auteur

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin auctor, litt. « celui qui augmente », « qui fonde » ou « qui engendre ».

Esthétique

Celui qui fait œuvre (littéraire et, par extension, artistique) et en assume les implications, tant en ce qui concerne sa démarche créatrice que sa dimension socio-culturelle.

Au sens juridique, être l'auteur d'une œuvre en confère la « propriété littéraire et artistique », notion qui apparaît pour la première fois en France dans la loi du 24 juillet 1793. Parce qu'il est censé donner librement à l'œuvre ses traits spécifiques et y refléter sa personnalité, la loi lui garantit des droits moraux relatifs au respect de son intégrité (par exemple, lors de traductions ou d'adaptations) et patrimoniaux (stipulés dans un contrat d'édition ou son équivalent). Les conventions de Berne (1886) et de Genève (1952), avec leurs actualisations postérieures, fournissent aujourd'hui la base juridictionnelle du droit d'auteur.

Parallèlement à la reconnaissance de son statut, la figure de l'auteur a aussi beaucoup évolué dans son image extérieure et dans son extension. Elle est passée en quelques siècles du créateur omniscient d'un monde sui generis à une sorte de partenaire s'engageant dans un pacte fictionnel avec son lecteur. Entre les deux pôles se placent toutes les variantes de l'auteur témoin de son temps, de l'humanisme renaissant aux combats des Lumières et du socialisme. Le cas le plus significatif à l'âge moderne est celui du romancier qui bâtit une intrigue sur une base psychologique ou historique et dont l'habileté se révèle propre à illustrer ou renouveler le genre. Il n'est pas jusqu'aux philosophes qui n'aient été tentés de se servir de cette personnalisation accrue du discours.

Corrélativement la place que prend pour l'écrivain son médium n'a cessé de croître ; faire œuvre n'est plus seulement agencer des idées ou mettre en forme un récit, c'est travailler une matière spécifique, celle des mots et des phrases. Barthes en résume le constat dans sa célèbre distinction entre l'écrivant qui fait un usage instrumental du langage et l'écrivain qui joue de toutes les ressources de la langue, des plus immédiates aux plus indirectes. En se mettant sur un pied d'égalité avec les artistes qui ont appris à manipuler les sons et les pigments, l'auteur entend se démarquer des productions commerciales, même s'il a de plus en plus de mal à échapper aux contraintes imposées par les formes nouvelles de communication, du feuilleton journalistique aux émissions littéraires et à Internet.

Mort de l'auteur

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, la notion d'auteur a focalisé sur elle une série de critiques qui visaient à travers elle la philosophie du sujet, l'institution de la littérature et la portée de l'acte d'écrire, contribuant à dessiner un nouvel espace de problématisation. Après Valéry, Sartre(1) et Blanchot(2) (entre autres) ont dénoncé la part d'illusion que comporte la figure de l'auteur souverain, son origine idéologique dans notre histoire sociale et les compromissions qu'elle dissimulait. Les effets combinés du marxisme, de la psychanalyse, de la linguistique et de la déconstruction ont contribué à vider progressivement la notion de sa teneur traditionnelle.

Avec le structuralisme(3) et le « New Criticism »(4), l'unité intentionnelle de l'œuvre a été supplantée par la fabrique du texte, c'est-à-dire le jeu des multiples régularités qui sont appréhendables dans sa description et son fonctionnement. L'auteur se trouve ramené à la position d'un « scripteur » qui s'efface devant l'écriture conçue comme acte intransitif ; le sens se constitue à travers un réseau d'effets qui débordent son contrôle. Barthes en tire la conséquence qu'il serait préférable de dire « je suis écrit » que « j'ai écrit »(5) et Foucault renchérit en voyant dans le Qu'importe qui parle « un des principes éthiques fondamentaux de l'écriture contemporaine »(6). La fonction-auteur, instance irréductible à l'état civil de l'homme signant un livre, est tout à la fois un foyer d'expression ou de focalisation et un principe subtil de différence.

Dans la mesure où cette analyse ne visait à renverser le mythe de l'écriture que pour lui rendre son avenir, on conçoit que son véritable résultat ait été en définitive d'inverser la hiérarchie classique des rôles. Barthes n'hésitait pas à soutenir que « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l'Auteur »(7) ; sous une forme moins dramatisée, c'est par la reconnaissance du statut ouvert de l'œuvre (Eco(8)), des registres d'intertextualité (Genette(9)), l'examen des repentirs ou la stipulation des conditions énonciatives applicables à l'interprétation que s'affirme désormais la prérogative du lecteur.

Au-delà des aspects relevant de la théorie de la littérature, la notion d'auteur est un excellent révélateur d'évolutions philosophiques majeures. Sa valorisation accompagne l'importance donnée à la dimension créative et réflexive. Inversement sa contestation reflète le déclin du point de vue égologique et elle ouvre sur un nouveau rapport de l'homme à la culture.

Jacques Morizot

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Sartre, J.-P., Qu'est-ce que la littérature ?, Gallimard, Paris, 1964.
  • 2 ↑ Blanchot, M., la Part du feu, Gallimard, Paris, 1949.
  • 3 ↑ Après les travaux pionniers de Propp et Lévi-Strauss, on peut mentionner parmi les textes significatifs : Barthes, R., l'Aventure sémiologique, Seuil, Paris, 1985 ; Greimas, A. J., Essais de sémiotique poétique, Larousse, Paris, 1972 ; Riffaterre, M., la Production du texte, Seuil, Paris, 1979 ; Todorov, T., Poétique de la prose, Seuil, Paris, 1971.
  • 4 ↑ Richards, I. A., Principles of Literary Criticism, Routledge and Kegan Paul, Londres, 1924 ; Wellek R. et Warren A., Theory of Literature (1949), trad. fr., La Théorie littéraire, Seuil, Paris, 1971.
    Beardsley, M., et Wimsatt, W. K., « The Intentional Fallacy » (1954), trad. in Lories, D. (éd.), Philosophie analytique et esthétique, Klincksieck, Paris, 1988.
  • 5 ↑ Barthes, R., « Écrire, verbe intransitif », in Œuvres Complètes, t. 2, Seuil, Paris, 1994, p. 979.
  • 6 ↑ Foucault, M., « Qu'est-ce qu'un auteur ? », in Dits et écrits, t. 1, Gallimard, Paris, 1994, p. 792.
  • 7 ↑ Barthes, R., « La mort de l'auteur », in Œuvres Complètes, t. 2, Seuil, Paris, 1994, p. 495.
  • 8 ↑ Eco, U., L'Œuvre ouverte, Seuil, Paris, 1965.
  • 9 ↑ Genette, G., Palimpestes. La littérature au second degré, Seuil, Paris, 1982.
  • Voir aussi : Tadié, J.-Y., La Critique littéraire au xxe siècle, Belfond, Paris, 1987, rééd. Pocket Agora, Paris.

→ réception, roman