Lucien Cuénot

Biologiste français (Paris 1866-Nancy 1951).

Fils d'un employé des postes, licencié ès sciences en 1885, docteur ès sciences deux ans plus tard, il est d'abord maître de conférences, puis, à partir de 1898, titulaire de la chaire de zoologie de la faculté des sciences de Nancy où il fera toute sa carrière. Il prend sa retraite en 1937, mais continue à travailler et meurt en 1951, en corrigeant les épreuves de son dernier ouvrage.

Ses premières investigations en zoologie portent sur des animaux à l'anatomie bien particulière, les échinodermes – auxquels appartiennent, entre autres, les oursins et les étoiles de mer. Désireux de comprendre les formes animales dans leur intégrité, il ne se satisfait pas de la zoologie descriptive en honneur à cette époque. Il entame donc des recherches de physiologie comparée, discipline qui n'en est alors qu'à ses premiers balbutiements. Après deux Études sur le sang et les glandes lymphatiques dans la série animale, il se lance dans une série de monographies portant aussi bien sur les crustacés décapodes que sur les orthoptères ou sur les tardigrades des mousses, ces curieux animaux capables de « revivre » après plusieurs années de dessiccation complète. Il décrit les phases du cycle sexuel des grégarines, minuscules parasites des vers de terre, et analyse les modes d'absorption et d'excrétion chez les invertébrés, éclairant du même coup tout un pan, jusque-là obscur, de la zoologie.

Il est l'un des premiers à aborder, en 1899, le problème de la détermination du sexe. Ses expériences sur des chenilles de papillons, des larves de mouches, des têtards de grenouilles, des jeunes rats, lui permettent d'exclure l'influence de la nourriture ou de diverses circonstances extérieures, et d'affirmer que le sexe est irrévocablement déterminé dans l'œuf. Affirmation qui se trouve renforcée par la constatation que les vrais jumeaux, c'est-à-dire ceux issus d'un même œuf, sont toujours du même sexe.

À l'aube du xxe s., on commence à redécouvrir les lois de Mendel, ce moine autrichien mort en 1884 dans l'anonymat. Au moment où le Britannique William Bateson mène sur les cobayes des recherches parallèles, Cuénot va démontrer, en procédant à des expériences sur l'hérédité de la pigmentation des souris, que les lois en question concernent aussi bien le règne animal que végétal. Il s'aperçoit, par ailleurs, en essayant de croiser entre elles des souris jaunes, qu'il ne peut obtenir de souris jaunes de race pure. Il en conclut que la combinaison jaune-jaune, issue de la rencontre entre un ovule jaune et un spermatozoïde jaune, ne pouvait pas se produire. On sait aujourd'hui qu'elle est réalisable mais que les zygotes (œufs fécondés) ainsi formés ne dépassent pas le stade embryonnaire. Il avait, sans le savoir, découvert le caractère « létal » (c'est-à-dire non compatible avec la vie) de certains arrangements de gènes. Cuénot se passionne très tôt aussi pour les problèmes de l'origine et de l'évolution du monde vivant. En 1902, il formule sa théorie de la préadaptation, qui s'oppose à la post-adaptation imaginée par Lamarck (et voulant que le milieu moule les habitants à sa convenance). Selon lui, c'est parce qu'elles présentent des caractères avantageux pour se maintenir et se reproduire dans un milieu différent du leur, que certaines espèces peuvent conquérir des « espaces vides » dans la nature ; si, au départ, elles n'avaient pas de tels caractères, elles disparaîtraient. Il attache également une certaine importance à la notion de finalité et s'intéresse de près à ces organes ou dispositifs qui, chez les animaux et les plantes, sont comparables à des outils humains et paraissent, comme eux, « construits » dans un but précis. La réalité vivante lui semble impliquer un facteur d'invention constructive, d'activité intentionnelle et prévoyante.

Il est l'auteur de précieuses synthèses sur la Genèse des espèces animales (1911, 1921, 1932), l'Adaptation (1925), l'Espèce (1935), l'Invention et la finalité en biologie, l'Évolution biologique (1951, en collaboration avec Andrée Tétry). [Académie des sciences, 1931.]