Kripke (énigme de)
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Calque de l'anglais Kripke's puzzle.
Linguistique
Argument sceptique, inspiré de L. Wittgenstein, dont la conclusion est la suivante : il n'existe aucun fait qui puisse justifier nos attributions de signification aux phrases, aux énoncés ou aux pensées.
S. Kripke atteint cette conclusion à partir d'un argument centré sur la discussion d'un exemple(1), inspiré de la discussion par Wittgenstein pour savoir en quoi consiste le fait de suivre une règle(2). Supposons qu'on me demande de répondre à la question suivante : combien font 68 + 57 ? Puisque je sais compter, je serai conduit à répondre : 125. Cette réponse semble non seulement la seule possible en vertu des principes de l'arithmétique, mais également la seule qu'on puisse donner si l'on comprend la signification de la question, et tout particulièrement la signification du signe « + », donnée par la règle arithmétique correspondant à l'addition. Il nous semble que nous connaissons des faits portant sur ce que signifie « + ». Il nous semble savoir, par exemple, que ce signe dénote une certaine fonction, différente de la fonction « quus » définie ainsi : x quus y = x + y si x et y sont inférieurs à 579878876 ; x quus y = 5 sinon. Mais qu'est-ce qui justifie cette prétention à la connaissance de tels faits ? Kripke soutient que cette prétention n'est pas justifiée. Tous nos usages passés du signe « + » sont compatibles avec le fait que ce signe dénote quus plutôt que l'addition. Notre connaissance des usages corrects de « + » dans le passé ne suffit donc pas à fixer sa signification.
Kripke interprète donc la discussion par Wittgenstein pour savoir en quoi consiste le fait de suivre une règle comme la présentation d'un problème sceptique. Il soutient que Wittgenstein apporte une solution également sceptique à ce problème, du même type que celle que Hume apportait à sa critique de la causalité. Cette solution est liée à l'argument qu'il oppose à la possibilité d'un langage privé. Selon Kripke, Wittgenstein abandonne l'idée selon laquelle nos attributions de significations posséderaient des conditions de vérité fondées sur des faits objectifs : il n'y a rien « dans la tête » d'un sujet qui pourrait expliquer ce qu'il veut dire en utilisant un mot. Nous devons nous interroger plutôt sur les circonstances réelles dans lesquelles nous utilisons des phrases attribuant des significations, et établir les conditions dans lesquelles de telles phrases peuvent être utilisées correctement. Cette question possède une réponse, contrairement à l'interrogation sceptique : un sujet applique un mot conformément à la règle spécifiant sa signification s'il se conforme aux usages de sa communauté linguistique. On le voit cependant : la réponse exclut qu'on puisse attribuer des significations à un usage linguistique isolé de ceux d'une communauté. C'est en ce sens que, selon Kripke, le problème des règles rejoint celui du langage privé.
Pascal Ludwig
Notes bibliographiques
