augustinisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie de la Religion, Théologie

1. Pensée de saint Augustin (354-430 après J.-C.) – 2. Les nombreux courants qui, plus ou moins fidèles à cette pensée, se sont développés depuis le ve s. jusqu'à nos jours.

L'augustinisme et saint Augustin

L'expression « Grand augustinisme » a été créée par P.E. Portalié(1) pour bien distinguer l'augustinisme tel qu'il apparaît du vivant de saint Augustin, bref le « Grand augustinisme », des « augustinismes partiels » ou « particuliers » qui auront pour origine d'autres penseurs que saint Augustin et ne verront le jour que plus tard et qui donc ne feront que s'inspirer du « Grand augustinisme ».

Le « Grand augustinisme », qui synthétise l'ensemble des grandes doctrines de saint Augustin, bien qu'assez proche de l'augustinisme primitif ou historique, s'en distingue dans la mesure où il est extrait de son contexte et où, selon les termes de F. Cayré, « il laisse dans l'ombre des points secondaires pour s'en tenir aux thèses capitales »(2).

Dans un premier temps, nous nous pencherons donc sur ce fameux « Grand augustinisme ». Dans la mesure où saint Augustin n'a pas laissé de « système » proprement dit et où il serait difficile d'épuiser tous les aspects de la pensée augustinienne tant ils sont nombreux et de natures différentes (théologique, philosophique, dogmatique, moral, politique...), nous nous conterons de relever les traits principaux de la pensée augustinienne.

Le premier trait marquant de cette pensée réside dans le fait qu'entre la philosophie et la théologie, il n'a pas vraiment de frontière. « Il n'est pas toujours facile chez lui de savoir où s'arrête la philosophie et où commence la théologie » nous dit H. I. Marrou dans Saint Augustin et l'augustinisme. Il est vrai que s'il n'y avait qu'un point à retenir de la pensée augustinienne, ce serait celui-ci tant cela a d'influence sur l'ensemble de sa pensée. En effet, chez saint Augustin, la recherche de la vérité, « l'effort intellectuel », sont subordonnés à l'amour de Dieu, à « l'effort spirituel ». La raison est d'après lui le prolongement de la foi, il n'y a pas de contradiction entre les deux. Ce qui l'illustre le mieux, c'est la théorie de l'Illumination, que saint Augustin emprunte pour une grande partie à Plotin et Porphyre, et qu'il énonce clairement dans le De Magistro, ou Le Maître. Ce maître, c'est Dieu lui-même qui, en dedans de l'homme, par sa lumière, rend la vérité intelligible et permet à l'homme d'accéder à la connaissance : « pour tout ce que nous saisissons par l'intelligence, ce n'est pas une voix qui résonne au dehors en parlant, mais une vérité qui dirige l'esprit de l'intérieur que nous consultons »(3). Par cette théorie, que reprendront Roger Bacon au xiiie s. et Malebranche au xviiie s., saint Augustin montre que Dieu ne se contente pas d'être un dieu moral, il est aussi Dieu de Vérité, selon l'Évangile selon St Jean (14, 6) que reprend ici saint Augustin : « Je suis la Vie, la Voie et la Vérité ».

Mais on ne peut accuser saint Augustin de fidéisme car il y a dans sa pensée l'absolue reconnaissance de la capacité de l'homme à connaître et ce de manière rationnelle, quasi scientifique. Comme l'affirme Gilson, « l'autorité précède la raison dans le catholicisme, mais il y a des raisons d'accepter son autorité. »(4). Le cogito (que l'on retrouvera sous une forme assez proche chez Descartes dans les Méditations métaphysiques et dans le Discours même s'il est impossible de prouver de manière absolument certaine que Descartes a eu connaissance du cogito augustinien avant de rédiger le sien) en est l'exemple. Amené à tout mettre en doute comme les Académiciens, saint Augustin reconstruit pierre par pierre la progression de la raison qui, se retirant du sensible et « rentrant en elle-même » est d'abord amenée à comprendre qu'elle existe, puis qu'elle est de nature spirituelle et immatérielle et qui, ultimement, comprend que Dieu existe et qu'il se tient au plus profond de son âme, à la fois immanent et transcendant : « interior intimo meo et superior summo meo » : « vous étiez au-dedans de moi plus profondément que mon âme la plus profonde, et au-dessus de mes plus hautes cimes. »(5) Il y a certes la nécessité d'adhérer à la foi, de soumettre sa raison à l'autorité. Cette nécessité est première. Elle est formulée en ces termes « Crede ut intelligas », littéralement « Il faut croire pour comprendre » (la formule sera reprise par saint Anselme dans le Proslogion au xiie s.). Ainsi, selon Augustin, c'est la foi qui sauve la raison du scepticisme, ce qui nous renvoie à la propre existence de saint Augustin qui ne fut arraché du désespoir dans lequel le plongeait le scepticisme professé par la Nouvelle Académie que par sa conversion au christianisme.

Cette soumission de l'intelligence à « l'autorité », à la foi présuppose bien évidemment une grande humilité, vertu qui est omniprésente dans l'œuvre de saint Augustin et qui ne se limite pas à la sphère morale, qui s'étend donc comme nous le voyons ici au domaine de la connaissance.

Cette intrusion d'une vertu a priori morale dans le domaine gnoséologique nous amène à parler d'un second trait de la pensée augustinienne, à savoir l'absence de frontière entre philosophie et morale.

Il y a ainsi un caractère eudémonique de la philosophie augustinienne : la recherche du vrai (identifié à Dieu comme nous l'avons vu plus haut à travers la théorie de l'Illumination) et sa possession (limitée il est vrai ici-bas puisqu'elle ne sera atteinte qu'après la mort) donnent à l'homme un avant goût de la béatitude. La connaissance délivre l'homme de l'inquiétude, la connaissance rend heureux : « l'aimer et le (Dieu) connaître, c'est avoir une vie heureuse, que tous déclarent chercher, alors qu'il y en a peu qui peuvent vraiment se réjouir de l'avoir trouvée. »(6). Ou encore : « Est donc heureux quiconque vient à la mesure suprême par la vérité. Pour l'esprit c'est avoir Dieu, c'est-à-dire jouir de Dieu »(7). Ainsi, comme le remarque G. Rotureau, chez saint Augustin, « la spéculation n'est pas mue, à proprement parler, par la curiosité du vrai, mais par l'appétit du Bien suprême »(8), « il n'a pas seulement l'ambition de voir, mais de posséder ». Ainsi, il est difficile de distinguer chez saint Augustin son exigence morale de son exigence intellectuelle, ce qui est logique puisqu'il identifie Dieu moral et Dieu de vérité : celui qui se fourvoie dans l'erreur est alors d'une certaine manière en état de péché. On comprend mieux alors pourquoi saint Augustin s'est donné tant de mal à réfuter les thèses de la Nouvelle Académie (cf. Contre les Académiciens), et tout le soin qu'il a mis d'une manière générale à « démonter » les hérésies, telles que le donatisme (ou Église des Purs) ou le pélagianisme, pour ensuite démontrer la véracité de la religion chrétienne. L'originalité de saint Augustin réside dans le fait que pour lui, la notion de péché dépasse le domaine simplement moral pour s'étendre à tous nos actes imparfaits en général, c'est-à-dire dans son esprit à tous nos actes qui ne sont pas mus par le désir de connaître Dieu. Mais n'allons pas croire que pour saint Augustin, le péché ait définitivement condamné les chances que l'homme avait d'être sauvé, car il existe une notion centrale dans la philosophie de saint Augustin : la grâce de Dieu. Cette grâce divine manifeste l'absolue perfection de Dieu. D'où vient le mal alors ? C'est la question qui a taraudé saint Augustin pendant une grande partie de sa vie. Il crut un temps l'avoir résolue en adhérant au manichéisme, cette « philosophie » matérialiste et dualiste qui professe qu'il existe deux principes opposés : celui de la Lumière, qui est absolument bon, et celui des Ténèbres qui est entièrement mauvais et qui est à l'origine du mal. Une fois converti, saint Augustin renonça à cette théorie et s'aperçut que « la cause du mal n'est pas efficiente, mais déficiente », en d'autres termes que « le mal n'est que la privation du bien ».(9)

Contre le pélagianisme, sorte d'optimisme qui, depuis le moine Pelage, accorde plus d'importance, dans le chemin vers le salut, aux actes qu'à la grâce divine, saint Augustin réaffirme l'importance de la grâce divine en affirmant qu'elle est à l'origine de tous nos actes bons, et que par là même notre salut dépend d'elle. Mais il reconnaît également que sans libre arbitre, l'homme n'aurait plus de mérite à aimer Dieu. En fait, ce que saint Augustin montre dans Le libre arbitre, c'est que la grâce est nécessaire pour restaurer le libre arbitre vicié par le péché originel, et que pour être sauvé l'homme doit bien user de ce libre arbitre. Il faut ainsi qu'il y ait une action conjuguée de la grâce et du libre arbitre pour que l'homme puisse agir de manière bonne.

Enfin, cet exposé de la pensée augustinienne ne serait pas complet sans un bref aperçu de la philosophie politique de saint Augustin. Là encore, il est impossible de parler de la politique sans parler de morale puisque comme le dit E. Gilson, « c'est un trait remarquable de la doctrine de saint Augustin qu'elle considère toujours la vie morale comme impliquée dans une vie sociale. L'individu ne se sépare jamais à ses yeux de la cité ».(10) (Cette conception de la politique, on la retrouvera d'une certaine manière à travers la Respublica Fidelium de R. Bacon au xiiie s. et ensuite à travers la conception de la monarchie universelle décrite par Dante.)

Les augustinismes « partiels » ou « particuliers »

En définitive, nous voyons donc que dans la pensée de saint Augustin, tous les aspects, théologique, philosophique, moral, politique, sont imbriqués les uns dans les autres. Il existe un point central qui relie tous les éléments de la pensée augustinienne entre eux, et ce centre c'est Dieu. Il est donc impossible de traiter d'un aspect indépendamment des autres sous peine de trahir ou de modifier la pensée de saint Augustin. E. Gilson l'a bien compris qui compare la pensée augustinienne à une chaîne : « Tout se tient et s'entretient si bien, qu'Augustin ne peut saisir un anneau de la chaîne sans tirer à soi la chaîne tout entière, et l'historien, qui tente à son tour de l'examiner anneau par anneau, souffre constamment de lui faire violence et, en chaque point où il lui assigne une limite provisoire, de la briser. »(11). Et c'est pourtant ce qu'ont fait de nombreux penseurs, tous ceux qui sont à l'origine d'augustinismes partiels, ou particuliers. Nombreux sont les « héritiers » de saint Augustin, trop nombreux pour qu'on les cite tous. P. Cambronne en énumère quelques uns : « Les Confessions de saint Augustin : un chef-d'œuvre qui a traversé les siècles en laissant des traces indélébiles, de Pelage, le contemporain, ou Cassiodore, au xviiie s., à Huysmans, Péguy, Camus, en passant par Anselme de Canterbury, Thomas d'Aquin, Maître Eckhart, Luther, Calvin, Jean de la Croix et Thérèse d'Avila qui en faisaient leur nourriture quotidienne, Pascal, et tant d'autres encore. »(12). En fait, presque chaque siècle a eu ses « augustiniens » même si ces derniers ne retiennent parfois que quelques points de la pensée augustinienne :
– À l'époque de la scolastique (du ixe s. au xviie s.) : surtout dans la première partie ou scolastique primitive (du ixe s. au xiie s.) : saint Anselme, Abélard, et au cours de la Grande Scolastique (xiiie s.) chez saint Thomas d'Aquin, saint Albert le Grand, saint Bonaventure et Duns Scot.
– Plus tard, lors de la Réforme au xvie s., saint Augustin marquera considérablement le protestantisme à travers la personne de Calvin et celle de Luther, qui s'inspireront de la pensée de saint Augustin sur la grâce et la prédestination tout en les déformant complètement : pour eux, le péché a définitivement corrompu la nature humaine.
– À l'issue du xvie s., en pleine influence humaniste, c'est le jansénisme, en particulier Pascal, qui cette fois s'inspirera de la théorie augustinienne de la grâce.
– C'est le xviie s. qui sera sans doute le plus marqué par l'influence de l'augustinisme, à tel point qu'on le nommera « le siècle d'or de l'augustinisme » à cause de son influence sur Descartes et surtout sur Malebranche.
– Au xviiie s., Bossuet et Fénelon seront à leur tour séduits par la philosophie de saint Augustin.

La liste est encore longue... et cette floraison de toutes sortes d'augustinismes atteste de l'importance de la pensée augustinienne dans l'histoire de la philosophie. Le mot de la fin revient sans nul doute à H.-I. Marrou qui déclare que « Augustin reste un des rares penseurs chrétiens dont les non chrétiens savent qu'il existe et à qui ils feront au moins une place, dans l'évolution de l'esprit humain ».

Tiphaine Jahier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Portalié, P.E., « Saint Augustin » in Dictionnaire de théologie.
  • 2 ↑ Cayré, F., « Le grand augustinisme » in Études augustiniennes, 1951, fasc. IV.
  • 3 ↑ Saint Augustin, Le Maître, paragraphe 38.
  • 4 ↑ Gilson, E., Introduction à l'étude de saint Augustin, Vrin, Paris, 1987, p. 305.
  • 5 ↑ Saint Augustin, Les Confessions, livre III, chapitre VI.
  • 6 ↑ Saint Augustin, Le Maître, paragraphe 46.
  • 7 ↑ Saint Augustin, La vie heureuse, paragraphe 35.
  • 8 ↑ Rotureau, G., « augustinisme » in Dictionnaire de théologie, p. 1038.
  • 9 ↑ Saint Augustin, Confessions, livre III, chapitre VII.
  • 10 ↑ Gilson, E., Introduction à l'étude de saint Augustin, Vrin, Paris, 1987, p. 225.
  • 11 ↑ Id., pp. 311-312.
  • 12 ↑ Cambronne, P., Notes, in les Confessions, Gallimard, La Pléiade, Paris, p. 1364.