécessité d'assurer sa subsistance, mais dans le débordement d'idées et de « confections mentales » qui, dans l'homme, ensevelissent cette simplicité.

Développant cet impératif thérapeutique, le bouddhisme enseigne une cosmologie, fondée sur l'idée d'interdépendance des phénomènes. Elle annonce l'idée occidentale d'un strict déterminisme universel, mais en tire les ultimes conséquences : si tout est cause et effet, rien n'a d'identité propre. Dans la perspective bouddhiste, le principe de causalité ne libère pas l'énergie du projet techno-scientifique, où l'homme devient lui-même un « agent cosmique », il montre l'inconsistance de l'idée de chose. Tout n'est que relation. Au contraire de l'atomisme ancien, le bouddhisme n'a jamais postulé l'existence d'éléments irréductibles. À la façon de la phénoménologie, la psychologie bouddhique n'a jamais pris l'extériorité au sérieux : il y a, tout au plus, une certaine qualité de conscience liée aux idées d'espace, d'action, de monde. L'intériorité ne résiste pas plus à la flamme de l'attention : cette chose appelée « moi » subsiste tout aussi peu que cette autre appelée « matière ». Le bouddhisme hérite néanmoins de l'hindouisme l'idée d'un karma (« actes ») s'attachant à tout être et produisant un cycle, paradoxal parce que impersonnel, de réincarnations jusqu'au nirvana (« délivrance ») final, sortie de l'existence.

La méditation

À ce point de réalité ou d'irréalité, il n'est plus de démonstration communicable qui vaille. « Comment pourrait-on enseigner le Réel ? Celui qui enseigne le Réel n'explique et ne montre rien. Celui qui écoute le Réel n'entend et ne perçoit rien » (Soutra de Vimalakirti). C'est pourquoi, dans le bouddhisme, l'expérience personnelle semble occuper la place de la révélation chrétienne. Le Bouddha s'est aussi nommé « le Silencieux » ; il ne livre pas un message extraordinaire : le dharma bouddhique désigne indifféremment l'enseignement et les choses mêmes. Il s'aide, mais n'a pas besoin de compréhension et de théorie, simplement d'attention. D'où l'importance donnée à la méditation, à l'expérience de la conscience, à une intimité absolue avec soi-même, qui est intimité avec « l'ainsité » du réel. On parlera moins de dogmes que de vérités dont chacun est invité à faire l'expérience. On ne cherche pas à fonder une science ou des croyances ouvrant un espace public, mais à libérer son existence, à la reconduire à la source. Le Bouddha, l'intellect et le langage ne sont explicitement que les passeurs de ces vérités. Apophatique, le bouddhisme commence par une mise à l'écart de toute idée sur le bouddhisme et par une plongée douloureuse et sincère dans la pureté des phénomènes, en deçà des mots. Loin d'être un Verbe incarné, la littérature bouddhique est un immense jeu de piste, un grand courant qui se moque des mots et des concepts. Le bouddhisme est indifférent à son propre nom, il n'est qu'un indice du réel. C'est ainsi que pour le Soutra du Diamant, texte capital, « le Bouddha n'a jamais rien enseigné ». Le Bouddha lui-même n'est qu'un prête-nom, c'est l'idée que tout homme peut vivre d'une vie rendue à sa simplicité et à son infinité premières. Le maître zen Lin-tsi n'enjoignait-il pas : « Si vous rencontrez le Bouddha, tuez le Bouddha » ? Car « le Bouddha, c'est la pureté de notre propre esprit », qu'il serait illusoire de rencontrer, toute prête, devant soi.

La métaphysique bouddhiste culmine avec l'idée de la vacuité, liée à celles d'interdépendance et d'impermanence. Le philosophe indien Nagarjuna (iie-iiie s.) démontre que la relation, excluant la possibilité d'un objet, contraint l'esprit à reconnaître la vacuité, milieu sans extrêmes, ineffable, espace de jeu des phénomènes. Là encore, il faut prendre garde à ne pas hypostasier ce qui doit être expérimenté comme instrument de libération : la vacuité n'est pas le slogan métaphysique, le concept clé du bouddhisme. Elle est le nom propre du remède à ingérer.

L'influence du bouddhisme

Il y aurait bien des traditions occidentales parallèles au bouddhisme, à commencer par le scepticisme, de Pyrrhon à Hume, ou l'idéalisme transcendantal de type kantien, sans parler du pessimisme romantique de Schopenhauer, qui enrôla rétrospectivement le Bouddha dans une Weltanschauung personnelle, déformation dont Nietzsche a été la plus illustre victime. Mais le plus proche en esprit pourrait bien être Spinoza : son rationalisme intégral fait pour guérir de toute servitude, par l'activité de l'entendement, constate néanmoins que « la Raison n'a pas le pouvoir de nous conduire à la santé de l'âme » et recourt à un troisième mode de connaissance, qui suppose mais dépasse la connaissance par les notions communes.

Depuis quelques dizaines d'années, l'expansion rapide et profonde du bouddhisme en Occident a favorisé l'exploration d'un continent philosophique de très haute antiquité. On peut espérer que le temps des approximations philologiques, des malentendus métaphysiques, des enthousiasmes vagues ou de la condescendance ethnocentriste est bel et bien révolu. À côté de Platon, de Plotin ou de Lao-tseu, les grands textes bouddhiques s'imposent dans l'horizon philosophique occidental. Une des raisons du succès actuel du bouddhisme est d'avoir été, dès ses origines, porteur d'un non-dogmatisme et d'un non-dualisme que la pensée occidentale n'a su admettre que par les avancées de la science, des sciences humaines et du phénomène démocratique. L'ironie, le soupçon, la contingence, l'historicité de toute chose, le caractère construit de la réalité, la relativité des valeurs, l'invention du sacré, l'inconsistance des hiérarchies, les illusions du sujet et du langage sont devenus des lieux communs de la culture occidentale. Étonnamment précoce dans l'évolution de l'humanité, le diagnostic bouddhique n'offrirait-il pas à l'individu postmoderne la méthode permettant de refaire, pour lui-même, ce chemin vers la dissolution des certitudes collectives à laquelle aboutit notre civilisation, tout en le reliant à une sagesse millénaire ?

Dalibor Frioux

Notes bibliographiques

  • Bareau, A., En suivant Bouddha, Ph. Lebaud, Paris, 1985.
  • Faure, B., Bouddhismes, Philosophies et Religions, Flammarion, Paris, 1998.
  • Nagarjuna, Traité du Milieu, trad. Driessens, Seuil, Paris, 1995.
  • Silburn, L., Aux sources du bouddhisme, Fayard, Paris, 1997.
  • Dhammapada, trad. Osier, Garnier-Flammarion, Paris, 1997.
  • Soutra de Vimalakirti, trad. Carré, Fayard, Paris, 2000.
  • Soutra du Diamant, trad. Carré, Fayard, Paris, 2001.