peinture romane

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Un grand nombre de monuments religieux de l'époque dite " romane " ont été partiellement ou entièrement couverts de peintures, sans que cette ornementation soit d'ailleurs une règle absolue. On y distingue deux domaines, d'une part celui de l'influence byzantine, dont les centres principaux hors de l'empire d'Orient sont la Yougoslavie et la Russie kiévienne et novgorodienne, d'autre part celui de l'Occident, c'est-à-dire l'Italie, l'Espagne du Nord, la France capétienne, les pays du monde germanique, l'Angleterre, le Danemark et la Scanie aujourd'hui suédoise. C'est de l'Occident qu'il est essentiellement question ici.

Malheureusement, dans l'une comme dans l'autre de ces grandes aires, il ne subsiste que de trop rares éléments. Les destructions, les guerres, le mauvais entretien aggravent plutôt qu'ils n'améliorent la situation. Des découvertes, des restaurations récentes, des nettoyages (en Allemagne depuis 1945) n'arrivent pas à compenser nos pertes.

Donc, une carte de la peinture murale romane reste bien décevante parce qu'elle n'est qu'un constat de la situation actuelle. On y remarque en particulier que les grands sanctuaires y sont presque absents. Ainsi, la peinture de Cluny ne nous est plus connue que par les œuvres de la chapelle de Berzé, qui en dérivent. De même, la décoration du Monte Cassino ne peut être décelée qu'à travers celle de Sant'Angelo in Formis. La découverte, il y a peu, des peintures d'une absidiole de Saint-Martin de Tours rappelle tout ce que nous avons perdu et rend plus précieux et exceptionnel le témoignage d'un grand programme comme celui de Saint-Savin, même si nous ne l'avons pas en entier sous les yeux.

Numériquement, le nombre de sanctuaires peints aujourd'hui existants reste infime. Dans les limites actuelles de la France, on a dénombré environ 140 églises et chapelles présentant des fragments plus ou moins importants de décoration peinte : c'est bien peu par rapport au nombre des édifices cultuels. Et pour s'en tenir à ce pays, le plus riche d'ailleurs, la carte reste déconcertante. Faut-il attribuer au climat et à ses destructions l'absence presque totale de peintures murales en Bretagne et surtout en Normandie, puissante province romane ? Que dire de la quasi-inexistence de la peinture murale dans ce Languedoc, dont la sculpture romane est si célèbre ? Quelles sont, au contraire, les causes de la richesse, en qualité comme en quantité, du Centre-Ouest ou bien de la Catalogne, Roussillon compris ? On comprend aisément que les contrastes de cette carte aient conduit à parler, souvent à l'excès, d'écoles régionales.

Dans l'essentiel, les peintures murales qui nous sont parvenues datent du second art roman, c'est-à-dire de la vaste période qui commence à peu près au troisième tiers du xie s. et se termine, de façon fort diverse selon les régions, entre 1150 et 1250 au moins. Cela est particulièrement vrai de la France.

Mais nous avons plus d'un exemple de la période précédente, c'est-à-dire du premier art roman, comme celui de Galliano en Italie du Nord, en 1007. Souvent, le groupe dit " ottonien ", c'est-à-dire celui de la peinture de l'Empire au xe et même pour une part au xie s., est étudié avec la peinture carolingienne : tel est le cas du grand ensemble d'Oberzell sur la Reichenau (lac de Constance) et de la chapelle voisine de Goldbach, mais aussi parfois des intéressantes fresques de Fulda, dans une église consacrée en 1023. En réalité, un des problèmes clefs de la peinture murale est celui du xie s., car les chaînons entre l'art proprement carolingien et l'art roman, s'ils paraissent assez nets dans la Germanie impériale, sont confus en Italie et rarissimes en France. On a parfois essayé de proposer des datations plus anciennes que celles communément admises, en particulier grâce à des analogies avec Galliano. Mais, par exemple, le grand décor de la tribune nord de la cathédrale du Puy reste de date fort incertaine : on dit quelquefois 1050 sans aucune certitude, l'étude du monument lui-même restant hésitante dans sa chronologie ; ailleurs est proposée une hypothétique " fin du xie s. ".

Les difficultés ne sont pas moindres en ce qui concerne la fin de l'époque dite " romane ". En France, on a proposé les environs de 1180, en pensant en particulier à l'inflexion nouvelle du style de la crypte de Montmorillon en Poitou. Les récentes découvertes (Lutz-en-Dunois, Pouzauges-le-Vieux), la peinture dite " à l'ocre rouge " dans le Maine et l'Anjou, de type rustique et réaliste, montrent que les passages d'un style à l'autre ont souvent été très lents et progressifs et mènent au-delà de 1200.

Dans les autres pays d'Occident, il n'y a pas d'hésitation possible : il faut souvent dépasser le début du xiiie s. Dans les pays de culture germanique, à Gurk en Autriche (1267), la Cité céleste ou le Paradis terrestre montrent la coexistence d'un vocabulaire roman et d'une interprétation stylistique nouvelle, ce qu'indiquaient entre 1150 et 1200 déjà de nombreux exemples rhénans comme Schwarzrheindorf et les belles figures de Saint-Géréon de Cologne. En Catalogne, l'art tardif des " frontaux " est plus folklorique que créateur, mais le cas de l'Italie est différent : de la fresque romane tardive aux grands artistes qui, à la limite du duecento et du trecento, ouvrent l'ère de la grande peinture, il y a moins de différences que de rapports. Les fresques d'Anagni (1255) montrent cependant un vaste ensemble bien daté d'esprit nettement conservateur, véritablement archaïque dans le milieu du siècle gothique.

Thèmes iconographiques

Les sources

L'art médiéval est la traduction, très directe, de la réflexion théologique du temps, et, de ce point de vue, la sculpture et la peinture murale — ornements de la maison de Dieu — ne diffèrent guère entre elles.

Mais la continuité du décor peint, de l'époque paléochrétienne à l'art roman, est un fait fondamental, alors que la création plastique médiévale a été plus complexe dans ses cheminements. Aussi, toute peinture murale doit être lue à la lumière des traditions ininterrompues qu'elle représente. Ce sont les origines mêmes de l'image chrétienne qui en expliquent tout le développement.

L'immense fonds judéo-chrétien a donné à la pensée médiévale une riche matière de réflexion et d'imagination. De la réflexion est issue toute l'iconologie, c'est-à-dire le langage des images, le besoin constant de retrouver derrière l'apparence de l'image la réalité profonde, ce qui veut dire une sorte de double lecture, le sens historique et le sens symbolique, visible dès la grande frise de mosaïques de Sainte-Marie-Majeure à Rome au ive s. De là aussi provient une première hiérarchie de l'image, celle des rapports de l'Ancien et du Nouveau Testament, la typologie, qui fait apparaître les prophètes en face des apôtres. Le travail de l'imagination se fait surtout à travers les Évangiles apocryphes et tous les récits légendaires, nombreux en Orient ; de là provient l'importance, dans la peinture médiévale, qu'elle soit de Russie ou de France, des images syro-palestiniennes, en particulier dans tout le cycle de l'" Enfance du Christ ", presque totalement issu de cette source non officielle mais pas encore contestée.

Mais la paix de l'Église et l'officialisation rapide du christianisme ont eu pour conséquence l'intégration de l'Église dans l'État impérial, tel qu'il s'est forgé surtout depuis Dioclétien. L'image chrétienne hérite des rituels du palais et s'ajoute au fonds oriental. Le Christ trônant dans sa gloire est d'abord celui de la vision juive d'Ézéchiel et de Daniel renouvelé par la vision chrétienne de l'Apocalypse : ainsi s'explique cette étrange image où le tétramorphe, l'animal aux quatre formes que les Juifs avaient vu veiller aux portes des palais lors de leur exil mésopotamien, devient, divisé en quatre signes, le symbole des évangélistes et a peut-être une signification plus mystérieuse encore, celle des quatre moments de la vie du Christ. Mais l'alpha et l'oméga du Livre sont le souvenir de la culture hellénistique d'une partie des premiers judéo-chrétiens. Le trône, le cortège surtout des apôtres ou des saints, parfois le geste même de leur " acclamatio ", nous ramènent au Bas-Empire.

André Grabar a souvent insisté sur les aspects paléochrétiens (c'est-à-dire remontant aux premiers temps de l'Église) des peintures murales romanes. Les Vierges à la palme du chœur de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers comme, dans la même ville, à Saint-Hilaire, à l'église de Saint-Savin ou à Tours les figures des Grands Évêques fondateurs, ou bien au baptistère Saint-Jean de Poitiers les célèbres Cavaliers, dont l'un est le glorieux Constantin, les colonnes de faux marbre à l'église de Saint-Savin ou à Saint-Hilaire de Poitiers sont autant d'exemples de vivaces souvenirs. En résumé, c'est l'aspect triomphal du culte qui double, par l'évidence de l'affirmation glorieuse, l'autre caractère du christianisme, celui d'une religion orientale de mystère. Ce syncrétisme peut se lire, encore présent, sur les murs de nos églises romanes.

Mais la nouvelle civilisation sut faire fructifier ce double héritage, à Byzance comme en Occident.

À Byzance, c'est surtout le caractère sacré de la religion qui, à première vue, semble mis en valeur. On ne peut oublier de ce point de vue les grandes ordonnances des mosaïques de Ravenne comme, plus tard, celles de Sicile. Tout y semble rite, étiquette et hiérarchie. La règle iconographique devient impérieuse et elle va se répandre dans de vastes régions de l'est et du sud-est de l'Europe, et influencer profondément l'ouest du continent. Les longues théories d'apôtres, les triades d'anges, les couronnes, les bijoux, les manteaux aux belles étoffes, c'est tout un monde du palais qui apparaît ici transfiguré, symbole et image terrestre du monde divin. Mais l'originalité byzantine ne s'arrête point là : la théologie subtile des pères de l'Orient sert de base à une imagerie aux règles absolues. L'aspect illusionniste y est entièrement sacrifié : les arrière-plans disparaissent, les personnages sont raidis dans une attitude frontale avec parfois un mouvement de la tête vers le spectateur. Cette typisation, que rend encore plus éclatante la minutie du détail, est cependant contredite par une série de " renaissances " antiquisantes comme celle des empereurs macédoniens (xe s.), ce qui éclaire le style siculo-normand des grandes mosaïques de Cefal`u ou de Palerme et leurs expressifs visages. De toute cette ordonnance byzantine, l'Occident garde une certaine nostalgie des grandes compositions iconographiques au déroulement hiératique, solennel et quasi immuable, l'image aussi de scènes théologiques comme la célèbre " Déisis ", l'" Intercession " qui réunit autour de Dieu saint Jean et la Vierge, témoins de la mort au Golgotha, l'image des archanges cuirassés autour de saint Michel, l'archistratège. La place même des peintures, leur ordonnance dans l'édifice, doit beaucoup au modèle oriental : à Poncé, sur les bords du Loir français, le Jugement dernier est au revers du mur occidental de l'église, comme il le sera, en mosaïque, à Torcello près de Venise. C'est un rituel byzantin.

L'Occident carolingien a certainement eu une forte influence sur l'évolution de la peinture murale. Certes, comme il a été dit, bien des chaînons manquent et la comparaison se fait souvent à partir d'éléments hétérogènes. Cependant, il paraît probable que les grands scriptoria du ixe s. ont eu une action stylistique importante : on a cité souvent à ce propos le Psautier dit " d'Utrecht ", rattaché à l'atelier rémois. Cl. Duprat a fondé une partie de son analyse de la peinture romane en France, et plus particulièrement du Centre-Ouest, sur la présence et le rayonnement d'un centre important à Tours, thèse que semble confirmer l'archaïsme étonnant de certains manuscrits du xie s., en particulier ceux qui proviennent de Saint-Aubin d'Angers. Pour juger exactement, il nous manque la connaissance de la peinture mérovingienne, connue par des descriptions littéraires comme une appréciation de la reprise de la peinture après le désastre normand. De ce point de vue, l'observatoire privilégié est l'art ottonien : telle est la raison de l'importance attribuée par les historiens d'art à l'ensemble de Reichenau à la fin du xe s. En tout cas, la renovatio imperii laissa partout des traces profondes dans les consciences et les imaginations des milieux dirigeants. Cela ne peut que confirmer la vision triomphante constantinienne.

Les développements romans

Tout cet héritage, puissant et complexe, source fondamentale d'un art, va se modeler selon les esprits de l'époque romane, c'est-à-dire aux deux sources fondamentales de la pensée religieuse, sa traduction populaire et sa réflexion théologique.

Le xie s. est marqué par le développement du culte des saints : la première canonisation romaine date de 933, mais la procédure épiscopale ou, plus simplement, la vox populi se continuent jusqu'au xiie s. Les pèlerinages, source de piété et de profits mélangés, se multiplient. Aux fidèles sont montrées des vies miraculeuses enluminées, comme les célèbres manuscrits de Saint-Aubin ou de Sainte-Radegonde dans l'ouest de la France. À Saint-Savin, les absidioles du déambulatoire ont conservé de précieux autels anciens où sont gravées des invocations aux martyrs et saints auxquels ils sont dédiés. De grandes figures de saints ornent les piliers du transept du côté du chœur, et la chapelle d'axe a conservé en partie un décor peint consacré à la Vierge. La crypte raconte, en un style d'ailleurs plus imagé, plus pittoresque que le reste de l'édifice, le martyre, fort légendaire, de saint Savin et de saint Cyprien. Dans la crypte de Chartres, on retrouve le cortège de saints évêques. L'absidiole récemment découverte de la tour Charlemagne de Saint-Martin de Tours montre le saint recevant la couronne des élus. À Saint-Jacques des Guérets, dans un ensemble fort complexe de style, le martyre de saint Jacques introduit une note de violence réaliste. Les représentations des saints peuvent en effet avoir été un des cheminements d'un style nouveau.

La pensée théologique reste l'ordonnatrice des grands programmes iconographiques, comme on peut le saisir dès que le hasard nous a conservé des ensembles importants, comme c'est le cas à Saint-Savin ou à S. Angelo in Formis. On connaît la distinction traditionnelle : ante legem, de la Genèse au Sinaï ; sub lege du Sinaï au Messie ; sub gratia, la vie du Christ. Tels sont les enseignements fondamentaux qui doivent apparaître. À Saint-Savin, la voûte de la nef est consacrée au thème ante legem, à S. Angelo in Formis, sur les parois de la nef centrale, accompagnée de prophètes et de patriarches, c'est sub gratia, la vie publique du Christ et sa Passion, que l'on retrouve dans l'abbaye poitevine au premier étage du clocher-porche. Dans l'église campanienne, un vaste Jugement dernier au revers de la façade, dans le nouveau narthex des vies de saints, un grand Saint Michel, une Vierge orante complètent une riche iconographie, à laquelle un peu plus tard s'ajouta, sur les murs des bas-côtés de la nef, la Genèse ante legem. Si la Parousie (apparition de Dieu) de l'Apocalypse est évoquée en Poitou dès le porche occidental avec un récit des signes de la fin du monde, c'est-à-dire des calamités terminales, c'est à une place plus habituelle qu'on retrouve les puissantes images à l'abside centrale de l'église italienne. Le Christ en majesté — majestas Domini — trône avec les 4 animaux symboliques et, fait assez rare, l'Esprit saint au-dessus de sa tête. En dessous, les 3 archanges, saint Benoît et l'abbé Desiderius, abbé du Mont-Cassin de 1059 à 1087, tenant la maquette de l'édifice.

Ces deux grands ensembles du dernier tiers du xie s. nous permettent de définir les grands thèmes iconographiques de la peinture murale romane. À la place d'honneur, généralement, l'Ancien et le Nouveau Testament, principalement le cheminement de l'humanité de la création à la chute, de la chute à l'alliance du Sinaï, promesse de la rédemption et, pour la vie du Christ, les thèmes de l'enfance — tendres et familiers — et ceux de la vie publique, sans que la passion soit l'objet du pathétisme, qui n'apparaîtra qu'à la fin du Moyen Âge. Souvent, des bustes de saints, de martyrs, de prophètes ou de patriarches ponctuent, par exemple aux écoinçons, cette leçon comparative. Les vies des saints s'insèrent dans cette vaste pensée, généralement à des endroits plus particuliers, souvent autour du sanctuaire. Enfin, la vision passe de l'histoire — la seule qui soit alors envisagée — à la certitude de l'avenir. De là la vision théophanique des grandes absides, dont les premiers modèles étaient les mosaïques des basiliques romaines des ive et ve s. Cette vision a plusieurs expressions possibles, comme le prouvent les 3 peintures de la chapelle Saint-Gilles de Montoire, mais on y retrouve toujours unis les deux thèmes de la fin du monde et de la gloire de la majesté divine. Autour d'elle se déroule l'impressionnante procession des apôtres et des saints. Parfois, le monde est évoqué, comme dans la sculpture, par les signes du zodiaque, le calendrier des mois et aussi la psychomachie, le combat des vices et des vertus. À Knechtsteden, en Westphalie, une inscription nous rappelle le sens de cette image : Majestas atque figura cristi signatur per quem mundus reparatus (" ici sont représentées la figure et la majesté du Christ grâce auquel le monde est sauvé ").

Styles et courants d'influence : problèmes de classification

Une des préoccupations majeures des historiens d'art, depuis près d'un siècle, a été de trouver des principes de classement des peintures romanes et, en définitive, d'essayer d'y définir des styles. En même temps, une connaissance plus approfondie de l'ensemble du domaine européen a conduit à rechercher s'il n'y avait pas — comme en architecture et en peinture — de grands courants d'influence, des échanges, parfois inattendus, révélés par la méthode comparative. On s'est alors très souvent, et peut-être à l'excès, appuyé sur l'autre grand art roman de la couleur, la miniature, dont le caractère transportable est évident.

Avant d'examiner quelques aspects de ces problèmes de classification, il paraît indispensable de souligner la profonde unité de la peinture murale romane. Elle provient de toute une conception des buts mêmes de la création artistique.

Le peintre roman vit dans un monde qui n'est qu'apparences. Son rôle ne peut donc être la restitution d'une réalité trompeuse. Au-delà de ce qu'il voit, il doit peindre ce qu'il sait. L'idée de reconstruire la perspective est une aberration, puisqu'elle n'est que l'illusion de nos sens. De même, le geste sera expression et non pas vraisemblance : membres allongés, mains effilées sortant de draperies schématisées. Cependant, pour atteindre la vérité, il est nécessaire d'évoquer le cadre conventionnel où nous vivons : il suffit pour cela de ce que Mérimée avait appelé excellemment des " explications graphiques ". Le décor se réduit à des signes : terre et ciel transformés en bandes colorées, arbres schématisés, monde figuré par un disque, mer transparente de traits ondulés, sol de stries sinueuses et colorées, architectures imaginaires ; le cadre traditionnel du tableau mural n'est lui-même qu'indicatif : le pied d'un personnage peut en déborder et se poser avec élégance sur une frise de grecques ou d'engrenages.

C'est autour de cette conception même de l'image que se fait l'unité d'un art. Les moyens d'expression peuvent avoir une tonalité différente, mais partout se retrouve cette esthétique du transcendant, qui sera formulée théoriquement au cours du xiie s., en particulier par l'école de Chartres. C'est donc un puissant ferment d'unité, qui permet en définitive la véritable définition de la peinture romane. Au-delà des recherches de définition des styles particuliers, des dénominations discutables d'écoles, la peinture murale romane reste un ensemble très bien caractérisé dans l'histoire des arts, parce qu'elle reflète les modes de pensée d'une civilisation. On comprend mieux dans ces conditions l'existence d'une véritable grammaire des formes et des décors, aux origines d'ailleurs multiples, dans l'ensemble du domaine considéré : que les plis d'un manteau soient signifiés d'identique façon à Soest, à Montoire et à S. Angelo in Formis ne nous surprendra plus et n'aura de signification que générale. La pastille rouge qui marque la joue humaine à Sainte-Sophie de Novgorod, à Vicq et à S. Angelo in Formis montre que cette unité est peut-être plus vaste qu'on ne l'imagine.

Rapports avec l'architecture et la sculpture

Un autre aspect — peut-être trop peu souligné jusqu'ici — permet également de définir des caractères communs à l'ensemble des œuvres que nous considérons : il s'agit des rapports de la peinture avec l'architecture et la sculpture des édifices.

Issue du décor des grandes basiliques de type paléochrétien, la peinture paraît simplement se servir du mur comme d'un support quasi indifférent. La conception idéologique et esthétique que nous venons de souligner renforce cette indifférence : au lieu de trouer le mur, de lui donner une autre réalité que la sienne, comme le fera la fresque de la Renaissance, l'image romane le pare d'un récit qui seul importe. Tel était l'héritage, déjà souligné, de la peinture carolingienne. Cependant, l'édifice roman a, le plus souvent, une structure plus complexe que les édifices qui l'ont précédé, et l'organisation hiérarchisée des grands thèmes y trouve une occasion de s'y développer : déjà les églises romaines, dans leur décor de mosaïques, avaient mis en valeur l'arc triomphal et la grande abside qui le suivait. Au fur et à mesure que se développaient les formes architecturales, les peintres romans furent amenés à se préoccuper d'un accord possible avec elles. Cela se fit selon des procédés assez contradictoires.

Les uns ont cherché à s'associer à l'architecture par une création autonome d'architectures imaginaires, par exemple des jeux d'arcatures autour des absides (Saint-Clément de Tahull, Saints-Pierre-et-Paul de Niederzell à Reichenau), voire sur des voûtes (Sainte-Marie de Kempley, chœur de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers) ou bien le long d'une nef (Saint-Martin à Laval). L'origine de ces colonnes, de ces chapiteaux, de ces arcades semble devoir être recherchée dans les manuscrits d'origine ou de tradition carolingienne. Rappelons que, dans la crypte de Saint-Germain d'Auxerre (ixe s.), il y a des colonnes et des chapiteaux simulés par le peintre sur les murs. D'autres artistes ont vu le problème de façon différente : c'est par l'ornement que la peinture murale s'adapte à l'édifice, y adhère en quelque sorte. C'est ainsi que les ouvertures sont soulignées par de larges bandeaux décoratifs, que prolonge souvent la peinture des ébrasements eux-mêmes. Tel est le parti adopté à Berzé-la-Ville par les peintres de Cluny. Il en est de même pour les grands arcs-doubleaux, traités par de longues figures et par des médaillons contrastés (Saint-Gilles de Montoire, San Isidro de Léon). Cela a favorisé le vaste développement d'une grammaire décorative, mélange de motifs antiques, d'inventions carolingiennes et de créations proprement romanes. De même, les compartiments d'une voûte d'arêtes sont souvent séparés par des traits de couleur le long des arêtes qui soulignent la structure (Tavant, Civate, Schwarzrheindorf), comme l'avait déjà fait le peintre de Saint-Germain d'Auxerre. Colonnettes et chapiteaux enfin sont inclus dans cet ensemble de couleurs qui unifie l'espace architectural, comme c'est le cas à Brioude. Il a certainement existé bon nombre de monuments où la peinture n'est intervenue que pour souligner certaines structures et animer la sculpture des chapiteaux : Le Ronceray à Angers, Saint-Philibert de Tournus.

Cet accord d'expressions complémentaires est une des définitions possibles de la peinture romane : les byzantinismes de Berzé-la-Ville n'effacent pas l'impression d'une organisation spatiale originale, dont le rythme est architectural. Le jeu des fenêtres et des arcatures peut imposer au peintre la place même — et même la forme — de ses figures : cela se voit aisément au chœur de Saint-Géréon de Cologne. Nous pouvons imaginer des complémentarités plus étroites, comme celle qu'évoque la célèbre arcade des Rois mages du cloître de Saint-Aubin d'Angers.

Il y a là tout un jeu de possibilités qui éloignent le peintre roman de ses modèles anciens. Même le maintien de grands tableaux de type carolingien sur la voûte de Saint-Savin ou sur les surfaces murales nues de Vicq et de Brinay est le résultat d'une réflexion de l'artiste sur ce problème de la place de son œuvre dans l'ensemble de l'édifice, car, dans ces cas, il s'agit soit d'une voûte sans doubleaux, soit de modestes cubes de maçonnerie sans articulation architecturale. On retrouvera aussi, semble-t-il, cette vivacité de perception et d'expression dans la peinture prégothique, que ce soit au Liget, à Schwarzrheindorf, ou à Saint-Géréon de Cologne, mais alors grâce à un dessin à la fois précis et elliptique, plus constructeur de formes. De ce dernier point de vue, la logique architecturale sépare la peinture murale de l'Occident de celle de l'Orient, par exemple de la peinture russe, qui dispose de grands espaces plans aux membrures rares. Mais tout en gardant très présent à la mémoire ces facteurs d'unité de l'œuvre picturale romane, il convient d'examiner comment ont été recherchées les bases de classement d'un patrimoine épars.

Les écoles régionales

La notion d'école régionale, issue de la volonté de classification du xixe s. et analogue à celles de l'architecture et de la sculpture, a semblé répondre à certaines réalités de technique et de style. Mais elle se heurte, si l'analyse des œuvres devient plus précise, à de sérieux obstacles : la chronologie incertaine en est le plus grave. On risque de vouloir, comme le fit autrefois Laffilée pour la vallée du Loir en France, arbitrairement grouper des œuvres différentes dans le temps et donc d'inflexions stylistiques contrastées. Les 3 absides de Saint-Gilles de Montoire ou les peintures de Saint-Jacques des Guérets le démontrent fortement.

Cependant, il a souvent semblé que les critères techniques restaient permanents dans une région et devaient permettre au moins de définir de grands groupes.

Trois procédés peuvent être ainsi distingués. Le premier est celui de la fresque proprement dite, c'est-à-dire de la peinture sur mortier frais. C'est le plus connu, et on parle souvent à tort de la " fresque romane " pour désigner des peintures murales réalisées avec d'autres techniques que le " buon fresco " italien. Dans la peinture " à la grecque ", le mur, préalablement piqué, est revêtu de plusieurs couches d'enduit ; la dernière de celles-ci est grasse (par exemple de la graisse de porc) et elle est soigneusement polie. On peut alors exécuter des fonds, généralement en noir ou en bleu, et le dessin est esquissé à l'ocre. Puis viennent les couleurs — mate à la colle, brillante ensuite à la cire — d'une gamme étendue : blanc, noir, bleu, jaune, brun, vert, ocre, cinabre. Enfin, le centre-ouest de la France a rendu célèbre une formule originale et facilement reconnaissable. Le mortier est réhumidifié au moment de l'exécution. Sur ce support sont indiqués des fonds clairs par une peinture à la colle. Le dessin étant indiqué à l'ocre, viennent les couleurs d'une gamme restreinte : ocres rouge et jaune, vermillon, vert, noir et blanc, beaucoup plus rarement bleu. Certains rehauts sont posés à sec et ont souvent disparu depuis — tels ceux qui figuraient les yeux. On appelle cette peinture le plus souvent " mate à fonds clairs " et parfois, par erreur ou approximation, " à la détrempe ". Nous retrouvons ces divers procédés décrits par les quelques traités théoriques qui nous sont parvenus, comme celui du moine Théophile, la Schedula diversarum artium, du début du xiie s.

Cette classification technique peut paraître séduisante, en particulier pour distinguer de grands groupes dans la peinture française. Il ne faut pas se dissimuler qu'elle repose sur des bases fragiles. Comme l'avait remarqué, dès 1912, Ernst Berger, les analyses scientifiques, en particulier celles des mortiers, sont extrêmement peu nombreuses et pas toujours concluantes, au moins pour reconstituer le processus de création. On discute par exemple pour savoir dans quelle mesure les Italiens ont employé la véritable fresque avant le xive s. Toute analyse précise dans un groupe donné tend à révéler du point de vue qui nous occupe de fortes différences : tel est le cas de Saint-Gilles de Montoire ou de l'ensemble catalan. Nos connaissances restent donc fragmentaires, et leur lente progression semble aboutir à plus de différenciation que d'unité. Ces impressions se confirment lorsque l'on cherche à établir les rapports des techniques et du style, afin d'y trouver la preuve de grands courants d'influence.

L'influence byzantine

Si, en effet, il est malaisé de distinguer — du moins de façon absolue — des unités géographiques stylistiques, même s'il existe des dominantes dont l'intérêt reste absolument incontesté et même primordial, s'attacher à pénétrer le jeu des grands courants d'influence est une tâche aussi difficile que nécessaire. Les discussions tournent ici autour de quelques problèmes fondamentaux.

Le plus évident est celui de l'influence byzantine. Mais celle-ci reste le plus souvent diffuse. D'abord, il est difficile de définir la peinture murale byzantine du xie s. : celle de Constantinople a pratiquement disparu. Or, de la mosaïque à la peinture murale subsiste une différence profonde, comme le prouvent d'ailleurs les peintures et les mosaïques de Rome du début du xiie s., en particulier celles de Saint-Clément. C'est pourquoi on attachera un intérêt tout spécial aux fresques, récemment mises en valeur, de Sainte-Sophie d'Ohrid en Yougoslavie, fondation d'un envoyé de Basile II dans le premier quart du xie s. L'œil y retrouve les types byzantins des visages dans leur solennelle fixité, mais les mouvements du corps, les draperies à l'envol déchiqueté des anges sont d'un autre monde. Les aspects plus narratifs, plus naïfs de l'histoire d'Abraham augmentent encore cette impression de diversité. Ainsi apparaît que, dès la Macédoine, l'art d'origine byzantine se transmute et s'anime. Or cet exemple extérieur et ancien se retrouve dans la plupart des peintures d'Occident, où est manifeste la marque de Byzance. On le retrouverait sans aucune peine à Novgorod dans des peintures contemporaines de celles d'Occident : nourrie de pensée et d'images byzantines, la fresque échappe rapidement aux règles que la mosaïque, art plus artisanal d'exécution, suit plus fidèlement. La main du peintre crée et, fait troublant, on peut observer des démarches parallèles à des milliers de kilomètres, de la part d'artistes qui n'avaient aucun contact possible. Il reste nécessaire d'étudier avec soin, comme cela a été souvent fait, de rechercher le reflet plus ou moins déformé des archétypes byzantins, mais cela est difficile parce qu'il s'y mêle des notions iconographiques, des aspects stylistiques, mais aussi la notion indispensable de la diversité des fonds byzantins tant dans l'espace que dans le temps. Il y a donc dans cette étude une double nécessité : celle de la connaissance des mondes artistiques byzantins, du centre aux franges, mais aussi celle de l'appréciation de la puissance de transformation de l'Occident. C'est pourquoi l'étude comparative de l'Occident et des marges byzantines de Russie ou de Yougoslavie par exemple peut être très enrichissante, parce qu'elle permet de comparer les processus de remodelage que subit le modèle commun.

On voit ainsi la complexité irritante d'un autre problème parallèle au précédent, celui de l'art italo-byzantin et de sa possible diffusion vers les pays germaniques comme vers la France capétienne. Si l'on compare Knechtsteden et Berzé-la-Ville, on voit tout de suite l'importance du facteur de création à partir d'éléments byzantinisants sans doute communs. L'aboutissement d'un courant possible peut donc être fort différent selon les cas. Et si Berzé peut être comparé à quelque autre œuvre, ce serait à Salzbourg (vers 1154) à cause du graphisme nerveux qui transfigure le schéma byzantin. L'Italie elle-même offre trop de points d'interrogation. Sans remonter jusqu'à Castelseprio et aux incertitudes chronologiques qui subsistent au sujet de ces admirables fresques, on remarquera les difficultés d'interprétation stylistique des fresques de Galliano, bien datées pourtant de 1007, dont on a parfois essayé de faire une des bases d'explication de la peinture romane française par simple rapprochement de conventions de représentation. Et les différences d'appréciation chronologique au sujet de Saint-Pierre de Civate sont assez considérables pour illustrer la difficulté de fixer les traits principaux d'une évolution, dont l'Italie et l'Allemagne offrent les étapes indécises au cours du xie s.

L'hypothèse d'un style " bénédictin " issu du Monte Cassino et semblable aux rythmes puissants de S. Angelo in Formis englobe difficilement d'autres types d'expression, que ce soit le formalisme géométrisant de Castel Sant'Elia ou la puissance de transformation des peintres romains de la première moitié du xiie s. (Saint-Clément, Sainte-Marie du Transtévère). La diversité extraordinaire de la peinture murale italienne résiste d'ailleurs aux tentatives de classement rigoureux. N'y trouve-t-on pas l'expressionnisme d'Aoste à côté d'autres traditions plus proches du grand art byzantin, comme c'est, très tardivement, le cas de la crypte d'Aquilée. Dans celle-ci, d'ailleurs, un dessin nerveux et moderne de chevaliers au combat contraste avec l'hiératisme traditionnel de l'ensemble de la composition.

Que Byzance — sous des formes d'ailleurs différentes selon les régions considérées de l'Empire et selon les périodes historiques — ait été la grande inspiratrice de formes n'est guère douteux. Mais la création du peintre disloque très vite le schéma d'influences et en rend aléatoire l'affirmation trop générale, rendant nécessaire la nuance des jugements et réservée l'affirmation des influences au moins directes.

La miniature

Toutes les savantes et multiples recherches sur les rapports de la miniature et de la peinture murale peuvent amener aux mêmes conclusions de méthode : une coïncidence n'est pas une preuve, dès que l'on a arbitrairement éliminé l'une des composantes de l'œuvre, que ce soit l'iconographie, le style ou l'échelle. Cependant, il y a là une voie fructueuse, à condition d'en connaître les limites. La miniature peut donner l'explication de sources iconographiques : des exemples peuvent être cités parmi les recherches récentes, comme l'analogie des peintures de Saint-Julien de Tours avec un manuscrit du Pentateuque de cette même ville.

Ce peut être soit une simple analogie, soit une inspiration plus directe, que l'on peut imaginer par les rapports des clercs et des peintres.

Il peut être question d'une convergence plus vaste, celle du style. On a souvent parlé — parfois avec excès — de la comparaison à faire entre la peinture murale de l'ouest de la France et 2 manuscrits de vies de saints : ceux de Saint-Aubin d'Angers et de Sainte-Radegonde de Poitiers. À Montoire, il n'est pas exclu de penser à tel manuscrit de la Trinité de Vendôme. Surtout, les manuscrits ottoniens et anglo-saxons ont donné lieu à de multiples réflexions : ils reflètent souvent une transmission de formes anciennes et, au-delà même, une certaine interprétation de la figure et une composition de l'image qui se retrouvent dans la peinture murale. Cela a paru sensible à bon droit dans la nef de Saint-Savin. La racine carolingienne de beaucoup de peintures de l'ouest de la France s'éclaire aussi en feuilletant les manuscrits carolingiens et, plus encore, ceux de tradition carolingienne des scriptoria de cette région.

La création

Manuscrits et peintures reflètent ensemble la double démarche artistique de l'époque romane : l'attachement à la tradition, la naissance d'un style propre à la nouvelle époque. Mais on admettra que ces indispensables comparaisons ne résolvent pas le problème fondamental, celui de la création artistique. C'est peut-être en songeant essentiellement à celle-ci que pourraient être tentées d'autres recherches. À l'intérieur de tout un système de conventions de l'image, qui forme un ensemble analogue à celui de toutes les grandes époques artistiques, les historiens de l'art ont depuis longtemps distingué des types de structure stylistique, c'est-à-dire d'interprétation de ces conventions. Jusqu'ici, le travail de recherche a été essentiellement une besogne d'érudition qui s'efforce, avec patience, parfois avec succès, parfois avec témérité, de déterminer les cheminements obscurs d'influences et de filiations pour remonter jusqu'à de possibles origines. Un autre point de vue, celui qui va regarder les œuvres en tant que telles dans leur vie intrinsèque de création artistique, semble pouvoir, à condition d'éviter les rapides généralisations, donner des résultats.

La définition du dessin roman permet de distinguer plusieurs types de création. Dans un premier groupe figure ce que l'on peut appeler le dessin représentatif. L'exemple le meilleur paraît être les puissantes figures de saints du soubassement de Berzé-la-Ville près de Cluny : elles sont dessinées avec un souci de vérité psychologique évident, une précision du trait qui recrée, à partir du schéma nécessaire au mosaïste, de véritables portraits. Il existe certes des variantes plus sèches, d'une qualité moins grande, mais le principe en reste le même (Cantorbéry). À ce type, qui au-delà du modèle byzantin retrouve sans doute des structures plus anciennes, s'oppose le dessin allusif où le graphisme ne sert plus à la vision du réel, mais à son évocation. C'est la prestigieuse main de l'artiste de l'abside orientale de Montoire qui est sans doute l'exemple le plus saisissant. Mais on distinguera assez facilement le dessin au trait et le dessin de couleur, c'est-à-dire l'emploi de contours colorés qui indiquent les formes. L'exécution même de la peinture murale exige une rapidité de vision et d'exécution qui transforme ce dessin allusif en une création de formes très originale. On retrouvera aussi cette peinture, semble-t-il, dans la peinture prégothique, que ce soit au Liget, à Schwarzrheindorf ou à Saint-Géréon de Cologne, mais alors sous la forme d'un dessin à la fois précis et elliptique, plus constructeur de formes.

Ces deux types s'opposent vigoureusement à une famille de grande dispersion géographique et de formes particulières, d'ailleurs assez diverses. C'est la famille du dessin-cerne. Généralement, les formes y sont tracées par des traits noirs épais qui enferment littéralement les couleurs. Mais cela ne suffit pas à définir cette famille, car ce dessin est généralement une forme de simplification puissante ou caricaturale. Cela n'est pas un procédé roman proprement dit, car les marges byzantines le montrent dans le monde subcaucasien, dans l'ensemble cappadocien ou dans la branche copte en Égypte. Cet aspect, marginal en Orient, permet de penser qu'il s'agit d'un expressionnisme rustique dont les rapports avec le grand art apparaissent comparables à ceux du baroque urbain et aristocratique et de ses expressions des campagnes de toute l'Europe. Il est malheureusement difficile, en l'absence d'études proprement stylistiques et surtout en raison de la rareté statistique des peintures murales, de savoir si cette analogie est totalement fondée. Les peintures catalanes sont certes les exemples les plus extraordinaires de cet emploi du cerne, qui va de pair avec une exagération des procédés stylistiques communs à tout l'art roman, par exemple la représentation des draperies ou des anatomies ; l'emploi d'une gamme de couleurs très vives, l'outrance du geste achèvent de donner à ce type de schéma une violence expressionniste. Mais la Catalogne n'est pas le seul exemple : Vicq a depuis longtemps étonné par son aspect similaire et a posé d'insolubles problèmes, comme Aoste. Les peintures danoises ont certains aspects de ce type. C'est peut-être dans ce type de traduction des formes qu'une étude purement artistique, sans souci des rapprochements et filiations possibles, serait la plus utile. Il s'agit dans cette démarche de considérer l'œuvre romane en elle-même, ce qui n'exclut pas, au contraire, la démarche précédente et parallèle de la mise en place historique. Ces deux types de méthodes de travail constituent, par leur constant jumelage, l'originalité de l'histoire de l'art. La peinture murale romane en est certainement un des sujets les plus intéressants et révélateurs d'une civilisation.