électricité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec electron « ambre ».

Physique

1. Dénomination générique d'un système interconnecté de phénomènes d'attraction, de répulsion, d'échauffement de métaux, de production d'effets magnétiques et chimiques, etc. – 2. Origine commune attribuée à ces phénomènes : concentration, déplacement, et action à distance de charges élémentaires (ions ou électrons).

« Électricité » offre l'exemple d'un concept physique dont la définition ne peut être qu'opératoire, circulaire ou dogmatique. Une ébauche de définition opératoire est fournie ci-dessus par la référence à une liste de phénomènes expérimentalement liés. Une définition circulaire consiste à poser que l'électricité est l'ensemble des processus physiques résultant de la présence, des déséquilibres de répartition et des mouvements des charges électriques. La définition dogmatique, enfin, assimile l'électricité aux entités théoriques (électrons, ions, champs coulombiens, courants d'induction, etc.) qui rendent compte des phénomènes répertoriés et permettent d'en prévoir d'autres. Seul le recours à l'histoire de la physique peut éclairer les relations qui unissent ces phénomènes, ces dénominations, et ces élaborations théoriques.

L'attraction de corps légers par l'ambre frottée semble avoir été connue de Thalès de Milet. Elle est rapportée par Platon, dans le Timée, puis par Théophraste et Pline l'Ancien. Mais c'est seulement en 1600 que W. Gilbert entreprit d'étudier, dans son De magnete, les phénomènes d'attraction par des corps matériels frottés. Il appliqua le premier à ces corps le terme latin electrica. La fin du xviie s. et le xviiie s. furent témoins d'une expansion du domaine des phénomènes électriques et des spéculations sur leur origine. S. Gray classa les corps en conducteurs et en isolants. C. F. Dufay distingua en 1733 deux types d'électricités, vitreuse et résineuse (plus tard positive et négative), et en étudia les phénomènes de répulsion et d'attraction. Plusieurs chercheurs, de E. von Kleist à B. Franklin, inventèrent ou étudièrent la bouteille de Leyde (premier condensateur électrique), observèrent ses étincelles de décharge et établirent un lien avec la foudre. Franklin défendit également une théorie faisant de l'électricité le résultat de l'excès ou du déficit d'un « fluide » unique se déplaçant dans les pores de la matière. C. A. Coulomb utilisa pour sa part une balance de torsion pour tester sa loi de décroissance de l'attraction et de la répulsion électrique en proportion inverse du carré de la distance entre les corps. Il prit position en faveur d'une théorie à deux « fluides », l'un positif et l'autre négatif.

Le xixe s. fut pour l'électricité celui du développement des lois quantitatives, du lien avec d'autres domaines de la physique et de la chimie, et des applications pratiques. A. Volta inventa la pile, qui permit dès 1800 de réaliser l'électrolyse de l'eau. H. C. Œrsted mit ensuite en évidence la déviation d'une aiguille magnétique par un courant électrique. Ce résultat ouvrit la voie aux recherches de A. Ampère sur les forces mutuelles qu'exercent les conducteurs électriques, ainsi qu'à celles de M. Faraday, qui rendait compte des phénomènes d'induction électromagnétiques en représentant des « lignes de force » dans l'espace. Il conduisit également à la conception d'instruments de mesure des variables électriques. L'unification des phénomènes électriques et magnétiques fut achevée en 1873 avec les équations de J. C. Maxwell, et ses conséquences furent tirées par H. Hertz dans sa théorie des ondes électromagnétiques.

La question de l'origine des phénomènes électriques connut également d'importants développements au xixe s., en liaison avec les conceptions atomistes. L'étude des phénomènes électrochimiques par Faraday conduisit à l'idée d'un atome d'électricité. L'« unité naturelle de charge électrique » fut appelée « électron » par J. Stoney et démontrée expérimentalement en 1911 par R. Millikan. Sa valeur a pourtant été remise en question récemment, lorsqu'on a admis que les quarks portent des charges dont le module est égal au 1/3 ou aux 2/3 de celle de l'électron.

Le concept d'électron a subi entre-temps un basculement, passant d'une quantité de charge indivisible à un objet corpusculaire porteur de cette charge. Ce fut J. J. Thomson qui, étudiant la déviation des rayons cathodiques par un champ magnétique, fixa la masse de l'électron corpusculaire à environ 1 / 2 000 de la masse de l'atome d'hydrogène.

L'avènement des théories quantiques a eu pour conséquence de profondes refontes des concepts de champ électromagnétique et de charges jouant le rôle de sources pour ce champ.

Selon les « théories de jauge », le champ électromagnétique est ce sans quoi une certaine classe de symétries locales ne serait pas respectée. Des procédures successives d'unification des interactions électromagnétiques avec les interactions faibles, puis avec les interactions fortes, ont pu être conduites en élargissant les symétries concernées.

Quant à la charge électrique, son statut a également changé dans le cadre des théories quantiques. Elle est rangée dans la catégorie générale des observables (c'est-à-dire des déterminations relatives à un processus d'évaluation expérimentale), et dans la sous-catégorie des observables supersélectives (qui ont pour trait distinctif d'être compatibles avec les autres observables, et de pouvoir à cause de cela être traitées comme si elles étaient des déterminations appartenant aux objets dans l'absolu). Plusieurs chercheurs (en particulier H.-D. Zeh) ont proposé une conception unifiée des observables, selon laquelle une observable comme la charge électrique devient supersélective à la suite d'un processus d'auto-décohérence. Conformément à une règle générale d'association de principes de conservation des symétries, la conservation des symétries, la conservation de l'observable « charge électrique » a été rattachée en théorie quantique à une invariance globale des amplitudes de probabilité sous un changement de phase. Enfin, dans les théories de supercordes, la charge électrique est tenue pour un mode d'excitation quantifié d'une hypersurface plongée dans un espace à 10 (ou 11) dimensions.

Michel Bitbol

Notes bibliographiques

  • Davis, E. A., et Falconer, I. J., J. J. Thomson and the Discovery of the Electron, Taylor and Francis, 1997.
  • Whittaker, E., A History of the Theories of Aether and Electricity, Dover, 1989.