admiration

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Morale

À la fois sentiment de l'âme devant une qualité – ordre, grandeur ou puissance – qui la dépasse, et étonnement que suscite en elle la rencontre des objets qu'elle croit en être pourvus.

Lorsqu'il dégage le caractère central de la notion d'admiration, Descartes vise manifestement les conditions d'apparition des objets qui l'inspirent. C'est dans les Passions de l'âme qu'il dégage le critère selon lequel les passions se distinguent les unes des autres – à la recherche impossible d'une différenciation immédiate des mouvements corporels qui les suscitent se substitue alors l'examen des modalités selon lesquelles les objets nous affectent. La diversité des passions répond donc aux diverses façons dont les objets peuvent nous nuire ou nous profiter. C'est ce critère d'apparition de l'objet qui éclaire la primauté de l'admiration dans la classification cartésienne : si l'admiration est bien « la première de toutes les passions »(1), c'est parce que, dans son cas, l'importance de l'objet repose uniquement sur la surprise que nous avons de l'apercevoir – sur son apparition même, en somme. Cette passion trahit donc, dans l'occasion qui, la plupart du temps, la suscite, l'ignorance des hommes sur l'objet qui la cause : à cet égard, elle doit disparaître avec les progrès de la connaissance.

L'admiration s'épuise-t-elle cependant, lorsque se conquiert la connaissance ? Est-elle destinée à disparaître avec les lumières ? À deux égards, il convient de relativiser cette appréciation. D'une part, chez Descartes même, éliminer l'admiration conduit en retour à lui dégager un domaine de pertinence spécifique, lorsqu'elle porte sur Dieu ou sur ce qu'il y a de plus grand en nous – ainsi pouvons-nous éprouver, lorsque nous considérons notre libre arbitre avec le souci d'en bien user, une estime de soi particulière qui fait la générosité.

D'autre part, la connaissance dont parle Descartes et qui doit prendre la place d'une admiration ignorante porte sur les seules causes efficientes, auxquelles tout le phénomène est supposé réductible. Or l'admiration porte surtout sur la finalité, que l'esprit s'imagine lire dans la nature ; et celle-ci, selon Kant, possède un statut propre dans l'usage réfléchissant de la faculté de juger qui, pour autant, ne renonce pas au modèle de l'explication causale. Il devient alors possible de comprendre que l'admiration est un « étonnement qui ne cesse pas avec la disparition de la nouveauté »(2).

Du même coup, l'admiration survit à la stricte situation passionnelle, pour caractériser une certaine constance des qualités de l'âme, apatheika. La seule admiration que suscite le principe d'unité des règles dans la finalité sera donc véritablement fondée, une fois élucidé par la philosophie critique le régime propre des jugements téléologiques : « (...) L'on peut fort bien concevoir et même regarder comme légitime le principe de l'admiration d'une finalité même perçue dans l'essence des choses. »(3)

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, R., les Passions de l'âme, 2e partie, art. 53.
  • 2 ↑ Kant, E., Critique de la faculté de juger, cf. remarque générale sur l'exposition des jugements esthétiques réfléchissants.
  • 3 ↑ Ibid., § 62.