George Berkeley
Évêque et philosophe irlandais (château de Dysert, comté de Kilkenny, 1685-Oxford 1753).
Membre du clergé anglican, George Berkeley offre l’exemple d’une vie et d’une pensée étroitement unies dans le combat tout intellectuel qu’il mena contre le matérialisme et l’incroyance. Pour lui, seul importe le langage par lequel Dieu nous parle ; il n’y a pas de différence entre sensibilité et entendement.
Homme d’Église, homme de science
Fils aîné d’une famille aisée dont le père, Irlandais de naissance, est d’ascendance anglaise, George Berkeley entre à 11 ans au collège de Kilkenny (l’« Eton irlandais ») et à 15 ans au Trinity College de Dublin, bouillant foyer philosophique et scientifique d’où il sort diplômé en 1707. Anglican dévoué à sa foi, ordonné diacre en 1709, il acquiert la conviction que, si la science et la philosophie s’épuraient chacune de son côté, il en résulterait une sagesse tout à fait conforme au christianisme. Il consigne ses pensées dans un « Cahier de notes » (Commonplace Book) qui ne sera publié qu’en 1871. Il y fait clairement apparaître qu’il faut délivrer l’intelligence des préjugés nés de l’emploi du langage.
Berkeley publie en 1707 – à 22 ans – l’Arithmétique démontrée sans le secours de l’algèbre ni de la géométrie, puis en 1709 un Essai sur une nouvelle théorie de la vision, où il s’essaie à expliquer l’élaboration de la notion d’espace. Son œuvre maîtresse, annoncée dans le Commonplace Book, fait suite en 1710 : le Traité sur les principes de la connaissance humaine, tout entier tourné vers la défense de la Parole de Dieu en un temps où les progrès de l’esprit scientifique suscitent les plus vives controverses entre les défenseurs de la tradition religieuse et les libres penseurs. L’accueil que lui réserve la communauté des philosophes déçoit Berkeley, qui précise alors certains points essentiels de sa doctrine dans les Dialogues entre Hylas et Philonous (1713).
En 1713 s’ouvre une période de voyages qui durera près de vingt ans. Membre d’une mission diplomatique, Berkeley séjourne en Italie et en France, où il rédige un traité sur le mouvement (De motu), publié à Londres en 1721. À cette date, il est nommé doyen de Derry et pense alors consacrer sa vie à cette charge. Mais, en 1728, il met à exécution le grand projet qu’il mûrit depuis quatre ans : il part pour l’Amérique (avec une bibliothèque de 20 000 volumes !). Il a l’intention de s’installer aux Bermudes à la fois pour évangéliser les populations et pour encourager le commerce entre l’archipel et la métropole. En réalité, il demeure dans le Rhode Island, où il compose l’Alciphron, ouvrage didactique formé de sept dialogues successifs et publié à Dublin en 1732. Faute de subsides, Berkeley a dû prendre le chemin du retour en 1731. Consacré en 1734 évêque de Cloyne (près de Cork), il y mène une vie toute de charité et de tolérance envers les nombreux catholiques de son diocèse.
Une théorie « immatérialiste »
Un monde divin
Opposé à l’empirisme de Locke, parce que l’idée d’une matière existant en soi lui apparaît indémontrable, Berkeley élabore sa théorie en se fondant sur le principe que les choses ne nous sont connues que comme idées. En Dieu qui les crée, les sensations elles-mêmes sont idées. Le monde est l’œuvre mais aussi la pensée de Dieu. La matière n’existe pas en dehors de l’idée que nous en avons. On compare des idées particulières pour produire une idée générale : c’est le fait de l’abstraction.
La science n’a pas à construire des théories faussement abstraites ; elle repose sur la certitude sensible. De là découle une preuve originale de l’existence de Dieu. « Il est évident pour moi, écrit Berkeley, que les choses sensibles ne peuvent exister autre part que dans un entendement ou un esprit, et je conclus de là, non point qu’elles n’ont pas une existence réelle, mais qu’attendu qu’elles ne dépendent pas de ma pensée ou qu’elles ont une existence distincte de la qualité d’être aperçues par moi, il faut qu’il y ait quelque esprit dans lequel elles existent. Ainsi, autant il est certain que le monde sensible existe réellement, autant l’est-il qu’il existe un esprit infini et présent partout qui les contient et qui les soutient. »
Une démarche fondatrice
La formule esse est percipi (« être c’est être perçu ») est au centre de ce que l’on appelle l’« immatérialisme » de Berkeley : le monde corporel n’existe que comme objet de perception. Berkeley part des sensations pour démontrer qu’au moyen des sens nous ne connaissons que nos perceptions ; le monde matériel n’est que le monde des phénomènes. Il n’y a pas d’au-delà des choses perçues, de substance, de permanence ; il n’y a que des esprits et les idées de ces esprits. La cause des modifications sensibles est en Dieu : c’est ce dernier qui nous parle et qui dirige notre volonté à travers la nature, dont les phénomènes constituent Son langage.
L’importance historique de Berkeley tient à la critique que celui-ci a faite de la notion de matière, dont l’évidence n’avait jamais été mise en cause par ses contemporains. En affirmant que l’objet, tel qu’il est perçu, n’existe pas indépendamment de l’entendement, il ouvre la voie à la philosophie idéaliste, pour laquelle la matière n’existe pas de manière complètement indépendante de l’esprit.