les Van Eyck

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintres flamands.

JAN

Jan ( ? V.  1390/1400  – Bruges 1441). Les premières mentions de Jan Van Eyck sont celles de son paiement au service du duc Jean de Bavière de 1422 à 1424. On situe, sans certitude absolue, son lieu de naissance à Maaseick, village de la vallée de la Meuse relevant du diocèse de Liège.

Les Heures de Milan-Turin

Ses œuvres connues les plus anciennes paraissent être les enluminures de quelques feuillets des Heures de Milan-Turin, exécutées pour le duc Guillaume IV de Bavière avant 1417 ou, plus vraisemblablement, pour le duc Jean entre 1422 et 1424 (Baiser de Judas, Saint Julien et sainte Marthe en barque, les Chevaliers sur la plage [autref. à Turin, B. N., détruits], Naissance de saint Jean-Baptiste, Messe des morts [Turin, Museo Civico]). Si l'esprit général de ces compositions relève d'une conception réaliste, la ligne des figures et le raffinement du coloris marquent la persistance des traditions du style international. S'il faut retenir pour œuvre de Jan Van Eyck les feuillets regroupés sous l'initiale G. par Hulin de Loo dans son analyse du manuscrit, il faut surtout remarquer la précision et la délicatesse de la notation des effets lumineux.

Jan Van Eyck, valet de chambre de Philippe le Bon

À partir de mai 1425, on retrouve le peintre, en qualité de valet de chambre, au service du duc Philippe le Bon, qu'il ne quittera plus jusqu'à sa mort. De 1426 à 1429, il est installé à Lille. En 1426, il accomplit par deux fois des voyages dits secrets, c'est à dire confidentiels, peut-être pour exécuter des portraits de quelque princesse que le duc, veuf, envisageait de prendre pour épouse. Du 19 octobre 1428 à Noël 1429, il participe à l'ambassade qui se rend à Lisbonne pour conclure le mariage de Philippe le Bon avec Isabelle de Portugal. Après 1429, il s'installe, semble-t-il, à Bruges, où il acquiert une maison en 1431. De son service auprès du duc de Bourgogne, on connaît peu de chose, sinon qu'il travaille en 1433 au palais du Coudenberg à Bruxelles. De ses débuts semble dater la Vierge dans l'église (musées de Berlin), qui évoque un intérieur éclairé d'une lumière aussi précieuse et immatérielle que celle des feuillets de Turin, caractéristique du peintre, et qui a provoqué l'admiration générale, attestée par l'existence d'au moins deux copies de cette œuvre dues à de grands artistes plus tardifs (Gossaert et le Maître de 1499).

L'Agneau mystique

La première date qui jalonne sa production artistique est celle de l'achèvement de l'Agneau mystique : 1432. L'étendue surprenante du programme a conduit le peintre à adopter des formules assez différentes. Les panneaux inférieurs, à l'intérieur du retable, présentent des personnages de proportions assez réduites dans un large paysage : ils se rattachent encore au style des enluminures et sont d'ailleurs peut-être dus à la collaboration du peintre avec son frère Hubert. En revanche, dans les panneaux supérieurs figurent des personnages en demi-grandeur environ, dont l'ampleur des formes est très différente de celle des précédents. Les plus étonnants d'entre eux sont Adam et Ève, qui constituent les premiers nus monumentaux de la peinture du nord de l'Europe. L'extérieur du polyptyque révèle par son souci de cohésion une unité certaine de conception : la proportion des panneaux d'un étage à l'autre est très équilibrée et répond à une préoccupation monumentale. Les figures des donateurs, Jodocus Vydt et sa femme, Élisabeth Borluut, s'inscrivent en silhouettes puissantes sous les arcades où ils prient, tandis que l'Annonciation est évoquée au second registre dans un intérieur qui s'ouvre par une fenêtre sur une place médiévale. L'ensemble de ces panneaux est harmonisé dans une gamme plus sourde que celle des panneaux de l'intérieur, qui rappelle la grisaille et leur confère un caractère plus sculptural et décoratif.

Les œuvres datées

À partir de 1432, se succèdent des œuvres datées : Portrait de Tymotheos (1432, Londres, N. G.), identifié avec le musicien Gilles Binchois ; l'Homme au turban rouge (1433, id.), dont le visage seul émerge de l'ombre et dans lequel on a voulu, sans la moindre preuve, voir soit un autoportrait, soit l'effigie du beau-frère du peintre, en vertu de sa ressemblance avec Marguerite Van Eyck (musée de Bruges). La même date (1433) figure sur un petit panneau d'une Vierge à l'Enfant (Melbourne, N. G.) qui s'est avéré n'être qu'une réplique ancienne d'un original perdu. De 1434 date l'un de ses chefs-d'œuvre, le Portrait des époux Arnolfini (Londres, N. G.) : si les deux personnages s'inscrivent au premier plan en silhouettes solennelles, derrière eux se déploie un intérieur précieux que la lumière anime de mille feux en jouant sur les glaces et sur les cuivres. Au-dessus d'un miroir situé derrière le couple, qu'il reflète de dos, on peut lire Johannes de Eyck fuit hic (" Jan Van Eyck fut ici "), et l'on distingue effectivement dans ce même miroir une troisième silhouette, celle d'un homme, le peintre, qui se situerait théoriquement à la place du spectateur, à l'entrée de la pièce : détail caractéristique d'une attitude foncièrement réaliste, voire d'une prédilection pour le trompe-l'œil en même temps que clin d'œil au spectateur cultivé. En 1436, Van Eyck exécute le portrait d'un orfèvre de Bruges, Jean de Leeuw (Vienne, K. M.) et surtout la Vierge du chanoine Van der Paele (musée de Bruges), le plus grand tableau de l'artiste après l'Agneau mystique. Malgré la solennité de la scène située dans une église, le dignitaire est présenté avec un réalisme teinté d'un humour discret. En 1437, deux œuvres de petit format évoquent un monde microscopique : la Sainte Barbe (musée d'Anvers), inachevée, décrit, derrière la sainte, d'une finesse encore gothique, l'animation d'un chantier où s'édifie la tour, attribut du personnage. Un petit triptyque (la Vierge et l'Enfant entre Saint Michel présentant un donateur et Sainte Catherine, Dresde, Gg) transpose dans un monde en miniature l'esprit de la Vierge du chanoine Van der Paele. L'année 1439 est celle de 2 œuvres très différentes par leur destination. L'une est le Portrait de Marguerite Van Eyck (musée de Bruges), peinte en demi-figure, posant sévèrement derrière un cadre de marbre, et d'une singulière présence humaine. L'autre, la Vierge à la fontaine (musée d'Anvers), est de la veine des œuvres de petit format : un monde précieux et cristallin entoure la fine silhouette de la Vierge. Enfin, c'est probablement en 1440/41 que Jan Van Eyck travaille à la Madone de Nicolas Van Maelbecke (Grande-Bretagne, coll. part.), laissée inachevée et destinée à l'église Saint-Martin d'Ypres.

Autres œuvres certaines

À côté de ces œuvres datées par une inscription sur le cadre original, souvent associée à la devise AlC IXH XAN (Als ich kan, " Comme je peux "), il faut citer quelques tableaux importants plus difficiles à situer. Le surprenant Portrait de cardinal (Vienne, K. M.), en autorisant la comparaison avec un dessin préparatoire précis (Dresde, Gg), permet de suivre l'élaboration du premier portrait moderne ; l'identification du personnage avec le cardinal Albergati semble ne plus pouvoir être retenue. Le Portrait de Baudoin de Lannoy (musées de Berlin), présenté en " roi de la flèche ", est postérieur à 1431. La Vierge à l'Enfant, provenant des collections du duc de Lucques (Francfort, Städel. Inst.), est voisine du style de l'Agneau mystique. Enfin, la Madone du chancelier Rolin (Louvre), peinte pour le conseiller du duc de Bourgogne et destinée à sa chapelle de la cathédrale d'Autun, pourrait dater d'environ 1430. Entre la Vierge et le donateur, au travers d'une triple arcade, apparaît un paysage urbain singulièrement précis et pourtant imaginaire.

Attributions

Quelques autres tableaux sont d'attribution moins certaine. C'est le cas de 2 volets consacrés à la Crucifixion et au Jugement dernier (Metropolitan Museum), qui présentent un art plus illustratif et plus archaïque que la plupart des œuvres sûres. C'est peut-être aussi le cas de 2 versions d'un Saint François stigmatisé (Philadelphie, Museum of Art, coll. Johnson, et Turin, Gal. Sabauda). C'est sans doute aussi le cas de l'Annonciation dans une église [Washington, N. G.], autrefois à l'Ermitage) et du Saint Jérôme dans sa cellule (musée de Detroit), qui est daté de 1442, année postérieure à la mort de l'artiste.

Œuvres perdues

On tient enfin souvent pour des copies d'œuvres perdues de Jan Van Eyck un Portement de croix (musée de Budapest) et un dessin d'une Adoration des mages (Berlin), l'un et l'autre témoins probables d'œuvres de jeunesse. On pense également que Jan Van Eyck est l'inventeur de deux importantes compositions fondamentales pour la naissance et le développement d'une peinture profane en Europe, connues seulement aujourd'hui par des descriptions ou des interprétations tardives : une Femme à sa toilette et un Marchand faisant ses comptes.

La technique eyckienne

Si le problème se pose de distinguer l'art de Jan Van Eyck de celui de son frère Hubert, la technique eyckienne est également énigmatique. Les textes du xvie s. faisaient honneur au peintre de l'invention de la peinture à l'huile. L'usage de ce médium était en fait connu antérieurement, mais Jan Van Eyck, de par le retentissement considérable de ses œuvres, semble bien en avoir généralisé l'emploi. Sa méthode reste très personnelle et paraît fondée sur la superposition de couches picturales de natures différentes, jouant entre elles par transparence. Sur le plan formel, son extraordinaire virtuosité assura à l'école flamande, pendant tout le xve siècle, un renom durable.

Hubert († Gand 1426). Un quatrain, dont l'authenticité a souvent été mise en doute et qui se lit sur le cadre de l'Agneau mystique, assure que le retable a été commencé par Hubert Van Eyck et achevé, après sa mort, par son frère Jan. Quelques mentions des archives gantoises en 1425 et 1426 paraissent concerner le même personnage, dont le texte de l'épitaphe est également connu par un relevé de Mark Van Vaernewyck (1568). La pauvreté de ces documents a autorisé une hypothèse audacieuse (Karl Voll et Emile Renders) qui a obtenu une audience très large et selon laquelle le peintre ne serait qu'une créature de légende, imaginée sans doute pour attribuer à un Gantois une part importante de l'exécution du retable. Malgré l'attrait d'une conception aussi radicale, il paraît difficile de nier l'existence des mentions d'archives comme d'une tradition très ancienne, puisque, dès 1517, Antonio de Beatis signalait la collaboration des deux maîtres au retable de Gand. Il reste en revanche difficile de discerner la part que prit Hubert Van Eyck à l'exécution de l'Agneau mystique ; elle a fait l'objet d'hypothèses très variées, dont aucune n'est concluante. Toutes s'accordent cependant pour voir dans le panneau inférieur du centre (l'Adoration de l'Agneau) la part essentielle du travail de Hubert, même s'il faut admettre qu'il a fait l'objet de remaniements postérieurs, dus en partie à son frère Jan. Si l'on tend à renoncer à lui attribuer certaines enluminures du Livre d'heures de Milan-Turin, on le donne souvent pour l'auteur de 2 peintures : les Trois Marie au tombeau (Rotterdam, B. V. B.) et l'Annonciation (Metropolitan Museum, coll. Friedsam). Son art apparaît alors comme lié encore au style international, qui marque la fluidité des figures élégantes de ces œuvres, où l'on décèle également un réalisme précis qui analyse le monde dans sa complexité et surtout sa richesse. Néanmoins, ces données ne distinguent l'art d'Hubert de celui de Jan que par des nuances.