David Wark Griffith

Cinéaste et producteur américain (Floydsfork, aujourd'hui Crestwood, Kentucky, 1875-Hollywood 1948).

Origines d'une vocation et premières réalisations

Issu d'une famille sudiste ruinée par la guerre de Sécession, David Wark Griffith rêvait d'une carrière d'acteur de théâtre et souhaitait en outre devenir un auteur dramatique. De fait, il interpréta plusieurs rôles sur les planches et écrivit quelques pièces. Mais le hasard qui le conduisit un jour dans le bureau d'un des dirigeants de la Biograph allait décider de son avenir. Engagé comme scénariste, Griffith dut au forfait du réalisateur Wallace McCutcheon de tourner comme metteur en scène son premier film, The Adventures of Dollie (1908) qui rencontra un grand succès. Il devait rester cinq ans à la Biograph. C'est pendant ces années fécondes- il signa comme réalisateur ou superviseur près de 400 films d'une ou deux bobines- qu'il établit les fondements essentiels de l'expression filmique.

Parmi les titres les plus connus de cette période, il faut citer The Lonely Villa (la Villa solitaire), 1909, Ramona (1910), In Old California (1910), The Lonedale Operator (la Télégraphiste de Lonedale), 1911, The Battle (la Bataille), 1911, The Massacre (1912), The Musketeers of Pig Alley (1912) avec les sœurs Gish, The New York Hat (1912) avec Mary Pickford, Judith of Bethulia (1913), superproduction en quatre bobines avec Blanche Sweet. Au rythme de deux films par semaine, aidé par d'excellents opérateurs, comme Arthur W. Marvin et surtout G. W. Bitzer, et par une troupe d'acteurs prestigieux (Mary Pickford, les sœurs Gish, Mae Marsh, Blanche Sweet, Robert Harron, Mack Sennet, Henry B. Walthall, Lionel Barrymore), Griffith découvrit parfois empiriquement, mais avec un génie que nul ne lui contestera jamais, toute la syntaxe du cinéma. En octobre 1913, il signa un contrat avec la Reliance Majestic d'Henry Aitken, où il donna successivement The Battle of the Sexes (la Bataille des sexes), 1914, Home, Sweet Home (1914), The Avenging Conscience (la Conscience vengeresse), 1914.

L'avènement de l'art du film : Naissance d'une nation

En juillet 1914, il commença The Birth of a Nation (Naissance d'une nation, d'après The Clansman du révérend Thomas Dixon. Le film contait dix années (1861-1871) de l'histoire des États-Unis, du début de la guerre civile jusqu'à la renaissance du Sud vaincu, à travers les vicissitudes d'une famille nordiste et d'une famille sudiste. Le tournage dura neuf semaines, le montage trois mois et demi. Les 1 375 plans coûtèrent 110 000 dollars. Présenté au début de l'année 1915, le film remporta pendant sept mois consécutifs un succès prodigieux. Quelques réticences qu'on puisse émettre sur le fond du film – qui n'est pas exempt de racisme et de parti pris –, l'importance de l'œuvre est indiscutable. Cette Naissance d'une nation fut aussi la naissance de l'art du film. Cofondateur d'une nouvelle société (avec Thomas H. Ince et Mack Sennett), la Triangle, Griffith vit-il trop grand après le triomphe de sa superproduction ? Il entreprit peu de temps après une immense fresque historique, Intolerance, composée de quatre épisodes (Chute de Babylone, Vie et Passion du Christ, Massacre de la Saint-Barthélemy, la Mère et la loi), reliés entre eux par un leitmotiv qui indiquait clairement l'ambition de l'auteur, désirant exprimer une vision et une méditation de portée universelle sur la non-violence. Conçu sur le principe du montage alterné, le film de huit heures fut réduit à trois heures et demie. La première eut lieu en septembre 1916 à New York. Remarquable sur le plan artistique, le film connut un échec commercial catastrophique, qui coûta à Griffith la perte de son indépendance (il mit en fait près de huit ans à rembourser ses dettes). Après cet échec, Griffith vint en Europe pour tourner à l'instigation de Lloyd George un film de propagande antigermanique, Hearts of the World (Cœurs du monde), 1917. La Triangle ayant été dissoute, il se mit au service de la Paramount et de la First National. Puis il fonda avec Mary Pickford, Douglas Fairbanks et Charlie Chaplin les Artistes associés (United Artists, 1919). Continuant avec brio une carrière exceptionnelle (A Romance of Happy Valley [le Roman de la vallée heureuse], 1919 ; Broken Blossoms [le Lys brisé], 1919 ; True Heart Suzy [le Pauvre Amour], 1919 ; Way Down East [À travers l'orage], 1920 ; Dream Street [la Rue des rêves], 1921), il connut cependant après 1921 quelques difficultés pour s'adapter au nouveau style hollywoodien (Orphans of the Storm [les Deux Orphelines], 1921 ; One Exciting Night [la Nuit mystérieuse], 1922 ; America [Pour l'indépendance], 1924 ; Isn't Life Wonderful ?, 1924 ; Sally of the Sawdust [Sally, fille du cirque], 1925 ; The Sorrows of Satan [les Chagrins de Satan], 1926 ; The Battle of the Sexes [l'Éternel Problème], 1928), sacrifiant trop au mélodrame sans retrouver la vigueur lyrique de la précédente décennie. L'échec commercial de ses films parlants, Abraham Lincoln (1930) et surtout The Struggle (1931), l'incita à abandonner le cinéma dès 1932.

« Il n'y a pas un cinéaste au monde qui ne lui doive quelque chose »

Griffith fut le véritable instigateur d'une révolution esthétique radicale, qui libéra notamment le cinéma d'un cadre théâtral qui l'étouffait en laissant à la caméra un rôle actif, lui permettant d'intervenir dans le spectacle. C'est à lui qu'on doit notamment l'utilisation du gros plan à des fins expressives. S'il ne fut pas l'inventeur de tous les procédés techniques dont allaient se servir les cinéastes, du moins fut-il l'ardent propagandiste du découpage filmique. Combinaison de plans, changements d'angles de la caméra, travellings, panoramiques, montage parallèle, bref toute la base du cinéma moderne fut utilisée par Griffith avec brio. Son influence fut décisive sur tous les grands cinéastes mondiaux, notamment sur ceux qui composèrent la grande école soviétique des années 1920. Eisenstein avouait lui-même : « Je n'aime guère les drames de Griffith, du moins le sens de sa dramaturgie. Chez lui tout repose sur des concepts arriérés. C'est l'expression ultime d'une aristocratie bourgeoise à son apogée et sur son déclin. Mais c'est Dieu le Père. Il a tout créé, tout inventé. Il n'y a pas un cinéaste au monde qui ne lui doive quelque chose. Le meilleur du cinéma soviétique est sorti d'Intolérance. Quant à moi, je lui dois tout. »