biopolitique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Néologisme contemporain forgé à partir du grec bios, « vie ».


Concept inventé et thématisé par Michel Foucault. Le terme est repris dans des perspectives différentes par des philosophes comme Giorgio Agamben ou Antonio Négri.

Morale, Politique

Processus par lequel les caractéristiques de la vie sont investies par les dispositifs et les calculs du pouvoir politique(1). Elle se définit comme une forme de gouvernement constitué autour de la délimitation et du contrôle de paramètres collectifs (hygiène, pathologies, natalité, longévité, sexualité, typologies raciales). Portant sur des « populations », des « masses », plutôt que sur des individus, elle désigne alors une forme de pouvoir (un « biopouvoir ») que M. Foucault différencie des formes disciplinaires visant à dresser ou à redresser des corps individualisés (ce qu'il nomme « anatomo-politique »)(2).

L'approche foucaldienne

Le terme de « biopolitique » apparaît dans certains textes de M. Foucault relatifs à l'histoire de la médecine moderne. Il vise à renouveler la formulation de problèmes épistémologiques et politiques, dès lors la médecine prend une place de plus en plus importante dans la connaissance, la gestion et le contrôle des populations et qu'elle doit être considérée comme une composante essentielle des formes modernes de pouvoir. Cet effort de « problématisation » est explicitement situé dans la continuité des travaux de G. Canguilhem sur les normes du vivant(3).

L'émergence de la biopolitique est exposée dans le dernier chapitre de La volonté de savoir : « Droit de mort et pouvoir sur la vie », et développée dans certains cours donnés par M. Foucault au Collège de France entre 1975 et 1980(4). Ces développements s'inscrivent dans l'analyse de la « gouvernementalité », terme qui vise à se démarquer nettement d'une approche trop exclusivement centrée sur l'État et sa légitimation juridique comme pouvoir souverain. Dans cette perspective, la notion de population, entendue comme réalité statistique, permet d'identifier une nouvelle « économie du pouvoir », une nouvelle forme de gouvernement des hommes succédant à d'autres qui se sont dessinées depuis le xvie s. dans la tradition politique occidentale.

En forgeant le terme de « biopolitique », M. Foucault a donc cherché à repérer la naissance d'un objet qui ne vient pas s'ajouter purement et simplement aux préoccupations ordinaires du pouvoir politique, mais qui le modifie dans sa forme même. La biopolitique apparaît alors comme un nouveau régime de pouvoir où l'exercice de la loi souveraine (ce que Foucault caractérise comme pouvoir de « faire mourir ») tend à s'effacer devant celui de « normes régulatrices » dans lesquelles les institutions médicales jouent un rôle déterminant, articulé à d'autres normativités éthiques, juridiques, administratives, religieuses (ce que Foucault caractérise comme pouvoir de « faire vivre »)(5).

Usages dérivés

La définition de la biopolitique comme rationalité politique nouvelle investissant la vie de part en part ne signifie pas pour autant sa critique ou sa condamnation ; pour M. Foucault, elle constitue le terrain sur lequel doit se situer la compréhension du pouvoir moderne. C'est pourtant cet aspect dépréciatif qui semble avoir marqué l'usage ultérieur des termes de « biopolitique » et de « biopouvoir », fréquemment invoqués aujourd'hui comme une obsession de la vie exaltée pour elle-même, comme le mot d'ordre ultime, la préoccupation exclusive d'une toute-puissance économique et technologique indifférente à des valeurs considérées comme plus fondamentales, telles la dignité de la personne ou l'intégrité de l'espèce humaine.

Dans une perspective plus radicalement négative, G. Agamben propose une compréhension de la biopolitique qui englobe l'ensemble de la tradition métaphysique. D'autres philosophes ou politologues restreignent à l'inverse le sens du terme à une réaffirmation de la prééminence du pouvoir politique face à l'inflation éthique induite par les transformations technologiques du vivant(6). Plus attentif à la dimension économique, Antonio Négri dissocie le biopouvoir, défini dans la continuité des analyses de M. Foucault, et la biopolitique qui serait plus spécifiquement la résistance vitale interne à ce pouvoir qui a investi la vie de part en part(7).

François Roussel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Foucault, M., « Naissance de la biopolitique » in Dits et écrits, vol. III, Gallimard, Paris, 1994.
  • 2 ↑ Foucault, M., « Les mailles du pouvoir » in Dits et écrits, vol. IV, Gallimard, Paris, 1994.
  • 3 ↑ Canguilhem, G., Le normal et le pathologique, PUF, Quadrige, Paris, 1998.
  • 4 ↑ Foucault, M., « Crise de la médecine ou crise de l'anti-médecine » et « La naissance de la médecine sociale », conférences publiés dans Dits et écrits, vol. III, Gallimard, Paris, 1994.
  • 5 ↑ Foucault, M., Il faut défendre la société, Gallimard, Paris, 1997.
  • 6 ↑ Foucault, M., La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, chap. V.
  • 7 ↑ Dagognet, F., La maîtrise du vivant, Paris, Bordas, 1989.
  • 8 ↑ Négri, Antonio, Du retour. Abécédaire biopolitique, Calmann-Lévy, Paris, 2002, p. 89.