portrait

Jean II le Bon
Jean II le Bon

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Le problème du portrait peint peut être envisagé selon un triple point de vue : historique (évolution d'un type, en buste ou en pied, statique ou animé, sur fond neutre, dans un intérieur ou dans un paysage), sociologique (témoignage d'une société et de ses structures), esthétique (dans la mesure où l'imitation et l'imagination interviennent à divers degrés).

Les origines

Il est difficile de parler du portrait dans l'Antiquité sans évoquer la sculpture depuis les phases naturalistes de l'Égypte (Sésostris III, Akhénaton) jusqu'aux types des hommes éminents de la Grèce, (l'Orateur, le Général). Nous savons peu de chose du portrait peint dans l'Antiquité : écho de la joyeuse cour de Crète (la Parisienne) ou évocation figurée funéraire sur les lécythes. Nous savons qu'Apelle avait l'exclusivité des portraits d'Alexandre, dont aucun ne nous est parvenu. La peinture des tombes étrusques est peut-être le substrat sur lequel s'est développée la peinture romaine : portrait commémoratif réaliste (Un boulanger et sa femme, fresque de Pompéi, musée de Naples) ou héroïsé (Statue équestre en trompe-l'œil, fresque de la Casa della Farnesina, Rome, musée des Thermes), portrait lyrique (Une jeune fille prête à écrire, fresque de Pompéi, Naples, M. N.) ou objectif, non sans noblesse (Jeune Femme, mosaïque de Pompéi, id.). À la périphérie de l'Empire se mêlent, en Égypte, la tradition funéraire égyptienne et le style gréco-romain dans la célèbre série des portraits du Fayoum peints à l'encaustique sur bois ; les regards intenses " mangent " les visages : c'est là une première étape vers la dématérialisation sous l'influence orientale et l'influence chrétienne.

Avec le christianisme intervient une certaine distance à l'égard du réel — " Bien peindre, ce n'est pas reproduire, mais voir l'âme " (saint Jean) —, et, parallèlement à l'influence croissante du pape et de l'empereur de Byzance, le portrait prend un caractère solennel : commande par Léon le Grand, au ve s., des portraits de ses prédécesseurs pour Saint-Paul-hors-les-Murs, mosaïques de Justinien et de Théodora à Ravenne. Ces effigies hiératiques associent la violence barbare et le luxe oriental sur un fond gréco-romain. La crise iconoclaste brise peut-être l'élan vers la représentation de la figure humaine, mais, indirectement, elle permet à l'individu de réintégrer le décor mural sous l'humble forme du donateur ; ainsi, le schéma, antérieur à la crise, de la donatrice Turtura (fresque VI, catacombe de Domitilla, Rome) va connaître une grande fortune : un nimbe carré désigne les papes, donateurs de leurs églises (nombreuses mosaïques d'abside à Rome), et dans les pages de manuscrits apparaît soit le commanditaire (Charles le Chauve et sa cour, ixe s.), soit l'auteur (le Moine Badwine, ou prince des Scribes, auteur du Psautier d'Utrecht).

Le Portrait individuel : la naissance du genre

L'individualisation croissante et le naturalisme gothique vont donner au portrait du donateur une importance croissante ; de la fresque, Giotto (Enrico Scrovegni, v. 1305, Padoue) et Simone Martini (Gentile da Montefiore, v. 1320-1325, chapelle Saint-Martin d'Assise) le transposent sur le retable, l'un dans le Polyptyque du Cardinal Stefaneschi (Bologne, P. N.), l'autre dans Saint Louis de Toulouse couronnant Robert d'Anjou (Naples, Capodimonte). Ensuite, le donateur va être portraituré sur les volets, présenté ou reçu par un saint, et cette présentation annonce l'indépendance complète du portrait sur tableau autonome. Dès le début du xive s., le portrait héroïsé profane fait son apparition avec S. Martini (Guidoriccio da Fogliano, 1328, Sienne, Palazzo Pubblico), renouant avec la tradition romaine et ouvrant la voie aux nombreux portraits équestres de le Renaissance. Entre 1340 et 1350, en Avignon, Matteo Giovanetti manifeste une volonté de serrer de plus en plus près la réalité (visages caractérisés dans les fresques des chapelles du palais des Papes) ; vers 1350, selon un relevé de Gaignières, 2 panneaux disparus montrent Saint Denis et Saint Louis présentant Jean le Bon et son épouse : ainsi le type religieux du donateur engendre-t-il le type du portrait profane.

L'éclosion du portrait individuel se situe entre 1360 et 1420 dans le milieu courtois du Gothique international, depuis l'aspect familier de Jean II le Bon vu de profil sur fond neutre (v. 1350, Louvre), compromis entre l'élégance et le réalisme, jusqu'à l'aspect officiel de Richard II (fin du xive s., Londres, Westminster Abbey), portrait du roi assis, sans omettre le Duc Rodolphe IV (v. 1365, Vienne, K. M.), représenté dans le " style doux " proche de celui des portraits royaux de Karlštejn par maître Théodoric de Prague. Le point de départ du portrait est une observation directe de la réalité associée à la volonté d'élégance du Gothique international. La vogue du Gothique est tout de suite grande : le duc de Berry possédait à Bicêtre une galerie de portraits des papes et grands seigneurs morts et vivants. Le duc d'Orléans avait, en 1389, un cabinet de " portraits " dans son hôtel parisien inaugurant, avec ses maîtresses, les futures galeries des beautés (Brantôme). Le Portrait de femme de la N. G. de Washington, de profil sur fond noir, et Louis II d'Anjou (aquarelle, Paris, B. N.), de profil sur fond d'or, reflètent une société raffinée, et le style franco-flamand, à dominante française, évoque les modes composites et extravagantes du Gothique international. Jean Malouel fit le portrait de Jean sans Peur, que le Portrait d'homme du musée d'Anvers représente aussi probablement ; présenté de trois quarts sur un élégant fond bleu, il est représentatif d'un milieu proche de Jacques Daret.

L'épanouissement du portrait se situe entre 1420 et 1460, simultanément en Flandre et en Italie : peut-être le goût " français " pour le portrait de chevalet a-t-il rayonné v. 1420-1425 à Bruges et en Italie ; les motifs flamands et italiens, malgré les différences techniques, ont pu avoir quelque rapport : selon Pope-Henessy, la peinture flamande constitue un fort attrait pour les marchands italiens : Arnolfini est peint 2 fois par Van Eyck ; Albergati, portraituré par le même artiste, est en 1431 à Bruges. Le portrait des marchands en Flandre ou celui des cours visitées par Pisanello revêt un aspect profane et reflète la stratification sociale de la Flandre, de la Bohême ou de l'Italie. Le portrait flamand de la première moitié du xve s. est un buste de trois quarts ou de face ; dans un intérieur ou sur fond neutre, il revêt un aspect privé et met l'accent sur la réalité objective : c'est le type du portrait eyckien (l'Homme au turban rouge, Londres, N. G. ; la Femme de l'artiste, musée de Bruges). Le Maître de Flémalle en a donné une interprétation dans son style personnel, où les moindres rides sont décrites dans un volume et une matière denses, sous une lumière plus brutale que la délicate atmosphère de Van Eyck. Les portraits de Rogier Van der Weyden sont des visages présentés de trois quarts (Portrait de femme, Washington, N. G. ; Francesco d'Este, Metropolitan Museum). La tradition de Rogier interprétée par un homme de culture néerlandaise est sensible dans les portraits de Petrus Christus, peintures minutieuses des détails et des transparences au service d'une vision synthétique où le volume semble taillé dans du bois (Jeune Fille, musées de Berlin).

Le portrait est un thème essentiel du xve s. italien, qu'il revête un aspect courtois, héroïque ou familier. Dans la deuxième décennie se développent parallèlement 2 tendances : l'une traditionnelle, courtoise, dans la lignée de Pisanello, l'autre novatrice, monumentale et réaliste, chez Masaccio. La révolution opérée par Masaccio dans sa Trinité de S. Maria della Novella, avec les donateurs Lorenzo Lenzi et son épouse (1427-28), consiste dans l'utilisation d'une même échelle pour les portraits et pour la scène sacrée ; la volonté de style et la monumentalité de ces profils n'exclut pas la représentation de la réalité physique chez le Florentin, qui a pu assimiler quelques éléments naturalistes plus septentrionaux (il travaille à S. Maria della Novella juste après le retour de Hongrie, en 1427, de son maître Masolino). Ainsi se définit le portrait florentin de la première moitié du xve s. : buste de profil sur fond sombre, style linéaire, comme ciselé et un peu sec, tel Matteo Olivieri, attribué à D. Veneziano (Washington, N. G.). Avec Andrea del Castagno, l'animation augmente : le Jeune Homme brun (id.) se découpe de trois quarts sur un fond de ciel bleu animé de nuages blancs, dans un style dur mais puissamment modelé. L'Italie du xve s. honore ses condottieri de portraits héroïsés soit équestres (Uccello : Giovanni Acuto, 1436, fresque du dôme de Florence ; Andrea del Castagno : Niccolò da Tolentino, 1456, id.), soit simplement campés de façon énergique et vus " da sotto in su " (Andrea del Castagno : Pippo Spano, v. 1480, fresque de S. Apollonia, Florence). La situation de Pisanello est plus complexe : gothique attardé, il doit son succès, v. 1430-1435, à ses médailles (Gian Francesco Gonzague, 1439, Bergame, Accad. Carrara), qui évoquent plus l'élégance du Gothique international que l'Antiquité. Son portrait type est la Princesse Ginevra d'Este (Louvre), portrait dans lequel le buste, de profil, se détache sur un fond de feuillage naturaliste, et ce goût décoratif encore gothique contribue au refus d'un espace vrai. Le portrait florentin doit ses caractères au naturalisme et au goût décoratif de Pisanello, mais avec une inflexion vers la monumentalité et la volonté de style propre à Florence. Dans la seconde moitié du xve s., la recherche de synthèse diminuera au profit du souci narratif, mais la présence de ces deux aspects allait favoriser l'évolution.

Le portrait en France est représenté surtout par Fouquet : sa notoriété devait dépasser les frontières, au point qu'il fit à Rome vers 1442 le portrait du Pape Eugène IV avec deux cardinaux pour la sacristie de S. Maria Sopra Minerva, tableau aujourd'hui perdu. Fouquet avait déjà peint le portrait de Charles VII (Louvre), à mi-corps de face entre deux rideaux, traité dans un style mi-réaliste, mi-officiel, qui créait déjà un type de portrait français monumental et alliait le sens du général à l'observation psychologique ; à son retour d'Italie, il présente Guillaume Jouvenel des Ursins (Louvre) de trois quarts sur un fond italianisant de pilastres, de chapiteaux et d'architraves. Un courant d'individualisation psychologique marque les visages des donateurs du milieu du xve s. dans les pays méridionaux : en Provence (E. Quarton), au Portugal (Gonçalves), en Espagne (Bermejo, Dalmau, Huguet).

La fin du xve s. marque une étape dans le développement du portrait : les rapports plus étroits entre la Flandre et l'Italie expliquent la diffusion dans la péninsule de la technique à l'huile et les progrès du réalisme ; en 1450, Van der Weyden est à Mantoue ; en 1474, Juste de Gand, à Urbino ; en 1475, Antonello de Messine, de culture flamande, à Venise ; Hugo Van der Goes livre en 1483 à Florence un retable commandé par la famille Portinari. Les donateurs deviennent une galerie de " portraits civils " (Savonarole) : les Sassetti, les Tornabuoni. La référence religieuse ou antique s'efface devant le goût d'une caractérisation psychologique de plus en plus poussée ; d'autre part, le portrait n'est plus un luxe : il est devenu accessible à la petite bourgeoisie, et le développement du portrait roturier avec Antonello annonce les futures variations individualistes du xvie s. En Italie, on peut distinguer 3 grands centres : Florence, Rome et le Nord. À Florence, l'accent est mis sur le profil décoratif, chez Filippo Lippi (Portrait de femme sur fond d'architecture, musées de Berlin) et chez Alessio Baldovinetti (Portrait de femme sur fond bleu, Londres, N. G.) ; Botticelli, le plus grand portraitiste de la fin du siècle, évoque l'élégance et l'anxiété de ses personnages de profil (Portrait de femme en brun, Florence, Pitti ; Simonetta, Francfort, Städel. Inst.) et de trois quarts (Julien de Médicis, Washington, N. G.). Vers 1480, Florence adopte aussi la présentation des bustes de trois quarts. Piero della Francesca conserve le profil florentin, qu'il nuance de douceur ombrienne : Frédéric de Montefeltre et Battista Sforza (Offices) se détachent sur un fond de paysage. Sa vision synthétique et décorative admet une observation aiguë (Sigismond Malatesta, Rimini, tempio Malatestiano). Dans le foyer cosmopolite d'Urbino, les traditions se mêlent : profil italien et exécution flamande (Frédéric de Montefeltre dans la Communion des apôtres de Juste de Gand, 1474, Urbino, G. N.), bustes commémoratifs au Studiolo, vus de trois quarts dans un intérieur à la mode flamande, par Berruguete. À Rome, capitale de la chrétienté, le portrait est commémoratif et idéalisé : Sixte IV avec son bibliothécaire Platina et deux cardinaux par Melozzo da Forlì (fresque, Vatican), Alexandre VI en prière par Pinturrichio (Vatican). Le Nord, de tradition plus naturaliste, est la région qui connaît le développement le plus fécond : portraits en pied, en buste, sur fond neutre ou de ciel. Le portrait vénitien, en buste de trois quarts, est représenté surtout par 3 artistes : Gentile Bellini (Catherine Cornaro, musée de Budapest), Antonello de Messine, dont les portraits sont des visages vivants et seuls éclairés sur fond très sombre et rendus grâce à une technique flamande dans un style vigoureux, Giovanni Bellini, qui a profité de la leçon d'Antonello et qui est le plus grand portraitiste officiel de son temps : ses bustes sur fond de ciel sont légèrement animés et se découpent dans une lumière précise (Doge Loredan, 1505, Londres, N. G.). À Mantoue, Mantegna participe de la tradition du buste italien avec énergie et naturalisme (Cardinal Mezzarota, 1459, musées de Berlin) ; peintre des Gonzague, il héroïse les portraits de ses maîtres représentés en pied et " da sotto in su ", dans la Chambre des époux. À un niveau plus artisanal, citons les profils de Baldassare d'Este. À Ferrare, Ercole de' Roberti est influencé par Piero (Portraits des Bentivoglio, Washington, N. G.), et Tura est un des premiers peintres de portraits " d'information " : lors des projets de mariage, on lui commande des portraits pour faire connaître aux deux parties les traits des fiancés. Il peignit ainsi toute la famille d'Este, Hercule, Isabelle, Béatrice, effigies aujourd'hui perdues.

En Flandre, la fin du xve s. n'est pas une période novatrice ; les artistes vivent sur les grands exemples du début du siècle ; signalons M. Sittow (Chevalier de l'ordre de Calatrava, Washington, N. G.) et surtout Memling très grand portraitiste, d'ailleurs plus énergique dans ses portraits que dans sa peinture religieuse : Jean de Candida, médailleur de Marie de Bourgogne (1478, musée d'Anvers), buste de trois quarts sur fond de paysage, Sibylle Sambeth (Bruges, hôpital Saint-Jean) ou Barbara Van Vlaenderberghe (Bruxelles, M. R. B. A.), bustes de trois quarts sur fond neutre dans la tradition de Rogier. L'introduction de la famille du donateur dans les tableaux religieux — Triptyque Portinari de Van der Goes (Offices) ou Retable de Jean des Trompes et Retable de Jean de Sedano par G. David — annonce les portraits collectifs.

La France, à la fin du xve s., est placée sous l'influence du Nord en Bourbonnais, où le Maître de Moulins (identifié avec Jean Hey) campe des portraits objectifs, en général à mi-corps, dans une pâte dense, de ses maîtres, Anne et Pierre de Beaujeu ; il en est de même en Provence, où Nicolas Froment, influencé par les Néerlandais installés en Avignon, fixe " les traits essentiels du roi René, maussade, et de son épouse anguleuse, Jeanne de Laval " (Diptyque Matheron, 1492, Louvre).

Le xvie siècle

Le xvie s. voit l'essor du portrait, qui reflète l'organisation sociale de l'époque et ses passions. Les galeries de portraits se multiplient : celle de Paul Jove sur le lac de Côme (catalogue en 1546), celle du duc Cosme de Médicis à Florence, celle de Ferdinand de Tyrol à Ambrass, celle de Frédéric Borromée à Milan. À Blois, Catherine de Médicis possédait 341 portraits, et, en 1567, 22 portraits lui sont envoyés d'Italie pour son grand cabinet, rue du Four. C'est au xvie s. que le genre se codifie : portrait psychologique ou évoquant la fonction et dans un décor fixé ; le buste émerge de derrière un parapet chez Léonard, la figure en pied apparaît entre rideau et colonne chez Titien. La diversification intervient dans la formule adoptée : traditionnel (buste ou figure en pied), allégorique (personnage avec attributs de dieux ou de déesses), emblématique (avec allusions littéraires), dans le type choisi, de l'autoportrait au portrait collectif ; enfin dans l'emploi de la technique (peinture ou " trois crayons "). Le xvie s. est une époque de réflexions sur l'art, de théories et de polémiques : a-t-on le droit d'idéaliser un portrait ou de l'infléchir vers la caricature, ou bien doit-on restituer aussi objectivement que possible la nature ? Aussi des constantes caractérisent-elles certaines années : le style " romantique " (autour de Giorgione) ou le style " glacé " des années 1600. La vie de la cour de Florence se reflète dans l'œuvre de Bronzino, effigies imposantes et quêtes intellectuelles complexes, autant que la joie de vivre de la cour de France se reflète dans la peinture voluptueuse de l'époque des Valois, jeunes femmes à demi nues couvertes de bijoux et bals à la Cour. Les " passions de l'époque inclinent à l'ostentation ", soit d'une manière sobre et descriptive (Moro, Coello, Pourbus), soit d'une manière lyrique, ce dont témoignent de nombreux portraits d'artistes et d'amants.

L'Italie élabore le type du portrait complet, isolé ; la figure monumentale sous une forme classique apparaît dans 3 grands centres : Florence, Rome et Venise, et le portrait maniériste se développe à partir de Florence ; enfin, par les portraits allégoriques et emblématiques, l'Italie appartient bien aux spéculations du xvie s., mais annonce le xviiie s. Le portrait classique monumental, stable, serein, de lecture claire, est illustré par Léonard et Raphaël entre 1500 et 1520, puis par Titien. Léonard, portraitiste des mouvements de l'âme, évolue depuis le style précis et incisif de Ginevra dei Benci (v. 1480, Washington, N. G., visage sur fond de feuillage) jusqu'à celui de la Joconde (v. 1508, Louvre, buste sur fond de paysage imaginaire dans une atmosphère enveloppante) : le portrait isolé, à mi-corps, se profile sur un fond qui ne mobilise pas l'attention ; ce curieux accord d'un sfumato et d'un dessin précis a inspiré Luini, Solario, Boltraffio et Ambrogio de Predis. Raphaël (à Florence, puis à Rome) met l'accent sur le caractère de ses modèles, enserre ses silhouettes d'un contour net et les valorise par des couleurs denses : il part du buste de Léonard à mi-corps, de trois quarts, mains croisées, sur fond de paysage (Angelo et Maddalena Doni, Offices), trouve un accord privilégié entre le peintre et son modèle dans Balthazar Castiglione (Louvre), enfin idéalise d'une manière personnelle (Portrait d'un cardinal, Prado, ou la Dona Velata, Florence, Pitti) ou introduit le portrait en action (Léon X et ses neveux, Offices).

Vers 1530, la primauté du portrait en Italie revient à Venise ; ce portrait, où le volume et la matière picturale quelquefois " impressionnistes " l'emportent sur les contours, est représenté avec magnificence par Titien, portraitiste officiel qui sait concilier panégyrique et souci de vérité. Titien, portraitiste de Charles Quint, créa le portrait impérial, en pied (1533, Prado), assis dans un cadre architectural avec rideau et échappée de paysage (Munich, Alte Pin.), enfin équestre (1547, Prado). Titien représente aussi le pape (Paul III et ses neveux, Naples, Capodimonte), l'homme de lettres (l'Arétin, Pitti), le collectionneur (Jacopo Strada, Vienne, K. M.). On rencontre à Venise 2 conceptions : celle, " officielle ", de Titien, Tintoret (portraits d'hommes barbus sur fonds sombres) et Véronèse (portraits sereins et somptueux de la femme vénitienne, blonde, épanouie et richement parée), auxquels se rallient Palma et Savoldo, et celle, " romantique ", de Giorgione (portraits d'hommes rêveurs au visage penché : Jeune Homme, musée de Budapest) ou Lotto, interprète acide et passionné de la leçon de Titien, comme dans Andrea Odoni (Hampton Court), amateur d'antiques présentés dans une atmosphère moelleuse, ou Bernardo de Rossi (Naples, Capodimonte), l'énergique évêque de Trévise. Cariani peut être considéré comme un trait d'union entre ces deux voies. Hors de Venise, on trouve un sentiment direct de la vie dans un style moins officiel, à Brescia avec Moretto, à Bergame avec Moroni, vif, froid et naturaliste, et enfin avec Paris Bordone.

Parallèlement au portrait classique vénitien s'élabore le portrait maniériste : il naît à la cour de Florence v. 1517-1520 sous le signe de l'inquiétude avec Pontormo (Portrait d'un hallebardier, Los Angeles, musée Getty), portrait, sur fond neutre, peint dans des tons acides, dans un style dérivé de celui de son maître Andrea del Sarto, qui avait déjà interprété Raphaël dans le sens du drame et qui influencera Puligo et Bacchiacca ; Bronzino, peintre officiel des Médicis, inaugure un genre glacé et somptueux qui n'exclut pas un caractère inquiétant (Éléonore de Tolède, Offices) ; les poses sont souvent complexes, apprêtées, et la volonté d'élégance allonge les formes et raffine les coloris (Ugolino Martelli, musées de Berlin). Salviati et son entourage prolongent à Florence ce style, qui connaît une diffusion internationale ; hors de Florence, les élèves de Raphaël l'interprètent selon leur tempérament personnel : G. Romano incline vers la dureté (Isabelle d'Este, Hampton Court), Perino del Vaga et Sebastiano del Piombo vers l'animation, Franciabigio vers le sfumato, qu'il transmettra à Bugiardini. Parmesan mettra l'accent sur le merveilleux, le charme, l'élégance sensible (Comte de Fontanellato, Naples, Capodimonte).

À côté de ces grands genres classique et maniériste se développent des catégories mineures : les portraits allégorique et emblématique. Le portrait allégorique sert à glorifier un être vivant en le représentant avec des attributs de héros ou de dieux antiques : ainsi Andrea Doria en Neptune par Bronzino (Brera), où la nudité est envisagée comme principe divin supérieur. D'autres compositions allégoriques révèlent un aspect plus intime ; ce sont les portraits de fiancés où le couple est représenté plus ou moins sous les aspects de Vénus et de Mars, reflet à Venise même des spéculations néo-platoniciennes : Allégorie du mariage par Paris Bordone (Vienne, K. M.), la prétendue Allégorie du marquis d'Avalos par Titien (Louvre). Outre ces portraits allégoriques, le xvie s. s'est complu dans l'ésotérisme des portraits emblématiques à allusions littéraires et à jeux d'esprit : Laura (Giorgione, Vienne, K. M.) devant un feuillage de laurier ; Lu-ci-na (Lotto, Bergame, Accad. Carrara) est un portrait de femme sur fond de Lune : Lu-na. Une atmosphère équivoque (la Courtisane par B. Veneto, Francfort, Städel Inst.) ou humoristique (Un amour pose le joug sur les fiancés Marsilio de Lotto, Prado) enveloppe ces portraits.

L'Allemagne voit fleurir un très grand nombre de portraits, qui expriment ses contraintes : le protestantisme supprimant la peinture religieuse, le portrait fut un domaine refuge, chacune des petites cours allemandes lui donnant son lustre ; l'humanisme a dominé les échanges entre États dans toute l'Europe du Nord. Deux courants, l'un de tradition autochtone (Cranach, Dürer), l'autre plus international (Holbein), se développent dès le 1er tiers du xvie s., avant qu'un italianisme plus précis ne s'impose à l'Allemagne. Lucas Cranach l'Ancien présente ses personnages à mi-corps avec ampleur (Frédéric le Magnanime, coll. part.), quelquefois devant un paysage (les Époux Cuspinian, Winterthur, coll. O. Reinhart) ; portraitiste de cour, il fit de nombreux dessins, souvent sur papier préparé, de visages présentés de trois quarts, procédé que son fils, Cranach le Jeune, reprit de façon un peu mécanique. Portraitiste de cour aussi, Seisennegger est célèbre pour avoir inauguré le portrait en pied avec Charles Quint (1532, Vienne, K. M.), dont on connaît la gloire future grâce à Titien. Dürer commence par un rappel de la tradition et de son apprentissage d'orfèvre avec des bustes de trois quarts sur fond neutre (Portrait de jeune homme, Munich, Alte Pin.), mais son goût du faste et son voyage à Venise lui font peindre au retour de somptueux portraits avec échappées de paysage (Autoportrait, Prado ; Oswolt Krel, Munich, Alte Pin.), puis il abandonne cet italianisme pour un art ample et détendu, joint à une rigueur graphique toute germanique (Vieillard au bonnet rouge, détrempe sur toile, Louvre).

Parallèlement à la tradition autochtone s'élabore le grand portrait classique de style linéaire et respectueux du modèle avec Hans Holbein le Jeune (portraits complets, psychologiques et de fonction : Georg Gisze dans son cadre [musées de Berlin] ou les Ambassadeurs [Londres, N. G.]). Holbein est le portraitiste des humanistes de l'Europe du Nord (Érasme, Louvre ; Th. Moore, New York, Frick Coll.) et de la Cour anglaise (le roi Henri VIII et ses diverses épouses) ; il crée le type du portrait anglais du xvie s. : de face, selon la tradition anglaise, précis, avec un luxe d'accessoires, mais de présentation sobre sur fond neutre. Il était fils du portraitiste traditionnel Hans Holbein l'Ancien et frère d'Ambrosius Holbein, dont les portraits, aux tons acides et au dessin net, se détachent sur des fonds à pilastres et corniches où s'introduit un italianisme de décor. En Allemagne, après 1530, l'italianisme est de règle et informe soit la plastique romaniste de Barthel Bruyn, qui avait commencé sa carrière de portraitiste dans le style doux de Joos Van Cleve, soit le chaleureux métier vénitien de C. Amberger, soit le formalisme maniériste tardif de Vasari avec Peter de Witte, dont le portrait de Madeleine de Bavière (Munich, Alte Pin.), avec ses broderies d'argent, évoque le style " châsse " des années 1600.

En Angleterre, la peinture officielle est pratiquée par des étrangers : Holbein, puis la famille flamande des Gheeraerts (portraits froids avec un luxe de détails) ; un courant " romantique " mettant l'accent sur l'émotion, le raffinement, surtout représenté dans les miniatures, est adopté par les Anglais : surtout P. Oliver (Anne de Danemark) et N. Hilliard (la Reine Élisabeth, Jeune Homme adossé à un arbre, Londres, V. A. M.). À l'aube du xviie s., l'Angleterre connaît déjà le portrait dans un paysage (le Prince de Galles et Sir Harrington par Robert Peake, Metropolitan Museum), mais dans le style glacé des années 1600.

Dans le Nord, Flandre et Hollande, les artistes sont voyageurs en raison de problèmes religieux et économiques : les Gheeraerts vont en Angleterre ; Anthonis Moor, Peter de Kempener deviennent Antonio Moro et Pedro Campana en Espagne, et, s'ils reviennent chez eux, ils sont convertis à des influences étrangères : l'italianisme est introduit dans les 3 centres romanistes d'Utrecht, de Haarlem et de Bruxelles. En Flandre, Anvers et Bruxelles sont les principaux centres de production. Anvers est le foyer économique ; l'italianisme s'y révèle dans une détente générale, une souplesse sensibles chez Metsys (Érasme, Rome, G. N., Gal. Barberini), Joos Van Cleve, si célèbre qu'il sera appelé à la cour de France en 1530 pour peindre François Ier et la Reine Éléonore, et Floris, le plus populaire des trois, réaliste et romaniste à la fois ; Bruxelles est le lieu de résidence de la Cour avec Marguerite d'Autriche, qui favorise une Renaissance aux aspects divers : le goût décoratif italianisant de Barend Van Orley, portraitiste du milieu humaniste (Georges de Zelle [Bruxelles, M. R. B. A.], médecin entouré de livres et vêtu à l'italienne), la forte plastique romaine de Gossaert (Portrait de fillette, Londres, N. G.) ; Mostaert est venu de Hollande travailler à Bruxelles, mais il reste fidèle à la tradition du trois quarts sur fond de paysage lointain.

La Hollande subit l'influence de Dürer et celle de l'Italie, que celle-ci soit diffuse (Lucas de Leyde, Portrait de femme, Rotterdam, B. V. B.) ou précise comme chez les romanistes (Scorel) : portraits en buste de bourgeois en vêtement sombre sur fond sombre, à coiffes blanches et aux visages construits de Maerten Van Heemskerck, plus sculptural. Une particularité apparaît en Hollande : le portrait collectif, qui, s'échelonnant du xvie au xixe s., reflète la vie officielle de la cité et est l'expression des cités marchandes bourgeoises protestantes du Nord, dont les forces sociales sont les gildes civiles (corporations) et militaires (milice), ou les associations charitables (régents ou régentes). Le portrait collectif, en général groupe d'individus dans un intérieur, dérivé des donateurs représentés par familles entières dès le xve s. sur les volets des retables, est l'expression du mode de vie hollandais, dû aux conditions politiques (une démocratie gouvernée par un groupe de non-nobles) et géographiques (le climat nordique amène à beaucoup vivre dans les intérieurs). Le premier grand portrait collectif est encore semi-religieux : les Chevaliers de Terre sainte en procession par Scorel (1528, Haarlem, musée Frans Hals), présentés en frise de personnages d'une grande sobriété de mise en page, où l'individualisation commence à poindre dans l'autoportrait du peintre. Le genre est poursuivi sur un plan profane par Cornelis Anthonisz (Banquet de la garde civique, Rijksmuseum) dans un style un peu gauche : personnages assis autour d'une table, juxtaposés, dans des coloris très crus ; il est rénové par Cornelis Cornelisz dans le Repas des gardes (1583, Haarlem, musée Frans Hals), grâce à une plus grande animation et à une plus grande variété des attitudes et des coloris moins stridents.

En France, 2 courants s'interpénètrent : courant à la fois bellifontain et italianisant dû au mécénat de François Ier, et courant nordique, d'un réalisme traditionnel. Le grand portraitiste du siècle, François Clouet, de formation nordique, ne reste pas à l'écart de Fontainebleau. Le petit portrait en buste sur fond de couleur (vert ou bleu), typique de la tradition nordique, est pratiqué par Corneille de Lyon (Pierre Aymeric, Louvre) ; dans cette voie, mais sous l'influence italianisante, on rencontre Joos Van Cleve, qui ajoute à l'héritage flamand un sfumato particulier, Jean Clouet, sensible au luxe des vêtements d'outre-monts, mais qui conserve un graphisme précis (François Ier, Louvre), son fils François, plus éclectique, auteur de nombreux bustes de petit format, mais qui introduit quelquefois l'ampleur du portrait italien (rideau de taffetas du Portrait de Pierre Quthe, Louvre), enfin François Quesnel. Le goût croissant pour le portrait, les nécessités économiques — produire vite, beaucoup et à bon marché —, autant que la sensibilité à l'aspect d'esquisse d'une œuvre, expliquent la vogue des " portraits aux trois crayons " (gris, brun et bleu ou vert pour les yeux), où excella François Clouet : à sa suite citons la dynastie des Dumoustier (Daniel, Pierre Ier, Pierre II), Jean de Court, le Maître I. D. C. (Gabrielle d'Estrées, Paris, B. N.), Benjamin Foulon et, dans le portrait de genre, Lagneau. À côté de cet art discret, réaliste et traditionnel, l'école de Fontainebleau représente une importation italienne, décorative et monumentale, où prennent place des allégories complexes : Jean de Dinteville en saint Georges par Primatice, qui évolue vers un intimisme flamingant à la fin du xvie s. (Gabrielle et sa sœur au bain, 1594, Louvre) ; les maîtresses du roi se font souvent représenter en Diane (Diane chasseresse, Louvre ; Diane et ses nymphes au bain par François Clouet, musée de Rouen) ; cette glorification d'une personne royale annonce le thème d'Apollon au xviie s. ; le thème de la gloire du roi apparaît avec F. Clouet (François Ier à cheval, miniature aux Offices) ainsi que dans les portraits d'apparat, comme celui de Charles IX (Vienne, K. M.), où il crée un type de portrait royal où le modèle est représenté debout dans un intérieur, devant un rideau, la main sur un dossier de fauteuil.

La puissante Espagne du xvie s., riche, sévère et religieuse, connaît deux genres de portrait : le portrait de cour avec Pedro Campana et surtout Antonio Moro, créateur du type du portrait espagnol, présentant un personnage silencieux dans un sévère costume noir, sur fond neutre (Marie Tudor, 1554, Prado), formule suivie par Sánchez Coello, et le portrait mystique avec Greco, où le personnage n'existe que par son visage anxieux, ses mains démesurément allongées, dans un style où le dessin et une touche très libre contribuent à dématérialiser le modèle (Frère Hortensio Felix Paravicino, 1609, Boston, M. F. A.).

Le xviie siècle : les rapports individu-État-vie sociale

Le portrait au xviie s. incarne les rapports de l'individu avec l'État : portrait de cour dans les monarchies de France, d'Angleterre et d'Espagne, portrait bourgeois et collectif en Hollande. L'influence du portrait flamand royal, décoratif, de grand format, est internationale à travers Van Dyck et Rubens. Enfin, des techniques nouvelles voient le jour : la gravure assure une plus grande diffusion des modèles (Thomas de Leu, Claude Mellan, Nanteuil, artistes eux-mêmes, ou Michel Lasne et Gérard Edelinck, divulgateurs). Le portrait flamand du xviie s., inspiré du portrait vénitien, est en général un portrait en pied, de coloris chaud, présentant un personnage entre rideau, colonne et paysage. Les portraits de Rubens sont à la fois portraits de cour et portraits intimes (Hélène Fourment, Louvre), dont la technique, très souple, surprend par son audace et dont l'inspiration fougueuse est romantique (Isabelle Brant, Washington, N. G.). Van Dyck, peintre de cour, a tendance à idéaliser davantage et à harmoniser les portraits par une coloration nacrée ; sa peinture est un écho aussi bien de la noblesse génoise que de la société raffinée de la cour anglaise : Charles Ier (Louvre) est une interprétation pleine d'aisance du modèle mis au point par Mytens (le roi debout, un peu décalé à côté de son cheval, dans un grand paysage). Ce type de portrait dans un paysage fera école durant tout le xviiie s. anglais.

En France, le portrait sévère de la première moitié du xviie s. fait place à un style plus opulent. Au début du xviie s., il faut reconstruire la nation après les dommages des guerres de Religion : l'appel aux talents décide des Flamands à venir travailler en France, et la gloire du souverain va croître. Dans un style réaliste, grave et monumental, Pourbus (Henri IV ; Marie de Médicis, 1610, Louvre) élargit son métier flamand précis, aux couleurs légèrement acides et à la matière émaillée. Philippe de Champaigne, de formation flamande lui aussi, assouplit sa technique pour peindre, avec superbe et séduction, Richelieu " orateur pérorant sa propre cause devant l'histoire " ; il crée le type du portrait janséniste strict, dans la tradition nordique, en buste presque monochrome, noir sur fond neutre et dont toute la vie est celle de l'âme (Portrait d'homme, Louvre, dit autrefois Portrait d'Arnaud d'Andilly). Un art d'importation flamande fleurit à Toulouse grâce à J. Chalette dans ses portraits collectifs des Capitouls (musée de Toulouse). Au milieu du xviie s., le portrait va revêtir un aspect plus officiel avec les effigies d'apparat des grands dignitaires du régime : Turenne par Nanteuil, Séguier par Le Brun (Louvre). La réalité est toujours scrupuleusement observée (Autoportraits de Poussin), et des recherches psychologiques raffinées se font jour dans les portraits d'hommes rêveurs de Sébastien Bourdon (le présumé Fouquet de Versailles, l'Homme aux rubans noirs du musée de Montpellier). Dans la seconde moitié du xviie s., les perruques, draperies et fastes de Versailles se reflètent dans les portraits de Mignard, peintre de la femme et de l'accessoire, de Rigaud, peintre fastueux de la réalité " posée " (Louis XIV, Louvre), et de Largillière, plus sensible au mouvement. À côté de ce style pompeux, la province baroque trouve ses interprètes : Rivalz à Toulouse ou Lafage à Lyon (dessins). La transition vers le xviiie s. est annoncée par un goût croissant pour le mouvement et les couleurs gaies : Largillière dans ses portraits de groupe, Vivien dans sa technique nouvelle et rapide du pastel.

Le xviie s. est la plus riche période du portrait hollandais. Les marchands néerlandais sillonnent en maîtres les mers lointaines, et le pays s'enrichit. Le goût du portrait s'épanouit dans ce pays protestant où toute peinture religieuse est bannie ; le portrait est bourgeois, soit individuel, soit collectif et quelquefois de caractère ; le style se limite quasiment à une monochromie brun-noir, et les fonds sont neutres. Les portraits individuels ou de famille, sortes de portraits-souvenirs, sont très nombreux et évoluent depuis les figures droites un peu figées de Cornelis de Vos, Pot, Soutman, Mierevelt et Ravesteyn (ces deux derniers sont portraitistes de la famille d'Orange) jusqu'aux figures plus mobiles de F. Hals, Verspronck, G. Netscher, Van der Helst. Les portraits collectifs connaissent leur plus grand développement au xviie s. et sont l'expression des rouages de la cité : corporations pour le commerce (Rembrandt : Syndic des drapiers, Rijksmuseum), université (Rembrandt : Leçons d'anatomie du professeur Tulp ou Leçon du professeur Deijman), milice (Rembrandt : la Ronde de nuit, Rijksmuseum) ; nombreuses Compagnie d'arquebusiers de Saint-Georges et de Compagnie Saint-Adrien de F. Hals à Haarlem de 1616 à 1639 ; les Hospices et leurs régents (du même peintre, 1664, Haarlem, musée Frans Hals). Deux personnalités émergent : Frans Hals — que suit J. Leyster —, par la puissance de la forme, la nouveauté de la technique et l'audace de certains portraits de caractère (Bohémienne, Louvre ; Malle Babbe, musées de Berlin), et Rembrandt, par la puissance de son imagination et la ferveur de sa quête de l'âme du modèle. En Angleterre, des étrangers fondent un style : Mytens, flamand, crée v. 1620 le portrait du roi en pied avec son cheval, bientôt repris par Van Dyck ; Honthorst sera aussi peintre de cour. Vers 1650, des talents autochtones se révèlent : W. Dobson, au talent grave, énergique, ou R. Walker, précis et un peu sec. À la fin du xviie s., sir Peter Lely, d'origine hollandaise, est le peintre des femmes de la cour de Londres, auxquelles il confère un charme diaphane particulier ; Wright est le portraitiste officiel du roi, et Dahl celui de la reine.

Dans l'Espagne du xviie s., le portrait reflète le mysticisme, le réalisme picaresque et la monarchie : le portrait divin de Zurbarán, le portrait de genre de Ribera (Pied bot, 1652, Louvre) et de Murillo, le portrait de cour de Velázquez, que l'influence italienne a peut-être éloigné du portrait flamand rubénien ; Velázquez va peindre à la gloire de la royauté dans une technique très libre et un style héroïsé (le Duc d'Olivarès et Balthazar Carlos, Prado) ou simplement somptueux pour la famille royale : il sera imité par Carreño de Miranda, dans un style plus sec, et Sánchez Coello, qui exploite une palette plus chaude.

Le xviiie siècle : vie de société

Le xviiie s. est la période de l'expansion française à l'étranger : la France exporte le portrait de cour, figure en pied, parée comme une poupée, située dans un cadre raffiné ; la philosophie et l'esprit français pénètrent, à partir des auteurs de l'Encyclopédie, dans toutes les cours des despotes éclairés. On observe aussi un enrichissement de la sensibilité avec la théorie sensualiste de Locke et de Condillac, qui mène au portrait dit " au naturel ", sous l'influence anglaise. Le goût pour le portrait augmente au point que l'on dépose des brevets pour obtenir celui-ci mécaniquement soit par le procédé de la chambre noire (utilisé dès le xviie s.) ou de la silhouette, soit au moyen du physionotrace ; des mesures économiques et législatives sont prises pour limiter le nombre des portraits au Salon (en 1699, ils représentaient déjà le tiers de l'ensemble des tableaux exposés). En France, à la suite de Rigaud et de Largillière, le portrait officiel est pratiqué par les Van Loo, de Troy et, avec plus de simplicité, par Raoux et Grimou. Le xviiie s. est le siècle de la femme, que célèbrent des portraits allégoriques (Nattier : la Duchesse de Chaulnes en Hébé, Louvre), d'apparat (Boucher : Madame de Pompadour, Munich, Alte Pin., Tocqué : Marie Leczinska, Louvre), ou intimes (Boucher : Mademoiselle O'Murphy, Munich, Alte Pin.). Si Aved, Nonotte et Drouais se consacrent au portrait de cour international, la grande originalité du xviiie s. est le portrait psychologique, qui évoque le brio de la vie de salon, rend compte de la mouvance de l'être saisi dans une technique rapide, le pastel. M. Quentin de La Tour réduit les visages à un regard, à un sourire (Mademoiselle Fel, musée de Saint-Quentin, et Autoportrait, musée d'Amiens) ; il est suivi par J.-B. Perronneau, qui procède d'une manière encore plus moderne, par larges raies obliques et rencontres de couleurs (Abraham Van Robais, 1769, Louvre), et Boze. On peut aussi classer dans les portraits psychologiques les rapides et arrogantes figures de Fragonard. Au cours du xviiie s., la simplification des goûts et le désir d'intégrer l'individu dans son univers expliquent les portraits d'artistes en négligé, les nombreux portraits de chasseurs dans un paysage (Autoportrait de Desportes, Louvre) et les portraits de genre de Chardin (Enfant au toton, Louvre) et de Lépicié. À la fin du xviiie s., une certaine sensiblerie fait augmenter le nombre de portraits d'enfants, et l'essor de la bourgeoisie fait le succès de Duplessis ; enfin, une mode nouvelle apparaît chez Vestier, Ducreux, Danloux, Roslin, Wertmuller ; elle est déjà presque néo-classique avec Mme Vigée-Lebrun, dont les figures, monumentales, se distinguent par leur sentimentalité de celles, plus nerveuses et lumineuses, de Mme Labille-Guiard.

Le xviiie s. en Angleterre est placé sous le signe de l'art de Van Dyck et du Préromantisme ; il s'ouvre sur les personnages à mi-corps, en mouvement et aux perruques poudrées, de Kneller (Membres du Kit Cat Club), puis Hogarth crée un style original et autonome : portrait reportage (Sarah Malcom, Édimbourg, N. G.) et portrait réaliste (Capitaine Coram, Londres, New Foundling Hospital), pendant que les " conversation pieces " de Mercier, qui apparaît comme une contribution anglaise au style rococo, présentent des portraits de groupes de petites dimensions, dans un intérieur ou en plein air, inaugurent une tradition qui se poursuivra avec A. Devis et Zoffany. Enfin, le type du portrait anglais du xviiie s., peint au naturel, en pied et dans un paysage, est traduit dans un style vigoureux, aux couleurs chaudes, par J. Reynolds (Lady Cockburn et ses enfants, Lord Heathfield, Londres, N. G.) ou avec un lyrisme plus frais par Gainsborough (Mrs Simpson assise, id.). Ramsay fut peut-être le créateur d'un genre adopté, avec des solutions diverses, par Romney (Lady Hamilton), Raeburn et Lawrence (la Reine Charlotte, 1789, Londres, N. G.), dont se rapprochent Hoppner et les miniaturistes Cosway et Engleheart. Aux États-Unis, à côté de la peinture d'importation européenne, avec Stuart, les Pearl, Trumbull et Earl, se développe la peinture naïve autochtone, aux formes plates et au dessin incisif dans des coloris frais.

Ailleurs, la vogue du portrait est moins grande : l'Italie est surtout la terre des décorateurs ; signalons les " conversations " de P. Longhi, les portraits au pastel de Rosalba Carriera (Portrait de jeune fille, Paris, Louvre), au métier un peu lourd mais dont le succès fut immense et détermina la vogue internationale du pastel, enfin le style sophistiqué, un peu lisse de P. Batoni (Rome), et de A. R. Mengs ; il faut mentionner aussi, à Bergame, les effigies chaleureuses de Ghislandi. En Allemagne et en Suisse, l'influence rococo fut grande sur Pesne, Mercier, Zick, Chodowiecki. Les deux grandes gloires de l'époque sont des maîtres attirés par le portrait psychologique : Liotard en Suisse, l'original voyageur de Turquie (Autoportrait et Madame d'Épinay, Genève), qui pratiqua aussi beaucoup le pastel, et Anton Graff en Allemagne (Autoportrait, Dresde, Gg). Le style néo-classique connaît deux aspects : glacé chez Mengs et préromantique chez A. Kauffmann et Tischbein (Portrait de Goethe, Francfort, Städel Inst.). En Espagne, au début du xviiie s., prévaut l'influence du portrait de cour international d'origine française, avec Jean Ranc et M. A. Houasse, puis d'origine italienne, avec Mengs ; enfin, le portrait de genre est représenté avec bonheur par Luis Paret y Alcazar, alors que le portrait proprement dit est superbement incarné par Goya qui met au point un type de figure en pied, isolée, sur fond neutre, dans une technique de glacis nacrés (La Tirana, Madrid, Acad. S. Fernando ; la Marquise de Pontejos, Washington, N. G.).

Le xixe et le xxe siècle : le triomphe de l'individualisme, les grandes crises

Éclat du portrait jusqu'en 1850

Il n'y a plus de portraitistes professionnels comme Rigaud ou Van Loo, mais tous les peintres exécutent des portraits ; le genre connaît un grand essor pendant toute la première moitié du xixe s., puis une crise, due autant à l'avènement de la photographie qu'au mouvement des idées qui accompagne dans les années 70 la naissance de l'Impressionnisme. Jusqu'en 1850 un grand nombre de portraits relève de deux esthétiques différentes : le portrait néo-classique, ou davidien, linéaire, aux couleurs acides, situant l'individu dans son cadre social, et le portrait romantique, qui met l'accent sur une atmosphère générale enveloppant la figure, peut-être sous l'influence anglaise, et qui montre l'individu isolé sur fond neutre ou dans un paysage plus ou moins en accord avec son état d'âme ; le modèle, dont le regard fait pressentir la fièvre intérieure, est ici représenté hors de la société. Mais que le portrait soit néo-classique ou romantique, il correspond dans les deux cas à une idéalisation ; pour Lessing, " le portrait ne devait être ni réaliste ni caricatural, mais voué à l'éternité ". Le thème du héros militaire ou romantique en est une manifestation soit allégorique, soit dramatique. David épure son style depuis le portrait équestre, aux riches empâtements, du Comte Potocki (musée de Varsovie) jusqu'aux Époux Pécoul (Louvre), figures claires et précises sur fond presque neutre, et surtout aux portraits de Madame Récamier (Louvre) ou de Madame Charles-Louis Trudaine (id.), détachées sur un fond de léger frottis. Le thème du héros inspire à David des effigies réalistes comme Marat (Bruxelles, M. R. B. A.), fougueuses comme Bonaparte franchissant les Alpes (Versailles) et le plus beau portrait de Bonaparte : le visage, esquissé à l'huile sur toile (Louvre), énergique et brûlé par une fièvre intérieure, du jeune général de l'armée d'Italie. Dans un style toujours linéaire et clair, mais davantage porté vers la vérité du détail, l'idéalisation du contour et la description d'un cadre social, Ingres peint ses portraits les plus séduisants avec ceux des Rivière (Louvre). Le Néo-Classicisme formel d'Ingres dégage un parfum quelque peu romantique dans certains portraits que l'artiste fit à Rome d'une société raffinée, sur un fond de paysage aux nuages de plomb (Portrait de Granet, musée d'Aix-en-Provence) ; en pleine maturité, il va peindre la bourgeoisie, dont la puissance nouvelle émane de portraits comme ceux, pesants, de Monsieur Bertin assis (Louvre) ou de Madame Moitessier (Londres, N. G.), dont la robe, de riche soierie, intéresse autant le peintre que le modèle. À côté de ces portraits de facture néo-classique, on trouve toute une série de figures raffinées et mélancoliques, souvent peintes par des élèves de David, mais touchées par une atmosphère sentimentale qu'ils doivent à l'influence anglaise : ainsi l'élégant Isabey et sa fille par Gérard (Louvre) et les portraits de l'Impératrice Joséphine à demi allongée sur une méridienne ou dans un paysage accordé à la grâce souple du modèle (Gérard, Prud'hon). D'une facture classique, mais d'un style énergique et sensible à l'insolite, signalons le Portrait d'une négresse (Louvre) par Mme Benoist et le Portrait de Belley (Versailles) par Girodet. Prud'hon prolonge par sa grâce le xviiie s., et son goût d'une atmosphère enveloppante fait le lien avec le Romantisme (Monsieur et Madame Anthony, musées de Dijon et de Lyon). D'esthétique pleinement romantique, Gros, Géricault ou Delacroix modèlent avec force leurs figures, tandis que Chassériau demeure ingriste dans son goût pour la perfection de la forme (les Sœurs de l'artiste, Louvre). Le portrait d'artiste dandy ou négligé reflète une vie d'émotions et de quêtes intellectuelles jamais satisfaites (Delacroix : Chopin, Louvre). Les portraits de fous de Géricault (Louvre, musées de Lyon et de Gand) introduisent enfin une dimension nouvelle par leur thème et l'objectivité supérieure dont ils témoignent.

Les crises : après 1850

Vers 1850, le grand développement de la photo, introduite vingt ans plus tôt, provoque des polémiques : au réalisme de Millet (portraits de jeunesse, officiers ou jeunes bourgeoises) et de Courbet (Madame Borreau [1863, musée de Cleveland], figure en buste sur fond neutre restituée dans une pâte épaisse), Daumier oppose un art d'expression dans la lignée de Lavater, Hogarth et Goya. La Cour a ses artistes (Winterhalter), la bourgeoisie, les siens : Couture puis Carrière en France, Feuerbach en Allemagne, Whistler et Sargent aux États-Unis.

Déjà ébranlé par l'assaut d'une technique nouvelle, la photo, le portrait va subir celui de l'Impressionnisme. Pour les nouveaux peintres, il est souvent soit leur œuvre de jeunesse, soit l'aspect conventionnel de leur production. La référence au modèle étant contraignante en elle-même et riche d'une longue tradition, chaque artiste confère désormais au portrait un style dont il développera l'élément le plus singulier dans d'autres genres ou dans sa maturité. Corot baignait déjà ses figures dans une atmosphère sensible à la moindre variation de lumière ou d'humidité (Agostina, Washington, N. G.), Manet évolue d'un style dense vers des figures cernées à la manière de " cartes à jouer " (Clemenceau, musée d'Orsay), Degas saisit ses modèles à un instant donné (la Duchesse Morbilli, id.), Monet passe d'une figure pesante (Madame Gaudibert, id.) à un style léger proche de celui de Sisley et de Pissarro. Renoir est le portraitiste du Tout-Paris ; le monde du spectacle (Watner), des amateurs d'art (Choquet, Mademoiselle Charpentier) s'anime sous sa longue touche fluide et ses couleurs pures, que lui emprunteront B. Morisot et M. Cassatt. Les grands portraitistes prolongent les veines naturaliste avec les Nabis (Vuillard est le dernier peintre de la bourgeoisie) et caricaturale avec Toulouse-Lautrec, l'ironique et féroce peintre du monde du spectacle (la Goulue, Yvette Guilbert, musée d'Orsay). Le rôle de l'estampe japonaise est manifeste dans les deux cas, et l'introduction de cet orientalisme a pu retarder la dépréciation du portrait au profit du paysage et de la nature morte. D'autre part, la figure va passer dans la vie quotidienne grâce à l'affiche (Chéret), où elle subsistera.

L'art des années 90 annexe le portrait à ses diverses recherches d'ordres technique, esthétique et psychologique, lui donnant ainsi des dimensions inédites, de Seurat, Signac (Félix Fénéon, 1890, New York, M. O. M. A.) à Redon, Van Gogh, Gauguin, Cézanne et Klimt (Adèle Bloch-Bauer, 1907, Vienne, Österr. Gal.). 

Le xxe siècle

Les fauves et les cubistes vont continuer dans la voie ouverte par leurs prédécesseurs : le portrait, désormais, importe moins que le tableau qu'il faut faire. La fonction de reproduction exacte de la physionomie du modèle est maintenant attribuée à la photographie. Le portrait fauve (Matisse, Van Dongen, Derain, Vlaminck) existe ainsi au même titre que le portrait cubiste (Picasso, Gris, Gleizes), et Picasso comme Matisse consacreront une partie de leur longue carrière au portrait, peint ou dessiné. Chez leurs contemporains, le portrait est traité avant 1914 surtout en Allemagne (Die Brücke) et en Autriche (Schiele, Kokoschka). L'école de Paris a de véritables portraitistes avec Modigliani et, secondairement, Chagall.

Le retour au Réalisme classique des années 20 a redonné vie à un portrait plus conventionnel. Malgré leur soumission à la mode, Tamara de Lempicka et Boutet de Monvel ont su trouver un cachet original. Les interprétations les plus intéressantes sont celles de la Nouvelle Objectivité allemande (Dix, Schad, Beckmann), celles, plus rares, des surréalistes en France (Ernst, Valentine Hugo, Bellmer) et de leur compagnon Balthus (Derain, 1936, Miro, 1937-38, New York, M. O. M. A.) ou d'indépendants comme Soutine, Tal-Coat (Gertrude Stein, 1930). Après sa participation à Abstraction-Création, Villon a gravé des beaux portraits (le Savant, 1933 ; Miss Bea, 1934).

La Libération eut surtout la révélation des portraits de Dubuffet (Fautrier, araignée au front), puis la vague de l'Abstraction a limité beaucoup plus que précédemment la production de portraits. Citons, expressionnistes et lyriques, les portraits d'Appel (1957), ceux de Bacon, un des maîtres de la Nouvelle Figuration, de Lucian Freud, de Kitaj et d'Arikha. Le pop art (Blake, Hockney, Lichtenstein, Warhol), le Néo-Réalisme (Raysse et Klein [Portrait-relief d'Arman, Paris, M. N. A. M.]), puis l'Hyperréalisme (Close, Hucleux) allaient s'approprier plus flegmatiquement la figure humaine, d'Andy Warhol et ses productions sérielles d'images-identités (Marilyn Monroe, 1967 ; Mao Tsétoung, 1974) à Chuck Close et ses copies énormément agrandies de portraits photographiques (Richard, 1969, Paris, M. N. A. M.).