Martha Graham
Danseuse et chorégraphe américaine (Pittsburgh, Pennsylvanie, 1894-New York 1991).
Créatrice de près de deux cents œuvres chorégraphiques, Martha Graham fut une des figures de proue de la modern dance, qui, dès les années 1930, proposa un nouveau langage gestuel. Son art tend à être en complète communion avec l’homme à travers son corps et ses sentiments.
Et la modern dance fut
Fille de médecin psychiatre, Martha Graham est âgée de 14 ans lorsqu’elle suit sa famille qui s’établit en Californie. En 1911, elle y a la révélation de sa vocation de danseuse en voyant sur scène Ruth Saint Denis. C’est précisément l’école que cette dernière vient de fonder avec son mari Ted Shawn (la Denishawn School) qu’elle choisit à sa sortie de l’université, en 1916. Pendant cinq ans, elle s’y familiarise avec les préceptes d’une danse qui épanouit le corps sans le contraindre et qui se veut l’expression des sentiments intérieurs de l’homme. Cette manière d’exalter la vie se rapproche du courant expressionniste incarné par Mary Wigman.
En 1926, Martha Graham fait ses débuts professionnels à New York, puis ouvre sa propre école de danse contemporaine et fonde la Martha Graham Dance Company, dans laquelle elle accueillera Merce Cunningham en 1939. Les premières pièces qu’elle crée et danse (Heretic, 1929 ; Lamentation, 1930 ; Primitive Mysteries, 1931 ; Frontier, 1935 ; Letter to the World, 1940) tracent les lignes de conduite qui seront celles de toute sa carrière. Rejetant le vocabulaire du ballet traditionnel, la chorégraphe fonde son langage sur la continuité du mouvement à partir d'un point central. Plus qu’une création, son style est une adaptation dansée de toute la gamme des impulsions naturelles (respiration, contraction, détente) qui sont à l’origine de nos actes. Sa technique, élaborée avec une extraordinaire économie de moyens, donne naissance au principal courant de la modern dance.
Un art pour les hommes d'aujourd'hui
D’abord adepte du dépouillement scénique, Martha Graham fait ensuite appel à des scénographes innovants, tel Isamu Noguchi, qui collabore à vingt œuvres majeures de la chorégraphe entre 1944 (Appalachian Spring) et 1988 (Night Chant). Travaillant aussi avec des compositeurs contemporains, elle se met en quête d’une forme théâtrale qui atteint son expression la plus réussie dans les transpositions qu’elle fait des grands mythes de la tragédie grecque (Cave of the Heart [sur Médée], 1946 ; Night Journey [sur Œdipe et Jocaste], 1947 ; Clytemnestra, 1958 ; Phaedra, 1962 ; Myth of a Voyage, 1973). Elle façonne ainsi des rôles d’héroïnes auxquelles elle déclare s’identifier « totalement ».
Rejointe par Paul Taylor dès 1955, Martha Graham s’associe à George Balanchine pour la création d’Episodes (1959), que dansent conjointement sa compagnie et le New York City Ballet. Malgré les ennuis de santé qui la forcent à quitter la scène en 1969, après avoir interprété Cortege of Eagles (1967), elle poursuit son activité créatrice, notamment pour Rudolf Noureïev et Margot Fonteyn (Lucifer et The Scarlet Letter, 1975). Elle reprend aussi sa compagnie en main (Acts of Light, 1981 ; The Rite of Spring, 1984 ; Temptations of the Moon, 1986 ; Maple Leaf Rag, 1990). La mort la surprend alors qu’elle est encore à l’ouvrage sur une composition (The Eye of the Goddess) destinée aux jeux Olympiques de Barcelone. Celle qui disait « je crée aujourd’hui pour les hommes d’aujourd’hui » avait fait paraître ses carnets de travail en 1973 (The Notebooks of Martha Graham).
La conviction américaine
Martha Graham resta toujours fidèle à sa décision de ne pas faire carrière en Europe comme danseuse, afin d’« apporter quelque chose en tant qu’Américaine ». Si son inspiration et sa dramaturgie plaident largement en faveur de cette promesse, il est une pièce chorégraphique, créée dès 1938, qui en fait plus particulièrement foi.
American Document se voit comme on tourne les pages d’un livre d’histoire. En six tableaux, Martha Graham offre un condensé plus conceptuel que chronologique de la formation des États-Unis. Elle part de la Déclaration d’indépendance, évoque les Indiens, les puritains, et termine son propos sur des textes du grand poète national Walt Whitman. Bref, un véritable « hymne de Thanksgiving (fête d'Action de grâce d'inspiration patriotique) » dit de cette œuvre l’historien de la danse Lincoln Kirstein (1907-1996).