Claudio Magris
Écrivain italien (Trieste 1939).
Au croisement des cultures italienne, germanique et slave
Il quitte Trieste alors qu’il a 18 ans pour suivre des études de langue et de littérature germaniques à l’université de Turin. Diplômé, il adapte sa thèse en un essai (Mythe de l'Empire dans la littérature autrichienne, 1963) à travers lequel il confronte le regard de plusieurs écrivains (Joseph Roth, Robert Musil, Karl Kraus, Stefan Zweig) au mythe de la Mitteleuropa (« Europe centrale »). Il vit en Autriche et en Allemagne avant de revenir dans les années 1970 en Italie où il enseigne les littératures germaniques, à l’université de Turin et à celle de Trieste, et écrit des chroniques pour le Corriere della Sera (réunies sous le titre Utopie et Désenchantement - 1974-1998, 1999).
Écrivain-voyageur (Déplacements 1981-2000, 2002 ; Trois Orients. Récits de voyages, 2005), Claudio Magris, à l’image de sa ville natale, est un homme qui se situe au croisement de plusieurs cultures – italienne, germanique, slave – et pour lequel « c'est le rôle de la culture que de défendre les identités, les différences et les diversités menacées, mais surtout sans les idolâtrer ».
La Mitteleuropa
Essayiste et romancier, Claudio Magris est spécialiste de la Mitteleuropa, notion qu’il nourrit de ses recherches depuis ses premiers écrits. Fasciné par la culture de cette Europe centrale, et notamment par l’ère des Habsbourg et par le destin autrichien de la fin du xixe siècle, cet érudit mêle avec finesse l’histoire, la littérature, les arts et les cultures à son œuvre autobiographique. Selon lui, cette région « a été, au-delà de la différence des nationalités et des langues, le magnifique et mélancolique laboratoire du malaise de la civilisation ». La Mitteleuropa a été le foyer d’une culture de résistance, d’une littérature exceptionnelle empreinte d’un renouveau jamais égalé depuis, dû à la « symbiose entre la langue allemande et la culture juive » qui vit naître d’éminents écrivains et intellectuels. Dans Danube (1986), un parcours littéraire et philosophique à mi-chemin entre la biographie et l’essai, Magris suit le fleuve, qui, pétri de mythes, d’histoire et de paysages, traverse cette Europe centrale, de Vienne à Bratislava, de Budapest à Belgrade.
Ce spécialiste de la littérature d’Europe centrale a également publié des études sur Wilhelm Heinse (1968), E. T. A. Hoffmann (1969 ; 1978), Joseph Roth (1971), Tankred Dorst (en collaboration avec Cesare Cases, 1974), et a réuni sous le titre l’Anneau de Clarisse (1984) des textes sur quinze écrivains du nihilisme et de la mélancolie, dont Hofmannsthal, Rilke et Musil.
Une identité de frontière
« Je suis devenu écrivain de la frontière parce que je suis né […] à Trieste, ville des frontières, ville certes italienne mais aussi slovène, croate, autrichienne, arménienne, grecque et juive », affirme Claudio Magris. Trieste est en effet un port qui sous les Habsbourg est l’unique débouché sur l’Adriatique de l’Autriche, et ainsi de l’Europe centrale. Cette ville prospère passe aux mains des Italiens en 1918 avant d’être revendiquée en 1945 à la fois par les Italiens et par les Yougoslaves (aujourd’hui, Slovènes). Le territoire triestin est finalement divisé en deux et la « frontière n'était pas innocente puisque c'était le rideau de fer stalinien. Une frontière qui coupait le monde en deux blocs ». Claudio Magris s’est donc toujours senti « amputé d'une part de [lui]-même ». Tout en pensant que « toutes les frontières des langues » étaient mêlées en lui.
En prenant de la distance géographique, l’écrivain redécouvre Trieste, ville mythique, métropole habsbourgeoise et lieu de toutes les rencontres – qui avant lui avait fasciné le triestin Italo Svevo ou encore James Joyce –, dans Trieste, une identité de frontière (en collaboration avec l’historien Angelo Ara, 1982) et dans certains essais de Microcosmes (1997, prix Strega).
Un humaniste européen
Auteur d’une biographie sur le photographe triestin Giuseppe Wulz (1954), de romans (Enquête sur un sabre, 1984 ; Une autre mer, 1991), traducteur (c’est-à-dire selon lui « le co-auteur d'un texte ») de Büchner, Kleist, Schnitzler, dramaturge (Stadelmann, 1988 ; les Voix, 1995 ; l’Exposition, 2001), Claudio Magris a également revisité le mythe d’Orphée et Eurydice dans Vous comprendrez donc (2006), hommage à sa femme décédée, l’écrivain Marisa Madieri (1938-1996).
Pressenti plusieurs fois pour le prix Nobel de littérature, Claudio Magris a reçu de nombreuses distinctions, parmi lesquelles le prix Erasme (2001). Pour le jury du prix Prince des Asturies dont il a été lauréat en 2004, son œuvre incarne « la meilleure tradition humaniste et une image plurielle de la littérature européenne ».