Philippine Bausch, dite Pina Bausch

Danseuse et chorégraphe allemande (Solingen 1940-Wuppertal 2009).

Pina Bausch, directrice du Tanztheater de Wuppertal – à la fois concept et lieu de danse –, est une des figures de proue de la danse moderne contemporaine. Avec elle s'est transformé le rapport du théâtre et de la danse dans une nouvelle forme de tragique.

L'héritière de l'expressionnisme

Fille de patrons d'un hôtel-brasserie dont elle rappellera le souvenir dans son œuvre culte, Café Müller (1978), Pina Bausch entre à 15 ans à la Folkwangschule d'Essen, dirigée par Kurt Jooss, le maître de l'expressionnisme. Sortie de cette école avec le premier prix en 1958, elle poursuit sa formation à la prestigieuse Juilliard School de New York, tout en faisant ses premiers pas professionnels au sein d'importantes compagnies comme le Metropolitan Opera Ballet et le New American Ballet. De retour à Essen en 1962, à la demande de Jooss, Pina Bausch reçoit le statut de danseuse soliste au Folkwang Ballett et crée ses premières pièces, la plus remarquée étant Im Wind der Zeit (1969). En 1969, elle succède à Jooss à la tête de la compagnie, puis, en 1973, elle est appelée à la direction du Ballet de Wuppertal, qu'elle transforme en Tanztheater de Wuppertal en y développant précisément sa conception de la « danse-théâtre ».

Au début, la chorégraphe s'efforce de concilier thèmes classiques, dont elle propose de nouvelles approches (Iphigénie en Tauride, 1974 ; le Sacre du printemps, 1975), et recherches personnelles (Fritz, 1974), qui puisent aux sources de l'Ausdrucktanz (« danse expressive ») – courant très en vogue dans les années 1920, mais mis en sommeil jusqu'au retour d'exil de Jooss.

L'artiste au pinacle

Avec le concours du scénographe Rolf Borzík, de 1975 à sa mort en 1980, Pina Bausch trouve pleinement son style, qui combine onirisme et violence (surtout celle dont pâtissent les femmes), utopie sociale et humour noir (Orphée et Eurydice, 1975 ; les Sept Péchés capitaux, 1976 ; Barbe-Bleue, 1977 ; Kontakthof, 1978 ; Arien, 1979). Toutefois, elle se heurte à l'incompréhension de la critique et du public, déclenchant même un scandale lors de la création à Bochum, en 1978, de son œuvre tirée du Macbeth de Shakespeare (Il la prend par la main et la conduit au château, les autres suivent), et se trouve en porte-à-faux avec les autorités de Wuppertal. Ce n'est que dans les années 1980, au fur et à mesure de la reconnaissance internationale – surtout en France – qui l'auréole, que le Tanztheater est élevé au rang d'institution de la ville.

Pina Bausch élabore ses sujets, non en fonction des pas de la danse académique, mais des pulsions du corps humain. Travaillant désormais avec le scénographe Peter Pabst, elle accorde une place de plus en plus importante à l'improvisation des danseurs, et traite de thèmes comme l'identité, l'enfance, le souvenir, le désir (1980. Ein Stück von Pina Bausch [1980. Une pièce de Pina Bausch] ; Nelken [les Œillets], 1982). Puis, pendant deux décennies, elle emmène sa compagnie parcourir le monde et engrange des impressions, surtout de grandes villes, qui seront à la source de nouvelles créations, se succédant comme les pages d'un carnet de voyage : Viktor ([Rome] 1986), Palermo Palermo ([Sicile] 1989), Ein Trauerspiel ([Vienne] 1994), Nur Du ([Los Angeles] 1996), le Laveur de vitres ([Hongkong] 1997), Masurca Fogo ([Portugal] 1998), Wiesenland ([Budapest] 2000), Àgua ([Brasilia] 2001), Nefés ([Istanbul] 2003), Ten Chi ([Japon] 2004), Rough Cut ([Séoul] 2005)…

Au terme de cette période migratoire, c'est à Wuppertal que Pina Bausch renoue avec les visions et sensations scéniques de son univers personnel (Vollmond [la Pleine Lune], 2006 ; Bamboo Blues [pièce bâtie sur les réminiscences d'un voyage en Inde], 2007). Dans Sweet Mambo (2008), elle s'éloigne de la dénonciation dont elle use quand les rapports entre hommes et femmes sont fondés sur la domination masculine pour s'intéresser à ce qu'ils deviennent dans les délices de la séduction. Décédée brusquement à 68 ans, elle laisse en héritage à sa compagnie un répertoire de créations qui, selon son propre aveu, sont « comme un jet, un énorme jet d'idées qui arrivent ».

L’hommage de Pedro Almodóvar

Au début du film Parle avec elle (2002), un rideau de théâtre s’ouvre sur une représentation du célèbre Café Müller de Pina Bausch. Sur la scène, couverte de tables et de chaises de bistrot, deux danseuses, les yeux fermés et les bras tendus, évoluent sur la musique de Purcell, suscitant l’émotion des deux personnages principaux – et même les pleurs de l’un d’eux. L’autre personnage, qui est infirmier, ira se faire dédicacer par la chorégraphe elle-même la photo du spectacle afin de la donner à la jeune fille dont il s’occupe à l’hôpital – comme s’il s’agissait d’un talisman pour la sortir du coma.